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Haïti

Vers l’épreuve de force

Trois jours après la chute du président Aristide, un bras de fer est sur le point de s’engager entre la force internationale intérimaire, qui poursuit son déploiement, et les insurgés qui, forts de leurs succès, revendiquent le statut d’armée nationale haïtienne. L’administration américaine leur demande de désarmer, tandis que la classe politique haïtienne se montre conciliante à leur égard.
Le dispositif militaire étranger poursuit sa montée en puissance et les soldats de la force intérimaire ont commencé à se déployer dans la capitale. Mardi, des soldats américains ont investi le port de la ville à bord de véhicules blindés équipés de mitrailleuses et de lance-missiles. Ils n’ont pas fait usage de leurs armes. Le colonel David Berger, qui commande les quelque 450 marines dépêchés à Port-au-Prince, estime que la présence de ses hommes sera suffisamment dissuasive pour éviter l’usage du feu. La situation reste toutefois tendue dans la capitale en raison de l’incertitude politique qui pèse sur le climat général et sécuritaire en particulier en raison de la présence des insurgés, qui se proclament à présent membres de la nouvelle armée haïtienne, et des miliciens de l’ancien régime, les fameuses «chimères».

Alors que ces dernières posent un problème militaire d’ordre purement technique (mission de maintien de l’ordre), les premiers s’inscrivent désormais dans le cadre de la résolution politique global du conflit haïtien, en tant qu’éléments incontournables de la nouvelle donne. Et en dépit de ses réticences à reconnaître leur légitimité politique, l’opposition institutionnelle, bien consciente du poids militaire qu’il représente et de leur incontestable popularité pour leur contribution à la chute du régime, ne s’oppose plus à leur participation au processus de normalisation.

Fort de cette reconnaissance interne, ils sont revenus sur leur promesses initiales de désarmer et de rendre le pouvoir à une administration civile dés le départ de Jean-Bertrand Aristide. «Je ne vais pas déposer les armes, malgré les pressions internationales (…). Seul le peuple peut nous demander ce qu’il veut», a déclaré leur chef, Guy Philippe, tandis que Winter Etienne, le porte-parle et responsable politique du mouvement (Front de résistance nationale), indiquait à l’AFP «on ne peut pas demander à l’armée d’Haïti de remettre ses armes». Et, clarifiant la revendication de son mouvement, il déclare : «il faut que Guy Philippe (…) rencontre le président par intérim Boniface Alexandre et soit nommé commandant en chef des forces armées haïtiennes».

En dépit du passé sulfureux de certains leaders de ce Front de résistance nationale, ses exigences ont de bonne chance d’être entendues compte tenu de la volonté affichée des insurgés de restaurer l’ordre, de se débarrasser des milices de l’ancien régime, du vide laissé par la déliquescence des forces de police et de la nécessité de restaurer une puissance publique capable de forcer le respect. Et pour mettre leurs actes en conformité avec leurs déclarations, leur chef a lancé mardi un ultimatum aux «chimères» afin qu’ils déposent les armes avant 21 heures TU, annonçant également avoir procédé à des arrestations. Mardi également, sous la conduite des insurgés, une foule de manifestants a saccagé le musée d’art haïtien, installé symboliquement dans l’ancien quartier général de l’armée, dissoute en 1995 par le président déchu.

«Une bande de gens en haillons»

Pourtant les insurgés demeurent indésirables aux yeux de la communauté internationale. L’administration américaine a rappelé son opposition à leur participation aux négociations en cours. «Les rebelles n’ont aucun rôle dans le processus politique. Tous les groupes illégaux et armés doivent déposer les armes», a notamment déclaré le porte-parole du département d’Etat, Richard Boucher. Devant une commission du Congrès américain, le secrétaire d’Etat adjoint aux affaires américaines, Roger Noriega, a été encore plus sévère, déclarant que Guy Philippe «n’a de contrôle sur rien, mis à part une bande de gens en haillons».

Jusqu’à présent les marines n’ont pas reçu l’ordre d’intervenir contre les insurgés, ni a fortiori de les désarmer. Mais ils sont pourtant intervenus pour sécuriser les bureaux du Premier ministre de Jean-Bertrand Aristide, Yvon Neptune toujours en poste, après les menaces d’arrestation lancées par les hommes de Guy Philippe.

Par ailleurs, afin de renforcer le dispositif français déjà sur place, quelque 110 à 140 légionnaires du 3ème régiment étranger d’infanterie étaient attendus mercredi en provenance de Guyane, alors qu’un nouveau contingent de gendarmes en provenance de métropole arrivait sur place. De même, les premiers soldats chiliens, au nombre de 120, sont attendus dans les 48 heures. En revanche, les troupes annoncées par le Brésil n’arriveront pas avant deux ou trois mois.

Mercredi matin à Port-au-Prince, trois jours après la chute du régime, rien ne permettait d’affirmer que la situation était en bonne voie de normalisation. On ignore en effet quelle sera l’issue du bras de fer en cours entre une classe politique apparemment soucieuse de ne pas s’engager au-delà dans l’aventure militaire en exigeant le démantèlement d’une insurrection attentive à ménager sa popularité et son avenir et, d’autre part, les décisions d’une communauté internationale préoccupée par l’habillage institutionnel de son intervention.

Les dernières nouvelles en provenance de Port-au-Prince annonçaient que la nuit avait été calme. Toutefois, selon l’AFP, plusieurs quartiers de la ville étaient toujours sous le contrôle des «chimères». L’aéroport avait rouvert aux vols civils.

Dans une déclaration, mardi, le secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan, a estimé que la stabilisation d’Haïti pourrait prendre des années.



par Georges  Abou

Article publié le 03/03/2004