Haïti
Situation insurrectionnelle
Depuis jeudi, les commissariats de police servent de cibles à «l’armée cannibale» du Front de résistance de l’Artibonite, qui a donné l’assaut jeudi 5 février sur les Gonaïves (200 000 habitants), où des ponts ont été détruits et des tranchées creusées. Le 7 février, des policiers qui tentaient de reprendre la cité portuaire sont tombés dans une embuscade et ont dû battre retraite. Depuis, l’insurrection armée a gagné du terrain. L’opposition demande la démission du président Jean-Bertrand Aristide. Retranché dans sa résidence de Port-au-Prince, à proximité de l’aéroport, ce dernier s’accroche à son mandat renouvelé en 2000 et qui doit s’achever en 2006. Restauré par Washington en 1994 après avoir été chassé une première fois du pouvoir, «Titid» peut difficilement tabler cette fois sur une intervention extérieure. Si ses adversaires n’ont guère d’autre projet de société que de prendre sa place, lui-même s’est trop illustré dans la corruption et la violence. Il cherche donc à gagner du temps, courtise les médiateurs de l’organisation caraïbe Caricom et renvoie ses adversaires à d’éventuelles élections.
Depuis septembre dernier, les violences ont fait plus de 60 morts et de 100 blessés aux Gonaïves. Mais cette fois, la rébellion armée en fait son camp retranché et sa tête de pont en direction de l’ensemble de l’Artibonite dont une demi douzaine de localités paraissent désormais sous son contrôle. Dans le camp adverse, le Premier ministre, Yvon Neptune, parle de tentative de coup d’Etat. Ce 8 février, il invitait toutefois l’opposition à «jouer son rôle pour arrêter la violence» et à prendre le chemin des élections. En même temps, il appelait la population à jouer le rôle d’informateur auprès de la police qui symbolise justement pour l’opposition le pouvoir honni du président Aristide. C’est lui en effet qui l’avait formée de bric et de broc pour remplacer l’armée putschiste qu’il venait de dissoudre, à son retour en 1994. Depuis, la police nationale (PNH) s’est surtout forgée une réputation dans le trafic de cocaïne qui arrose en particulier les Etats-Unis.
A côté de ses supplétifs des brigades spéciales ou des chimè (chimères) du parti présidentiel Lavalas, la PNH roule désormais autant pour elle-même que pour l’ancien apôtre de la théologie de la libération, «Titid». Elle constitue quand même pour le prêtre défroqué un instrument privilégié du désordre et de l’insécurité dont il tire parti. Règlements de comptes, expéditions punitives : les pratiques ne sont guère différentes dans le camp adverse, et en particulier aux Gonaïves, où les revendications politiques du Front de résistance de l’Artibonite jouent des capacités de nuisance d’une «armée cannibale» désormais en rébellion armée. A Port-au-Prince, les partisans d’Aristide ont mis le feu aux barricades pour empêcher l’opposition de défiler. Aux Gonaïves (nord-ouest), le Front de résistance de l’Artibonite a détruit les ponts et creusé des tranchées après l’assaut lancé le 5 février sur le commissariat et la mise à sac des bureaux du délégué du gouvernement (le préfet à la mode haïtienne).
L’Artibonite comme tête de pont
Des insurgés ont attaqué le commissariat principal et hérissé de barricades Saint-Marc (à 105 kilomètres au nord de Port-au-Prince), pour interdire la route reliant la capitale au port des Gonaïves, où la police a perdu des hommes en tentant vainement d’en reprendre le contrôle samedi. Selon des témoins, le commissariat de Saint-Marc serait désormais tenu par une organisation de l'opposition, Ramicos qui aurait par ailleurs libéré des prisonniers détenus à proximité. D’autres attaques ont rapidement vidé les commissariats des localités de Trou de Nord, Lester, Grand Goave (49 000 habitants), Anse Rouge ou Petite rivière de l'Artibonite. Des cadavres gisent dans les rues sillonnées par des hommes armés de gourdins plantés de clous. Si l’on en juge par les images des télévisions haïtiennes, des barricades enflammées auraient également été érigées ce week-end à Cap-Haïtien, au Nord (200 000 habitants) De nombreux partisans du parti de la Famille Lavalas auraient fui la région après la prise de Gonaïves, la quatrième ville du pays, éminemment symbolique puisque le 1er janvier 1804, c’est là que d’anciens esclaves ont proclamé l’indépendance de l’ancienne Saint-Domingue française, rebaptisée Haïti, avec Dessalines comme éphémère empereur.
