Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Haïti

Un bicentenaire terni par la violence

A la veille du bicentenaire de l’indépendance d’Haïti, la première république noire, le régime du président Jean-Bertrand Aristide est confronté à une contestation généralisée. Au même moment une mission des Nations unies rend un rapport accablant sur la situation des droits de l’homme sur cette île des grandes Antilles.
1er janvier 1804 – 1er janvier 2004, les Haïtiens se préparaient de longue date à célébrer de manière grandiose le bicentenaire de l’indépendance de leur pays, mais les difficultés politiques, économiques et sociales du pays remettent tout en cause. Depuis quelques mois déjà la contestation estudiantine a débordé les campus et a gagné la rue. Les grèves se multiplient dans le monde du travail qui rejoint les étudiants et l’opposition politique pour réclamer la démission du président Jean-Bertrand Aristide. Les jeunes ont aussi saccagé la place d’armes des Gonaïves où le président de la République doit prononcer un discours dans le cadre de la célébration du bicentenaire de l’indépendance. La répression de ces mouvements, très violente, a fait en quelques mois plus d’une centaine de morts. Cette situation vient étayer les arguments du rapport de l’expert, Louis Joinet, nommé par le secrétaire général de l’ONU pour enquêter sur la situation des droits de l’homme en Haïti.

Le rapport du magistrat français, Louis Joinet dénonce clairement l’échec du régime Aristide qui voulait pourtant faire de la lutte contre l’impunité une de ses priorités. Le rapport conclut plutôt à une «détérioration» de la situation. Les entraves à l’exercice du droit sont devenues un sport national dont profitent «les délinquants en col blanc et cette impunité trouve ses racines, d’une part dans l’aggravation de la crise d’identité que traverse la police et les dysfonctionnements récurent de la justice, d’autre part dans la dégradation qui gangrène le système des Organisations populaires, dites OP», souligne Louis joinet. Ces organisations qui étaient censées exercer la démocratie de proximité et tenir un rôle d’éducateur entre les instances de la République et les citoyens sont devenues le siège de la corruption avec des dérives mafieuses.

Ainsi, des corps à la fois parallèles et intégrés à des services ont des statuts hybrides qui favorisent les exactions de toutes sortes et l’exercice violent d’autorité. Par exemple, les Brigades spécialisées «BS», corps de supplétifs de la police, ne connaissent pas forcément les limites de leurs compétences. Ils agissent selon les services en qualité d’officiers de police judiciaire, mais dans d’autres cas sont cantonnés à des missions de patrouille de la police préventive. Le profile de corps n’étant nulle part défini dans l’organigramme des services, les «BS» se retrouvent dans l’exécution des «basses œuvres», précise le rapporteur de l’ONU.

«Ne baissez pas la tête»

Dans cet environnement de confusion des prérogatives, Louis Joinet a repris à son compte les dénonciations argumentées de la «Coalition nationale pour les droits des Haïtiens» qui révèlent la présence des polices parallèles. Les mêmes dysfonctionnements existent à tous les niveaux de l’Etat et affectent directement le quotidien du citoyen qui ne croit plus en l’Etat garant des droits individuels et des libertés. La dégradation de la situation a pour effet, la naissance de groupuscules armés qui revendiquent des droits et finissent par s’ériger en structures d’autodéfense et de légitime-défense. Les ingrédients pour des affrontements internes et des règlements de compte sont réunis. «La situation est grave. Elle risque de devenir gravissime» prévient Louis Joinet qui en appelle à la force de conviction des Haïtiens et des défenseurs des droits de l’homme ; «ne baissez pas la tête» leur dit-il.

La contestation prend de l’ampleur, mais le pouvoir met un point d’honneur à célébrer malgré tout le bicentenaire de l’indépendance. Mais des intellectuels et artistes s’en démarquent en publiant une pétition dans laquelle ils condamnent la «dérive totalitaire » du régime qui recherche selon eux «une impossible légitimité». Ils refusent de participer aux manifestations organisées par le pouvoir. «Ne pas nous associer au gouvernement, ce n’est pas nous opposer à l’unité haïtienne, c’est au contraire la défendre», préviennent-ils.

A cette démarche d’isolement du pouvoir participent les Etats-Unis, les parrains d’hier de Jean-Bertrand Aristide, qui par une déclaration de l’ambassadeur en Haïti, James Foley fustige la politique conduite par le pouvoir de Port-au-Prince. «A la veille de la commémoration du bicentenaire de l’indépendance d’Haïti, un événement qui retentit encore aujourd’hui comme le symbole de la victoire sur l’oppression, il est regrettable de noter l’état déplorable des droits humains en Haïti. La liberté acquise par les Haïtiens il y a 200 ans est minée par le non-respect des droits humains de nos jours», a-t-il écrit. Relayant la position officielle de son pays il affirme que «les Etats-Unis s’engagent à soutenir tous les Haïtiens dans l’exercice de leurs libertés fondamentales». Aussi, l’ambassade américaine a-t-elle fermé ses portes lors des manifestations du vendredi 12 décembre. Par ailleurs, des experts norvégiens en mission de formation ont écourté leur séjour et sont rentrés à Oslo.

Au Canada, l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI), regroupant une cinquantaine d’ONG a vivement condamné le gouvernement d’Haïti en affirmant que «le doute n’est plus permis quant à la responsabilité des plus hautes instances du gouvernement haïtien et du président Jean-Bertrand Aristide lui-même dans ce déchaînement de violences». Par ailleurs, Pamela Greenwell, porte-parole du ministère canadien des Affaires étrangères a déclaré que «le Canada n’appuie pas le gouvernement Aristide» et a rappelé qu’Ottawa a condamné la violence en Haïti dans le cadre de l’Organisation des Etats américains.

Ecouter également :L'invité du matin, 16/12/2003, Louis Joinet, Magistrat, rapporteur à la sous-commission des droits de l'Homme sur la détention arbitraire et expert auprès du HCR à Genève.



par Didier  Samson

Article publié le 16/12/2003