Haïti
Il y a 200 ans mourait Toussaint Louverture, «premier des Noirs»
Haïti indépendante aura deux cent ans dans quelques mois. La mort de ceux qui l’ont enfanté aussi. Parmi eux, Toussaint Louverture premier esclave affranchi à s’adresser à Napoléon d’égal à égal, «du premier des Noirs au premier des Blancs». Pour le chantre de la négritude Aimé Césaire, ce premier gouverneur noir avait conquis la liberté pas seulement pour son pays mais aussi «pour les nègres du monde entier». Chérie et redoutée, Haïti qui s’est levée il y a deux cent ans, semble encore aujourd’hui à genoux. Et ses habitants se demandent ce qu'il faut célébrer 200 ans après.
De notre envoyée spéciale en Haïti
Pour quelques-uns, Toussaint serait mort deux fois. De mort naturelle et d’avoir souffert au fort de Joux, prison d’Etat du Jura français. Souffert d’avoir été arrêté par traîtrise par Napoléon, d’avoir été enfermé si loin de chez lui, dans le froid. Dans une école primaire du nord d’Haïti, les enfants récitent en cœur «li mouri de tristès». En fait, une maladie pulmonaire et la fatigue d’un homme de soixante ans de l’époque ont eu raison de lui. Une vie jonglant souvent d’un extrême à un autre avec malgré tout, une certaine cohérence.
Esclave jusqu’à 33 ans, il possèdera des esclaves lui-même. Chef de bandes armées, il rallie les troupes espagnoles puis leur ennemi l’armée française contre les Anglais. Toussaint, qui organisera la première union des Noirs, des Mulâtres et des Blancs et selon des écrits d’époque, est détesté par certains qui le comparent à un dictateur. Symbole de la liberté aujourd’hui, il avait dû imposer à nouveau le travail forcé des Noirs pour relancer l’économie de plantation. Personnage complexe, bon stratège, il parvint à asseoir le premier gouvernement autonome, la première constitution en 1801 qui lui accordait tous les pouvoirs; le nommait gouverneur à vie et lui permettait de choisir son successeur.
Héros pour Aimé Césaire, Victor Schoelcher ou Alphonse Lamartine qui dira de lui «cet homme est une nation», Toussaint a acquis surtout à l’extérieur de l’île l’étoffe d’un héros à l’instar de son pays qui fut le premier à vaincre les armées napoléoniennes en 1803. David contre Goliath.
Mort sans avoir connu Haïti indépendante, Toussaint est «l’aïeul» dont on raconte le moins les épopées. Sur le champ de Mars de la capitale, Port-au-prince, sa statue reste solitaire les dimanches après-midi entre le marron inconnu et le Palais national.
Au delà de l’île, le Bénin dont est originaire le père de Toussaint, le fort de Joux où Toussaint a survécu ses derniers jours, un village de Gascogne où résidait le colon ex-propriétaire de Toussaint, Bordeaux, ville de résidence forcée de la famille de Toussaint, Paris «ville des Lumières» marqueront cet événement mais aucun chef d’Etat ne fera le déplacement jusqu’en Haïti.
Une population courageuse et travailleuse
Car deux cent ans après, Haïti ne brille plus de la même lueur à la faveur de l’instabilité politique et des crimes impunis. Les épaules se haussent, les soupirs se succèdent «Tchip! Nous célébrons le bicentenaire dans le noir le plus complet. Que fêtons nous? la misère? ( Etat le plus pauvre des Amériques) l’analphabétisme? (près de 50% de la population est illétrée) le manque d’électricité ? (seule Jacmel en jouit 24 heures sur 24) d’eau potable? (seuls certains quartiers ont l’eau courante)»
Les «discours-miracle» décalés de la réalité du président Jean-Bertrand Aristide déclenchent l’affliction ou l’hilarité mais ne font plus l’unanimité comme en 1990, où le monde entier voyait en «Titid» le messie pour la population haïtienne. Une population courageuse et travailleuse qui invente mille astuces pour survivre, qui, même à l’âge adulte surcharge les écoles, qui, dès cinq heures du matin, s’efforce de déchiffrer des livres dont elle ne parle même pas la langue.
La malice populaire évoque aussi la nécessité de refaire la «cérémonie du bois caïman». Cérémonie vaudou qui dans la nuit du 22 au 23 août 1791 avait rassemblé des esclaves, dans un même combat pour mener les premières et décisives luttes pour l’abolition du système esclavagiste. Un cochon avait été sacrifié. Consciente de la situation quasi irréelle du pays, la blague se termine ainsi: «Mais qui sera le cochon?» Depuis quelques mois, des manifestations de protestation se risquent à défiler dans les rues de plusieurs villes contre celui à qui la population reproche d’avoir confisqué tous les pouvoirs. Si fiers de leur passé, les Haïtiens redoutent de passer le cap des deux cent premières années dans la limite de la dignité.
