Haïti
Les nuances de la communauté internationale
Alors que la classe politique cherche ses nouveaux leaders, des voix s’élèvent au sein de la communauté internationale pour dénoncer les circonstances de la chute du président Aristide et critiquer la méthode retenue pour restaurer l’ordre dans le pays. Vendredi, les Américains ont accepté de prendre le commandement de la force internationale intérimaire.
Un mois après le début de l’insurrection qui a porté le coup fatal à la présidence de Jean-Bertrand Aristide, l’incertitude continue de peser sur la validité du scénario de sortie de crise élaborée par la communauté internationale. Tout d’abord celle-ci avance en ordre dispersé et, cinq jours après la chute du chef de l’Etat, des voix discordantes se font entendre de plus en plus clairement sur le processus qui a conduit à la situation actuelle et notamment sur les conditions du départ du président élu.
Au mépris du devoir de réserve qui lui est réclamé et en dépit de l’embarras qu’il provoque à Bangui, première étape de son exil avant de rejoindre l’Afrique du Sud, Jean-Bertrand Aristide multiplie les déclarations selon lesquelles il est bien parti contre sa volonté et a été victime d’un coup d’Etat. Il accuse les Etats-Unis de l’avoir enlevé et la France de complicité, en rétorsion à sa demande de restitution de la dette de l’indépendance, de 21,7 milliards de dollars, réclamée par Port-au-Prince à Paris. Selon lui, «il n’y a pas eu démission formelle selon les normes» et il déclare vouloir rentrer dans son pays. Son avocat envisage de porter plainte pour «rapt international».
Vendredi, le ministère français des Affaires étrangères qualifiait de «tout à fait inappropriée» les déclarations du président déchu. «Les choses sont très claires, il n’y a aucune matière à quelque polémique que ce soit. Nous avons dit que le président Aristide était face à ses responsabilités, il les a prises», a annoncé le porte-parole, Hervé Ladsous. Même tonalité à Washington où le porte-parole du département d’Etat a assuré qu’«il n’y a pas eu de kidnapping, pas eu de coup, pas eu de menace. Nous avons fini par le secourir en le faisant sortir du pays alors qu’il aurait très certainement dû affronter des violences». En conséquence, les Etats-Unis ont catégoriquement rejeté la demande d’enquête sur les circonstances du départ de M. Aristide.
Cette idée pourtant commence à trouver quelques oreilles favorables au sein de la communauté internationale. La ministre sud-africaine des Affaires étrangères, Nkosazana Dlamini-Zuma, a réclamé l’ouverture d’une telle enquête sous les auspices de l’ONU pour «clarifier» cette affaire. De même, la communauté Caraïbes (Caricom), membre du groupe de contact initialement créé pour tenter de trouver une solution à la crise avant qu’elle ne dégénère en conflit armé, a également réclamé l’ouverture d’une enquête indépendante sur ce départ précipité, le 29 février à l’aube.
«Altération substantielle de l’ordre constitutionnel»
Jeudi, lors d’un sommet extraordinaire, la Caricom a rappelé sa surprise en apprenant la façon dont Jean-Bertrand Aristide avait précipitamment quitté son pays, alors que quelques heures auparavant il réaffirmait son souci d’achever son mandat présidentiel, qui devait prendre fin en 2006. La Caricom rappelle la menace que constitue pour des institutions la déposition d’un président élu, «non seulement pour Haïti mais pour tous les dirigeants démocratiquement élus et les gouvernements dans le monde». «Les chefs d’Etat et de gouvernement (de l’organisation régionale) ont été déçus des réticences du Conseil de sécurité à décider immédiatement d’une réponse aux appels d’aide du gouvernement d’Haïti», souligne le communiqué final.