Après ses prédécesseurs, Jean-Baptiste Aristide est confronté à son tour à une révolte qui épouse les rivalités économiques autour du pouvoir, conçu comme une machine à accaparer les maigres richesses du pays. Ceux qui défendent ou briguent le palais présidentiel, se servent tour à tour d’arguments socio-ethniques pour lancer les huit millions d'Haïtiens dans une lutte à mort qui a fait d’eux les plus pauvres des Amériques. Chassé une première fois en 1991 de Port au Prince, Aristide avait été ramené au palais par une armada américano-onusienne. Claquemuré dans son palais depuis lors, soufflant le chaud dans ses discours «démocratique» et le froid morbide avec ses sbires, il essuie depuis huit mois des manifestations en série dans la capitale et en province. Il subit aujourd’hui l’effet boomerang de ses propres retournements d’alliances : en l’occurrence, l’assassinat, fin septembre 2003, de l’un de ses hommes de main : Amiot Métayer, alias Cubain, le père de l’armée cannibale. Il fut en effet un temps où les centaines de miliciens armés de l'armée cannibale obéissaient à Aristide. Se défaire de son chef constituait un gage donné à Washington. C’est ainsi que pour garantir une gestion du pouvoir moins ouvertement corrompue et brutale, Aristide a produit des éclaboussures de sang.
Cette fois, aux Gonaïves, la partie est de plus en plus serrée. Aristide a compté sur l’inusable chape de misère et d’analphabétisme pour alimenter les rêves de lendemains qui chantent des «chimères» et autres sans-terres ni emplois. Face à l’opposition qui assure que la révolte est «populaire», Aristide ne peut plus guère espérer de soutien extérieur décisif. Il jure ses grands dieux (désormais vaudous) qu'il remplira son second mandat présidentiel jusqu'en 2006. Pas question de démission, dit-il, aux médiateurs de l'Organisation des pays de la Caraïbe (Caricom) qui, jusqu’à présent, préconisaient notamment la libération des opposants incarcérés et le désarmement des milices du pouvoir. Aujourd’hui, Aristide bat le rappel de ses partisans et promet que les responsables des troubles «seront arrêtés et jugés selon la loi». Mais nul ne peut le prendre au sérieux quand il parle d’élections puisque l’Assemblée nationale a été dissoute le 12 janvier dernier, en attendant une majorité à sa convenance. Reste que pour l’heure, Aristide paraît surtout débordé par une situation insurrectionnelle qui menace de s’ancrer dans la durée.
A écouter également :
André Apaid, coordinateur du groupe des 184, l’un des principaux mouvements d’opposition, au micro d'Hélène da Costa. (09/02/2004, 8'32")
Frandley Denis Julien, membre du groupe des 184 au micro d'Hélène da Costa (09/02/2004, 1')
Franck Weil-Rabaud journaliste à RFI au micro de Frédérique Genot (09/02/2004, 4'59")
Henri Bazin, président de l’association des économistes haïtiens, répond aux questions de Jean-François Cadet (l'Invité du soir, 09/02/2004, 7’38’’).
A lire également :
Haïti : l'épreuve des armes
Edito international de Michèle Gayral du 09/02/2004
A côté de ses supplétifs des brigades spéciales ou des chimè (chimères) du parti présidentiel Lavalas, la PNH roule désormais autant pour elle-même que pour l’ancien apôtre de la théologie de la libération, «Titid». Elle constitue quand même pour le prêtre défroqué un instrument privilégié du désordre et de l’insécurité dont il tire parti. Règlements de comptes, expéditions punitives : les pratiques ne sont guère différentes dans le camp adverse, et en particulier aux Gonaïves, où les revendications politiques du Front de résistance de l’Artibonite jouent des capacités de nuisance d’une «armée cannibale» désormais en rébellion armée. A Port-au-Prince, les partisans d’Aristide ont mis le feu aux barricades pour empêcher l’opposition de défiler. Aux Gonaïves (nord-ouest), le Front de résistance de l’Artibonite a détruit les ponts et creusé des tranchées après l’assaut lancé le 5 février sur le commissariat et la mise à sac des bureaux du délégué du gouvernement (le préfet à la mode haïtienne).