A lire également
La deuxième mort de Toussaint Louverture, Fabienne Pasquet, Actes Sud 2001
Liens utiles
Ville de Pontarlier dont dépend le fort de Joux où Toussaint Louverture est mort; http://www.ville-pontarlier.fr/
Liste des événements dans le monde autour de Toussaint Louverture http://www.gensdelacaraibe.org rubrique Haïti 2003-2004
Pour quelques-uns, Toussaint serait mort deux fois. De mort naturelle et d’avoir souffert au fort de Joux, prison d’Etat du Jura français. Souffert d’avoir été arrêté par traîtrise par Napoléon, d’avoir été enfermé si loin de chez lui, dans le froid. Dans une école primaire du nord d’Haïti, les enfants récitent en cœur «li mouri de tristès». En fait, une maladie pulmonaire et la fatigue d’un homme de soixante ans de l’époque ont eu raison de lui. Une vie jonglant souvent d’un extrême à un autre avec malgré tout, une certaine cohérence.
Esclave jusqu’à 33 ans, il possèdera des esclaves lui-même. Chef de bandes armées, il rallie les troupes espagnoles puis leur ennemi l’armée française contre les Anglais. Toussaint, qui organisera la première union des Noirs, des Mulâtres et des Blancs et selon des écrits d’époque, est détesté par certains qui le comparent à un dictateur. Symbole de la liberté aujourd’hui, il avait dû imposer à nouveau le travail forcé des Noirs pour relancer l’économie de plantation. Personnage complexe, bon stratège, il parvint à asseoir le premier gouvernement autonome, la première constitution en 1801 qui lui accordait tous les pouvoirs; le nommait gouverneur à vie et lui permettait de choisir son successeur.
Héros pour Aimé Césaire, Victor Schoelcher ou Alphonse Lamartine qui dira de lui «cet homme est une nation», Toussaint a acquis surtout à l’extérieur de l’île l’étoffe d’un héros à l’instar de son pays qui fut le premier à vaincre les armées napoléoniennes en 1803. David contre Goliath.
Mort sans avoir connu Haïti indépendante, Toussaint est «l’aïeul» dont on raconte le moins les épopées. Sur le champ de Mars de la capitale, Port-au-prince, sa statue reste solitaire les dimanches après-midi entre le marron inconnu et le Palais national.
Au delà de l’île, le Bénin dont est originaire le père de Toussaint, le fort de Joux où Toussaint a survécu ses derniers jours, un village de Gascogne où résidait le colon ex-propriétaire de Toussaint, Bordeaux, ville de résidence forcée de la famille de Toussaint, Paris «ville des Lumières» marqueront cet événement mais aucun chef d’Etat ne fera le déplacement jusqu’en Haïti.
Une population courageuse et travailleuse
Car deux cent ans après, Haïti ne brille plus de la même lueur à la faveur de l’instabilité politique et des crimes impunis. Les épaules se haussent, les soupirs se succèdent «Tchip! Nous célébrons le bicentenaire dans le noir le plus complet. Que fêtons nous? la misère? ( Etat le plus pauvre des Amériques) l’analphabétisme? (près de 50% de la population est illétrée) le manque d’électricité ? (seule Jacmel en jouit 24 heures sur 24) d’eau potable? (seuls certains quartiers ont l’eau courante)»
Les «discours-miracle» décalés de la réalité du président Jean-Bertrand Aristide déclenchent l’affliction ou l’hilarité mais ne font plus l’unanimité comme en 1990, où le monde entier voyait en «Titid» le messie pour la population haïtienne. Une population courageuse et travailleuse qui invente mille astuces pour survivre, qui, même à l’âge adulte surcharge les écoles, qui, dès cinq heures du matin, s’efforce de déchiffrer des livres dont elle ne parle même pas la langue.
La malice populaire évoque aussi la nécessité de refaire la «cérémonie du bois caïman». Cérémonie vaudou qui dans la nuit du 22 au 23 août 1791 avait rassemblé des esclaves, dans un même combat pour mener les premières et décisives luttes pour l’abolition du système esclavagiste. Un cochon avait été sacrifié. Consciente de la situation quasi irréelle du pays, la blague se termine ainsi: «Mais qui sera le cochon?» Depuis quelques mois, des manifestations de protestation se risquent à défiler dans les rues de plusieurs villes contre celui à qui la population reproche d’avoir confisqué tous les pouvoirs. Si fiers de leur passé, les Haïtiens redoutent de passer le cap des deux cent premières années dans la limite de la dignité.
A lire également
La deuxième mort de Toussaint Louverture, Fabienne Pasquet, Actes Sud 2001
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Ville de Pontarlier dont dépend le fort de Joux où Toussaint Louverture est mort; http://www.ville-pontarlier.fr/
Liste des événements dans le monde autour de Toussaint Louverture http://www.gensdelacaraibe.org rubrique Haïti 2003-2004
par Liza MICHEL
Article publié le 07/04/2003