Le Venezuela, qui entretient actuellement de très mauvaises relations avec Washington, a joint sa voix à celles des protestataires. Son ambassadeur auprès de l’Organisation des Etats américains (OEA, 34 Etats) a regretté le silence de l’institution panaméricaine sur les circonstances de la chute de Jean-Bertrand Aristide. Haïti subit «une altération substantielle de l’ordre constitutionnel (…) un coup d’Etat au ralenti», a déclaré Jorge Valero qui a d’autre part rappelé que l’OEA avait adopté le mois dernier une résolution de soutien à M. Aristide.
Ces crispations se traduisent sur le terrain au niveau de la participation à la force intérimaire chargée de contribuer à la restauration de l’ordre. Le communiqué de la Caricom indique clairement que ses vingt pays membres (15 de droit et 5 associés) «n’envisageaient pas de participer à la force multinationale» actuellement à l’œuvre. En revanche, «ils sont d’accord pour participer à la force de stabilisation de l’Onu», qui lui succédera dans moins de 90 jours, délai maximum fixé au mandat des soldats américains, français, canadiens et chiliens déployés sur place. Vendredi, les Américains ont accepté de prendre le commandement des troupes étrangères déployées dans le cadre de cette force intérimaire internationale. Jusqu’à présent, chaque corps expéditionnaire obéissait à son propre commandement national.
Reste que ces divergences d’appréciation offrent le spectacle d’une communauté internationale pour le moins divisée sur le mode d’action engagé et son calendrier précipité. Et ces divisions pourraient se révéler préjudiciables pour la recherche d’une solution, au moment où les signaux extérieurs devraient indiquer un minimum de consensus. Les informations en provenance d’Haïti indiquent que la sécurité n’est pas encore garantie dans la capitale et, a fortiori, dans le reste du pays. Sous la pression d’un contingent international aujourd’hui craint et respecté, les rebelles ont accepté de remiser les armes, mais pas de les rendre. Nombre d’incidents rapportés montrent un haut degré d’exaspération de la population que la présence de militaires étrangers peut exacerber en cas de dérapage. La recherche d’une équipe politique capable de sortir le pays de la crise constitutionnelle marquera, ces prochains jours, une étape capitale, mais elle devra se montrer capable de fédérer les espoirs de tous les Haïtiens, et pas seulement de satisfaire les membres d’une classe politique de notables urbains.
Ecouter également : le reportage de Catherine Monnet et de Manu Pochez aux alentours du palais national, là où les forces américaines se sont déployées.
Au mépris du devoir de réserve qui lui est réclamé et en dépit de l’embarras qu’il provoque à Bangui, première étape de son exil avant de rejoindre l’Afrique du Sud, Jean-Bertrand Aristide multiplie les déclarations selon lesquelles il est bien parti contre sa volonté et a été victime d’un coup d’Etat. Il accuse les Etats-Unis de l’avoir enlevé et la France de complicité, en rétorsion à sa demande de restitution de la dette de l’indépendance, de 21,7 milliards de dollars, réclamée par Port-au-Prince à Paris. Selon lui, «il n’y a pas eu démission formelle selon les normes» et il déclare vouloir rentrer dans son pays. Son avocat envisage de porter plainte pour «rapt international».
Vendredi, le ministère français des Affaires étrangères qualifiait de «tout à fait inappropriée» les déclarations du président déchu. «Les choses sont très claires, il n’y a aucune matière à quelque polémique que ce soit. Nous avons dit que le président Aristide était face à ses responsabilités, il les a prises», a annoncé le porte-parole, Hervé Ladsous. Même tonalité à Washington où le porte-parole du département d’Etat a assuré qu’«il n’y a pas eu de kidnapping, pas eu de coup, pas eu de menace. Nous avons fini par le secourir en le faisant sortir du pays alors qu’il aurait très certainement dû affronter des violences». En conséquence, les Etats-Unis ont catégoriquement rejeté la demande d’enquête sur les circonstances du départ de M. Aristide.
