Haïti
Aristide sur la sellette
Les cérémonies organisées ce 1er janvier en Haïti à l’occasion du 200ème anniversaire de son indépendance vont se dérouler dans un contexte très tendu. L’opposition compte bien demander une nouvelle fois la démission du président Jean-Bertrand Aristide dont les dérives dictatoriales suscitent de plus en plus de critiques dans le monde entier.
«On l’attend, Aristide. Qu’il vienne. C’est ici, à Gonaïves, qu’on l’arrêtera». Cette mise en garde adressée au président Jean-Bertrand Aristide a été recueillie voilà quelques semaines par un envoyé spécial du quotidien Libération. Son auteur est Winter Etienne, l’un des chefs de l’opposition armée au régime du président Aristide dans la localité de Gonaïves, située à une centaine de kilomètres au nord-ouest de la capitale haïtienne. C’est notamment dans cette ville, la troisième du pays, que se produisent depuis plus de trois mois de violentes manifestations au cours desquelles 36 personnes ont été tuées et 85 blessées par balles. Et c’est dans cette même «cité de l’indépendance» que le président Aristide compte fêter le 1er janvier le bicentenaire de la naissance d’Haïti. Dans plusieurs endroits de l’île sont prévues des cérémonies officielles auxquelles doivent participer plusieurs chefs d’Etat étrangers, notamment le président sud-africain Thabo Mbeki. Pour garantir sa sécurité, il a sa disposition un navire sud-africain de support logistique présent dans les eaux de Port-au-Prince.
Cette mesure exceptionnelle s’explique par la situation de grande instabilité que connaît l’île. Les manifestations violentes ont notamment été provoquées par la découverte du cadavre dans un quartier de Gonaïves d’Amiot Métayer, chef d’un groupe armé proche du pouvoir, «l’Armée cannibale». Créée à la fin des années 80 à l’issue de la dictature Duvalier, cette milice fait partie des Organisations populaires (OP) sur lesquelles le président Aristide s’appuie pour se maintenir au pouvoir. Leur rôle est notamment d’effrayer les opposants politiques qu’elles n’hésitent pas à torturer, exécuter ou faire disparaître. En échange de leurs bons et loyaux services, certaines d’entre elles se livrent ouvertement à des activités mafieuses, notamment le trafic de drogue, dont elles tirent l’essentiel de leurs revenus. Se refusant à fermer les yeux plus longtemps sur cette situation, les Etats-Unis ont récemment demandé au président Aristide de mettre hors d’état de nuire certaines de ces organisations qui inondent de drogue le territoire américain. L’ordre a, semble-t-il, bien été exécuté puisque Amiot Métayer, l’un des criminels qui se trouvait dans la ligne de mire des Américains, a été assassiné. Son frère, Buteur Métayer, a depuis repris la tête de «l’Armée Cannibale». Et Winter Etienne, l’un de ses lieutenants, a affirmé mardi que ce groupe armé exercerait de violentes représailles sur des officiels haïtiens et étrangers qui se risqueraient aux Gonaïves le 1er janvier.
Une population aux abois
L’opposition au président Aristide s’est en fait énormément élargie au fil des derniers mois. Plusieurs milliers de personnes ont ainsi défilé mardi dans les rues de Port-au-Prince pour réclamer la démission du président Aristide. Dans le cortège se trouvaient de nombreux étudiants aux côtés de représentants de la société civile réunis au sein du groupe dit «des 184». Ce mouvement de contestation prend en fait de plus en plus d’ampleur depuis la tenue d’élections parlementaires frauduleuses en mai 2000 qui ont permis aux proches d’Aristide d’emporter près de 90% des sièges au sein de la chambre des députés. Quelques mois plus tard, Jean-Bertrand Aristide remportait sans peine les élections présidentielles avec 91,69% des suffrages lors d’un scrutin auquel à peine 15% des électeurs avaient participé.
Ce prêtre défroqué, qui avait incarné un immense espoir pour le pays en 1990 après pratiquement trente années de régime autoritaire, est aujourd’hui considéré comme un véritable dictateur par une grande partie de la communauté internationale. Et les Etats-Unis, qui avaient pourtant réinstallé cet homme à la tête du pays en 1994 après qu’il ait été victime d’un coup d’Etat, réfléchissent désormais à la manière de sortir le pays de la profonde crise économique, sociale et politique qu’il connaît. La perspective d’un exode continu de réfugiés haïtiens vers les Etats-Unis semble notamment effrayer les autorités américaines. Et Washington soutient du coup une solution de compromis de l’Eglise catholique prévoyant la création d’un conseil de neuf membres entourant le chef de l’Etat à partir du mois de janvier 2004. Ce plan, qui a également reçu l’aval de la France, est par contre vivement rejeté par l’opposition qui refuse de voir Jean-Bernard Aristide aller jusqu’au bout de son mandat présidentiel en février 2006.
Une grande partie de la population estime en fait que seul le départ du président haïtien permettra une amélioration de la situation économique. De fait, c’est après sa réélection en novembre 2000 que la communauté internationale a décidé de geler l’aide destinée à l’île. Or, les besoins sont immenses dans ce pays considéré comme le plus pauvre du continent américain. Selon l’Unicef, deux tiers de ses quelque 8 millions d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté et 10% des mineurs âgés de moins de quinze ans souffrent de malnutrition. Et par rapport aux autres pays de la zone des Amériques, c’est en Haïti que l’épidémie de sida fait le plus de ravages. Une détresse sociale qui laisse visiblement complètement indifférent le président Aristide, confortablement installé dans une luxueuse résidence située sur les hauteurs de la capitale. Pour remplir les caisses de l’Etat, il semble en fait compter sur un coup de pouce salvateur de la France à qui il a demandé la restitution d’environ 21 milliards de dollars, le «prix de l’indépendance». Ce chiffre, calculé par le président Aristide, correspondrait à la somme payée à l’époque par l’ex-colonie à la France, un pays avec lequel Haïti partage encore la même devise, «Liberté, Egalité, Fraternité». Une requête qui présente l’avantage majeur pour Aristide de détourner l’attention d’une partie de la population des véritables problèmes du pays.
