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Haïti

Ultimatum international

Une médiation internationale composée de représentants des Etats-Unis, du Canada, de la France et des pays de la Communauté des Caraïbes (Caricom) est arrivée le 21 février à Port-au-Prince avec un plan de règlement pacifique. Soumis au président Jean-Bertrand Aristide et à son opposition civile, il exclut la rébellion armée qui, depuis le 5 février, s'est propagée dans le nord-ouest et le centre d'Haïti au prix de plus d’une soixantaine de morts, dont une vingtaine de policiers. Aristide accepte ce plan qui préconise son maintien à la présidence jusqu'à la fin de son mandat en février 2006. En revanche, le 22 février, l’opposition civile continuait de demander son départ. Les médiateurs lui ont donné jusqu’à lundi 17 heures locales pour donner une réponse sur cet arrangement, «à prendre ou à laisser», qui prévoit aussi un relatif partage du pouvoir et le désarmement des groupes armés. De leur côté, les insurgés réclament le dialogue.
Jean-Bertrand Aristide sauve son fauteuil de président. En échange, les médiateurs préconisent la formation d’un comité composé de trois représentants de son bord, de représentants de l'opposition mais aussi de la communauté internationale. Ce comité représentatif de la société haïtienne serait chargé de nommer un conseil de 9 à 15 personnes auprès de la présidence. Le conseil serait chargé à son tour de désigner un Premier ministre et un nouveau gouvernement de consensus. Selon cette formule, le président abandonnerait ses pouvoirs sur la police au Premier ministre. Le chef du gouvernement se verrait confier en particulier la supervision du désarmement des insurgés et des miliciens du parti au pouvoir, Famille Lavalas. Les Nations unies ou l'Organisation des Etats Américains (OEA) pourraient prendre en charge les aspects techniques de ce volet sécuritaire, avec, par exemple, la reprise en main des quelque 5 000 policiers du pays. Au plan politique, les médiateurs demandent l’organisation de législatives «libres et justes à une date rapprochée» afin de pourvoir les sièges de l’Assemblée nationale dissoute le 12 janvier par Aristide en quête d’une majorité à son goût.

La médiation internationale a donné à l’opposition jusqu’à lundi 17 heures locales (22heures GMT) pour revenir sur son rejet du plan de sortie de crise, vite accepté en revanche par Aristide. Samedi, après cinq heures de discussions avec la «Plate-forme démocratique de la société civile et des partis d'opposition», les médiateurs assuraient très diplomatiquement que les négociations n’étaient pas encore dans «l’impasse», selon le mot du ministre canadien de la Francophonie, Denis Coderre. Pour sa part, le ministre des Affaires étrangères des Bahamas, Fred Mitche n’a d’ailleurs enregistré ni oui ni non émanant de l’opposition. Ce n’était pourtant pas ce qui semblait devoir être retenu des déclarations selon lesquelles «l'opposition maintient sa position. La seule solution à la crise, c'est le départ de Jean Bertrand Aristide», abondamment relayées dans la matinée par la station locale, Radio Métropole Micha Gaillard, porte-parole de la Convergence démocratique des partis d'opposition.

«Si Aristide reste, nous risquons de disparaître comme opposition»

«Jean Bertrand Aristide est le responsable direct de la violence en Haïti car il a distribué des armes. Il a créé des gangs armés pour terroriser la population, intimider les partis politiques et faire taire toute opposition», déclare André Apaid, responsable du Groupe des 184 qui rassemble la société civile et le patronat et qui exige, lui aussi le départ d’Aristide, en préalable à tout plan de règlement inter-haïtien. Certains considèrent d’ailleurs qu’en gardant Aristide à la magistrature suprême, le risque est de «disparaître comme opposition». Prenez garde aux réactions des «fanatiques d'Aristide», leur objecte le maire de Port-au-prince, Rassoul Labuchin. «Notre rôle n'est pas de demander le départ du président», renchérit la médiation, ce qui rassure grandement Jean-Bertrand Aristide qui a accepté sans tarder et «par écrit», dit-il, le plan international. Ce dernier présente en effet bien des avantages, le moindre n’étant pas de le maintenir au pouvoir. Il écarte aussi les anciens nervis d’Aristide entrés en rébellion avec le renfort des anciens partisans de son tombeur de 1991, Raoul Cédras.