Cette idée pourtant commence à trouver quelques oreilles favorables au sein de la communauté internationale. La ministre sud-africaine des Affaires étrangères, Nkosazana Dlamini-Zuma, a réclamé l’ouverture d’une telle enquête sous les auspices de l’ONU pour «clarifier» cette affaire. De même, la communauté Caraïbes (Caricom), membre du groupe de contact initialement créé pour tenter de trouver une solution à la crise avant qu’elle ne dégénère en conflit armé, a également réclamé l’ouverture d’une enquête indépendante sur ce départ précipité, le 29 février à l’aube.
«Altération substantielle de l’ordre constitutionnel»
Jeudi, lors d’un sommet extraordinaire, la Caricom a rappelé sa surprise en apprenant la façon dont Jean-Bertrand Aristide avait précipitamment quitté son pays, alors que quelques heures auparavant il réaffirmait son souci d’achever son mandat présidentiel, qui devait prendre fin en 2006. La Caricom rappelle la menace que constitue pour des institutions la déposition d’un président élu, «non seulement pour Haïti mais pour tous les dirigeants démocratiquement élus et les gouvernements dans le monde». «Les chefs d’Etat et de gouvernement (de l’organisation régionale) ont été déçus des réticences du Conseil de sécurité à décider immédiatement d’une réponse aux appels d’aide du gouvernement d’Haïti», souligne le communiqué final.
Le Venezuela, qui entretient actuellement de très mauvaises relations avec Washington, a joint sa voix à celles des protestataires. Son ambassadeur auprès de l’Organisation des Etats américains (OEA, 34 Etats) a regretté le silence de l’institution panaméricaine sur les circonstances de la chute de Jean-Bertrand Aristide. Haïti subit «une altération substantielle de l’ordre constitutionnel (…) un coup d’Etat au ralenti», a déclaré Jorge Valero qui a d’autre part rappelé que l’OEA avait adopté le mois dernier une résolution de soutien à M. Aristide.
Ces crispations se traduisent sur le terrain au niveau de la participation à la force intérimaire chargée de contribuer à la restauration de l’ordre. Le communiqué de la Caricom indique clairement que ses vingt pays membres (15 de droit et 5 associés) «n’envisageaient pas de participer à la force multinationale» actuellement à l’œuvre. En revanche, «ils sont d’accord pour participer à la force de stabilisation de l’Onu», qui lui succédera dans moins de 90 jours, délai maximum fixé au mandat des soldats américains, français, canadiens et chiliens déployés sur place. Vendredi, les Américains ont accepté de prendre le commandement des troupes étrangères déployées dans le cadre de cette force intérimaire internationale. Jusqu’à présent, chaque corps expéditionnaire obéissait à son propre commandement national.
Reste que ces divergences d’appréciation offrent le spectacle d’une communauté internationale pour le moins divisée sur le mode d’action engagé et son calendrier précipité. Et ces divisions pourraient se révéler préjudiciables pour la recherche d’une solution, au moment où les signaux extérieurs devraient indiquer un minimum de consensus. Les informations en provenance d’Haïti indiquent que la sécurité n’est pas encore garantie dans la capitale et, a fortiori, dans le reste du pays. Sous la pression d’un contingent international aujourd’hui craint et respecté, les rebelles ont accepté de remiser les armes, mais pas de les rendre. Nombre d’incidents rapportés montrent un haut degré d’exaspération de la population que la présence de militaires étrangers peut exacerber en cas de dérapage. La recherche d’une équipe politique capable de sortir le pays de la crise constitutionnelle marquera, ces prochains jours, une étape capitale, mais elle devra se montrer capable de fédérer les espoirs de tous les Haïtiens, et pas seulement de satisfaire les membres d’une classe politique de notables urbains.
Ecouter également : le reportage de Catherine Monnet et de Manu Pochez aux alentours du palais national, là où les forces américaines se sont déployées.
par Georges Abou
Article publié le 06/03/2004