L’Artibonite comme tête de pont
Des insurgés ont attaqué le commissariat principal et hérissé de barricades Saint-Marc (à 105 kilomètres au nord de Port-au-Prince), pour interdire la route reliant la capitale au port des Gonaïves, où la police a perdu des hommes en tentant vainement d’en reprendre le contrôle samedi. Selon des témoins, le commissariat de Saint-Marc serait désormais tenu par une organisation de l'opposition, Ramicos qui aurait par ailleurs libéré des prisonniers détenus à proximité. D’autres attaques ont rapidement vidé les commissariats des localités de Trou de Nord, Lester, Grand Goave (49 000 habitants), Anse Rouge ou Petite rivière de l'Artibonite. Des cadavres gisent dans les rues sillonnées par des hommes armés de gourdins plantés de clous. Si l’on en juge par les images des télévisions haïtiennes, des barricades enflammées auraient également été érigées ce week-end à Cap-Haïtien, au Nord (200 000 habitants) De nombreux partisans du parti de la Famille Lavalas auraient fui la région après la prise de Gonaïves, la quatrième ville du pays, éminemment symbolique puisque le 1er janvier 1804, c’est là que d’anciens esclaves ont proclamé l’indépendance de l’ancienne Saint-Domingue française, rebaptisée Haïti, avec Dessalines comme éphémère empereur.
Après ses prédécesseurs, Jean-Baptiste Aristide est confronté à son tour à une révolte qui épouse les rivalités économiques autour du pouvoir, conçu comme une machine à accaparer les maigres richesses du pays. Ceux qui défendent ou briguent le palais présidentiel, se servent tour à tour d’arguments socio-ethniques pour lancer les huit millions d'Haïtiens dans une lutte à mort qui a fait d’eux les plus pauvres des Amériques. Chassé une première fois en 1991 de Port au Prince, Aristide avait été ramené au palais par une armada américano-onusienne. Claquemuré dans son palais depuis lors, soufflant le chaud dans ses discours «démocratique» et le froid morbide avec ses sbires, il essuie depuis huit mois des manifestations en série dans la capitale et en province. Il subit aujourd’hui l’effet boomerang de ses propres retournements d’alliances : en l’occurrence, l’assassinat, fin septembre 2003, de l’un de ses hommes de main : Amiot Métayer, alias Cubain, le père de l’armée cannibale. Il fut en effet un temps où les centaines de miliciens armés de l'armée cannibale obéissaient à Aristide. Se défaire de son chef constituait un gage donné à Washington. C’est ainsi que pour garantir une gestion du pouvoir moins ouvertement corrompue et brutale, Aristide a produit des éclaboussures de sang.
Cette fois, aux Gonaïves, la partie est de plus en plus serrée. Aristide a compté sur l’inusable chape de misère et d’analphabétisme pour alimenter les rêves de lendemains qui chantent des «chimères» et autres sans-terres ni emplois. Face à l’opposition qui assure que la révolte est «populaire», Aristide ne peut plus guère espérer de soutien extérieur décisif. Il jure ses grands dieux (désormais vaudous) qu'il remplira son second mandat présidentiel jusqu'en 2006. Pas question de démission, dit-il, aux médiateurs de l'Organisation des pays de la Caraïbe (Caricom) qui, jusqu’à présent, préconisaient notamment la libération des opposants incarcérés et le désarmement des milices du pouvoir. Aujourd’hui, Aristide bat le rappel de ses partisans et promet que les responsables des troubles «seront arrêtés et jugés selon la loi». Mais nul ne peut le prendre au sérieux quand il parle d’élections puisque l’Assemblée nationale a été dissoute le 12 janvier dernier, en attendant une majorité à sa convenance. Reste que pour l’heure, Aristide paraît surtout débordé par une situation insurrectionnelle qui menace de s’ancrer dans la durée.
A écouter également :
André Apaid, coordinateur du groupe des 184, l’un des principaux mouvements d’opposition, au micro d'Hélène da Costa. (09/02/2004, 8'32")
Frandley Denis Julien, membre du groupe des 184 au micro d'Hélène da Costa (09/02/2004, 1')
Franck Weil-Rabaud journaliste à RFI au micro de Frédérique Genot (09/02/2004, 4'59")
Henri Bazin, président de l’association des économistes haïtiens, répond aux questions de Jean-François Cadet (l'Invité du soir, 09/02/2004, 7’38’’).
A lire également :
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Edito international de Michèle Gayral du 09/02/2004
par Monique Mas
Article publié le 09/02/2004 Dernière mise à jour le 08/02/2004 à 23:00 TU