«Nous avons accepté d'avoir un nouveau gouvernement et un nouveau Premier ministre», note Aristide. Mais, se félicite-t-il : «nous ne travaillerons avec aucun terroriste». Nul doute qu’Aristide compte s’arranger de l’opposition civile pour peu que le ménage soit fait par d’autres dans les rangs de ses adversaires armés ou même de ses trop remuants partisans. C’est en tout cas ce que la ligne de conduite des médiateurs. Qualifiant les insurgés de «criminels usant de la violence», le délégué canadien précise : «Nous sommes prêts à assurer une aide internationale, notamment en matière de sécurité», une aide «conditionnée à l'acceptation du plan». Reste à convaincre l’opposition civile d’accepter le volet politique de ce programme, mais aussi à mettre en œuvre le désarmement promis.

Exclus du plan de la communauté internationale et considérés par l’Onu comme étant sans «liens formalisés avec l'opposition politique», les insurgés n’en demandent pas moins, eux aussi le départ d’Aristide. «Tout le monde veut qu'il parte. Il faut qu'il parte pour sauver le pays, il faut qu'il oublie son ego», prêche par exemple l’ancien commissaire de police Guy Philippe, nouveau «commandant en chef» du Front Révolutionnaire National pour la libération d'Haïti, la dernière étiquette en date de l'insurrection armée qui tient notamment la quatrième ville du pays, les Gonaïves, au nord-ouest et s'est emparée dimanche de la deuxième ville du pays, Cap-Haïtien. Mais Guy Philippe voudrait surtout participer aux négociations qui vont redistribuer les cartes dans les allées du pouvoir. Il en appelle donc à «l'ONU, l'OEA et aux pays amis» pour qu’ils jouent «leur rôle» en favorisant un «dialogue» inclusif, c’est-à-dire rebelles compris. Accusé d’avoir été l'un des organisateurs de la tentative de putsch contre le président Aristide, en décembre 2001, Guy Philippe côtoie aujourd’hui Louis Jodel Chamblain, un ancien chef des paramilitaires du général dictateur Raoul Cédras, mais aussi les chefs de l’armée «cannibale» des frères Métayer qui se sont retournés contre Aristide après lui avoir servi de miliciens, ou bien encore l’ancien fonctionnaire des services de santé désormais porte-parole des insurgés, Winter Etienne. Ce dernier menace aujourd’hui de «hisser le drapeau cubain si les Américains venaient pour soutenir Jean-Bertrand Aristide». Restaurer l’ordre en Haïti ne sera visiblement pas une tâche facile.

En attendant, c’est le sauve-qui-peut du côté des ressortissants étrangers, quelque 23 000 personnes, dont 20 000 Américains bi-nationaux, 2 000 Français (dont 1 600 dans la capitale) et un millier de Canadiens. Favorable à une intervention musclée, Paris voit plus loin qu’une simple évacuation humanitaire. De son côté, Washington a déjà sonné le rappel de ses personnels diplomatiques «non essentiels» en Haïti. «Il est dangereux de rester à Haïti au regard de la dégradation de la situation en matière de sécurité», explique le département d'Etat qui hausse le ton à Port-au-Prince pour faire plier l’opposition qui refuse de faire crédit à Aristide et continue à demander son départ. Le plan «est à prendre ou à laisser», insistent les médiateurs, parmi lesquels le sous-secrétaire d'Etat américain chargé de l'hémisphère occidental, Roger Noriega. Et s’il était besoin de mettre les points sur les i, le porte-parole de la délégation répète : «Le message de la communauté internationale est clair. Il y a un sentiment d'urgence, d'unité et de fermeté. C'est une occasion que nous offrons à l'opposition de participer à ce processus». Une offre en forme d’ultimatum dont le terme échoit lundi, au crépuscule.



par Monique  Mas

Article publié le 22/02/2004