A écouter également :
Lionel Trouillot, président de l'Union des écrivains haïtiens au micro de Noëlle Velly (01/01/2004, 7'50")
A lire également :
Aristide, hier et aujourd'hui
Edito international de Michèle Gayral du 01/01/2004
Cette mesure exceptionnelle s’explique par la situation de grande instabilité que connaît l’île. Les manifestations violentes ont notamment été provoquées par la découverte du cadavre dans un quartier de Gonaïves d’Amiot Métayer, chef d’un groupe armé proche du pouvoir, «l’Armée cannibale». Créée à la fin des années 80 à l’issue de la dictature Duvalier, cette milice fait partie des Organisations populaires (OP) sur lesquelles le président Aristide s’appuie pour se maintenir au pouvoir. Leur rôle est notamment d’effrayer les opposants politiques qu’elles n’hésitent pas à torturer, exécuter ou faire disparaître. En échange de leurs bons et loyaux services, certaines d’entre elles se livrent ouvertement à des activités mafieuses, notamment le trafic de drogue, dont elles tirent l’essentiel de leurs revenus. Se refusant à fermer les yeux plus longtemps sur cette situation, les Etats-Unis ont récemment demandé au président Aristide de mettre hors d’état de nuire certaines de ces organisations qui inondent de drogue le territoire américain. L’ordre a, semble-t-il, bien été exécuté puisque Amiot Métayer, l’un des criminels qui se trouvait dans la ligne de mire des Américains, a été assassiné. Son frère, Buteur Métayer, a depuis repris la tête de «l’Armée Cannibale». Et Winter Etienne, l’un de ses lieutenants, a affirmé mardi que ce groupe armé exercerait de violentes représailles sur des officiels haïtiens et étrangers qui se risqueraient aux Gonaïves le 1er janvier.
Une population aux abois
L’opposition au président Aristide s’est en fait énormément élargie au fil des derniers mois. Plusieurs milliers de personnes ont ainsi défilé mardi dans les rues de Port-au-Prince pour réclamer la démission du président Aristide. Dans le cortège se trouvaient de nombreux étudiants aux côtés de représentants de la société civile réunis au sein du groupe dit «des 184». Ce mouvement de contestation prend en fait de plus en plus d’ampleur depuis la tenue d’élections parlementaires frauduleuses en mai 2000 qui ont permis aux proches d’Aristide d’emporter près de 90% des sièges au sein de la chambre des députés. Quelques mois plus tard, Jean-Bertrand Aristide remportait sans peine les élections présidentielles avec 91,69% des suffrages lors d’un scrutin auquel à peine 15% des électeurs avaient participé.
Ce prêtre défroqué, qui avait incarné un immense espoir pour le pays en 1990 après pratiquement trente années de régime autoritaire, est aujourd’hui considéré comme un véritable dictateur par une grande partie de la communauté internationale. Et les Etats-Unis, qui avaient pourtant réinstallé cet homme à la tête du pays en 1994 après qu’il ait été victime d’un coup d’Etat, réfléchissent désormais à la manière de sortir le pays de la profonde crise économique, sociale et politique qu’il connaît. La perspective d’un exode continu de réfugiés haïtiens vers les Etats-Unis semble notamment effrayer les autorités américaines. Et Washington soutient du coup une solution de compromis de l’Eglise catholique prévoyant la création d’un conseil de neuf membres entourant le chef de l’Etat à partir du mois de janvier 2004. Ce plan, qui a également reçu l’aval de la France, est par contre vivement rejeté par l’opposition qui refuse de voir Jean-Bernard Aristide aller jusqu’au bout de son mandat présidentiel en février 2006.
Une grande partie de la population estime en fait que seul le départ du président haïtien permettra une amélioration de la situation économique. De fait, c’est après sa réélection en novembre 2000 que la communauté internationale a décidé de geler l’aide destinée à l’île. Or, les besoins sont immenses dans ce pays considéré comme le plus pauvre du continent américain. Selon l’Unicef, deux tiers de ses quelque 8 millions d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté et 10% des mineurs âgés de moins de quinze ans souffrent de malnutrition. Et par rapport aux autres pays de la zone des Amériques, c’est en Haïti que l’épidémie de sida fait le plus de ravages. Une détresse sociale qui laisse visiblement complètement indifférent le président Aristide, confortablement installé dans une luxueuse résidence située sur les hauteurs de la capitale. Pour remplir les caisses de l’Etat, il semble en fait compter sur un coup de pouce salvateur de la France à qui il a demandé la restitution d’environ 21 milliards de dollars, le «prix de l’indépendance». Ce chiffre, calculé par le président Aristide, correspondrait à la somme payée à l’époque par l’ex-colonie à la France, un pays avec lequel Haïti partage encore la même devise, «Liberté, Egalité, Fraternité». Une requête qui présente l’avantage majeur pour Aristide de détourner l’attention d’une partie de la population des véritables problèmes du pays.
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Lionel Trouillot, président de l'Union des écrivains haïtiens au micro de Noëlle Velly (01/01/2004, 7'50")
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par Olivier Bras
Article publié le 31/12/2003