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Haïti

L’opposition rejette le compromis

L’opposition haïtienne a finalement annoncé le 24 au soir son rejet du plan de sortie de crise proposé par la communauté internationale et prévoyant le maintien sous la tutelle d’un Premier ministre issu de l’opposition du président élu, Jean-Bertrand Aristide. Elle maintient sa position de principe exigeant, au préalable, le départ du chef de l’Etat.
C’est incontestablement un échec pour les Etats-Unis, la France, le Canada l’Organisation des Etats américains (OEA) et la communauté régionale Caraïbes (Caricom), maîtres d’œuvre de la médiation. Toutefois, comme l’a expliqué à nos envoyés spéciaux l’un des leaders anti-Aristide, Evans Paul, l’opposition ne renonce pas au dialogue et ne ferme pas la porte aux négociations:
Ecouter Evans Paul -25 févr. 2004, 1’07’’.
Mais elle estime que le président Aristide a montré «qu’il n’est pas décidé à respecter le plan international qu’il a accepté» samedi, lors du démarrage de la mission internationale de bons offices.

Ce rejet était prévisible. Au cours de ces dernières semaines en effet l’opposition légale, constituée par les partis politiques et les membres de la sociétés civiles (syndicats et associations) réunie au sein d’une «plate-forme démocratique», avait maintes fois annoncé que toute solution à la crise devrait nécessairement passer par le départ du président Jean-Bertrand Aristide. D’autre part, depuis le début du mois de février, l’entrée en scène d’une rébellion armée radicale a fait monter les enchères. Celle-ci a chassé les forces de l’ordre haïtiennes de la moitié du territoire, s’est emparée dans la nuit du 23 au 24, d’une nouvelle ville, Port-de-Paix, et ne cache pas ses ambitions de se lancer à l’assaut de la capitale ces prochains jours.

En dépit des succès enregistrés et de la faible résistance rencontrée, les rebelles en armes ne semblent pourtant pas en mesure de contrôler la situation dans les villes tombées entre leurs mains et garantir le maintien de l’ordre. Selon les radios haïtiennes, la chute de Port-de-Paix a été accompagnée de pillages et d’incendies. D’autre part la rébellion suscite une grande méfiance de la part de la communauté internationale, et ses représentants refusent tout contact avec elle.

Le poids des insurgés sur les négociations

Néanmoins la dimension militaire de la situation a vraisemblablement pesé de tout son poids sur la décision prise par l’opposition légaliste de rejeter la proposition de la communauté internationale. Bien que les deux parties opposées à Jean-Bertrand Aristide ne semblent partager qu’une même volonté d’en finir avec le régime, rien n’indique l’existence d’une coordination entre «les politiques» et «les militaires». Il pèse sur ces derniers, qualifiés par Washington de «délinquants» et «aventuriers», de lourds soupçons d’opportunisme, notamment en raison du fait que certains d’entre eux soutenaient il y a quelques mois encore un président qui, aujourd’hui, les traite de «terroristes» liés à des «trafiquants de drogue». Cependant, indépendamment du doute qui pèse sur la sincérité de leur engagement dans l’établissement d’un régime plus respectueux de l’Etat de droit, ils représentent aujourd’hui l’un des trois sommets du triangle haïtien : pouvoir, rébellion, opposition. A ce titre, ils sont devenus une dimension incontournable du conflit et, sauf à tenter de les réduire par la force au risque d’un bain de sang, ils continueront de peser sur les décisions à venir.

Face à l’échec enregistré dans la nuit du 24 au 25, et compte tenu de la gravité de la situation, la communauté internationale ne baisse pas les bras et entend bien poursuivre le travail entamé. Le secrétariat d’Etat américain et le ministère français des Affaires étrangères sont en contact quasi permanent. La France veut organiser à Paris une série de discussions au cours de ces prochains jours entre les médiateurs internationaux et les représentants de l’opposition et du gouvernement. L’objectif est toujours d’amener l’opposition à négocier dans le cadre constitutionnel, c’est à dire à trouver une solution intégrant la présence du président élu, malgré la menace que les insurgés font peser sur cette hypothèse.

La dimension militaire de la résolution de la crise n’est pas négligée non plus. Opération de police ou militaire ? L’option n’est pas encore clairement définie. Washington annonce sa disponibilité pour un engagement policier dans le cadre d’un accord conclu, alors que Paris avait, ces derniers jours, envisagé la mise à disposition de ses moyens militaires régionaux (antillais et guyanais). Aujourd’hui on s’en tient à évoquer une coopération policière dans le cadre d’une décision de l’Onu.

Sur place, la capitale, tenue par les partisans du président Aristide, se prépare à toute éventualité et s’apprête à affronter un assaut de la rébellion. Des barricades sont érigées et une certaine nervosité est perceptible parmi les miliciens. Selon l’AFP, qui cite des sources bien informées, des défections sont en cours parmi les fidèles du régime. L’agence annonce que le secrétaire d’Etat aux Affaires sociales et ancien directeur général de la police, Jean-Claude Jean-Baptiste, est en fuite.



par Georges  Abou

Article publié le 25/02/2004