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Haïti

Port-au-Prince, le chaos

Des policiers haïtiens patrouillent devant une église recouverte de photographies du président déchu Jean-Bertrand Aristide, le 27 juin dernier. Malgré la multiplication des rondes dans les quartiers de Port-au-Price avec le soutien des troupes de l'ONU, la violence et  les kidnappings ne cessent d'augmenter.(photo : AFP)
Des policiers haïtiens patrouillent devant une église recouverte de photographies du président déchu Jean-Bertrand Aristide, le 27 juin dernier. Malgré la multiplication des rondes dans les quartiers de Port-au-Price avec le soutien des troupes de l'ONU, la violence et les kidnappings ne cessent d'augmenter.
(photo : AFP)
La capitale haïtienne et sa banlieue sont plongées dans un climat de violence qui affecte toutes les couches de la population. Les rapts crapuleux se multiplient et sont accompagnés d’exactions sadiques. En dépit de l’investissement de la communauté internationale, les autorités ne sont pas en mesure de garantir le minimum de sérénité indispensable au fonctionnement d’une société civile. Les Haïtiens qui en ont les moyens quittent la capitale ou partent en exil.

Enlevé le 10 juillet, la dépouille martyrisée du journaliste Jacques Roche a été retrouvé mercredi. Son corps portait des traces de balles. Il était entravé, pieds et torse nus, mutilé, les membres brisés. Sa famille et ses proches n’avaient pas réuni les 250 000 dollars de rançon exigée par ses ravisseurs. Ils n’avaient pu rassembler que 10 000 dollars, remis aux kidnappeurs qui, pour toute réponse, avaient déclaré attendre le versement du reste avant de mettre leur menace de mort à exécution. La disparition de Jacques Roche, chef du service Culture du quotidien Le Matin, collaborateur de Radio Ibo et animateur d’une émission de télévision locale, a déclenché une vague d’indignation relayée par la presse haïtienne et l’organisation Reporters sans frontières.

Le changement de régime à Port-au-Prince avait été accueilli avec soulagement par une profession harcelée par les milices du parti Lavalas du chef d’Etat déchu en février 2004, Jean-Bertrand Aristide. Mais, dans un pays à l’administration délabrée, toujours profondément empêtré dans ses difficultés, sans restauration de l’état de droit, la liberté de la presse demeure un vœu pieux. Haïti est toujours sidéré par la misère et profondément traumatisé par une succession d’épisodes politiques calamiteux. Si les menaces et intimidations à l’égard des journalistes ont diminué, elles n’ont pas cessé. Certains s’exilent, comme l’a fait Nancy Roc de Radio Métropole le 16 juin, tandis que d’autres échappent miraculeusement à des tentatives d’enlèvement ou de meurtre, comme Richard Widmaier de Radio-Métropole, lui aussi, le 11 juin. Et la liste n’est pas close. Ce climat délétère est entretenu par un profond climat d’impunité en raison d’une police très exposée mais apparemment impuissante, en dépit de quelques succès, et d’une justice manifestement incapable. Les tueurs du célèbre journaliste Jean Dominique, assassiné en 2000, courent toujours et l’enquête semble enterrée pour d’inavouables raisons.

6 à 10 enlèvements quotidiens

La tragédie de Jacques Roche, et le climat de violences et de contraintes en général qui enserrent la presse, révèle une nouvelle fois la fragilité des journalistes haïtiens. Mais elle souligne également la dégradation de la situation dans ce pays où, depuis la chute il y a dix-huit mois de l’ancien président, la situation tourne au chaos dans la capitale et ses quartiers où l’insécurité règne en maître absolue du pavé. Le chiffre de 6 à 10 enlèvements quotidiens à Port-au-Prince circule. Selon l’agence américaine Associated Press, plus de 700 personnes ont été tuées, dont 40 policiers depuis le mois de septembre 2004, essentiellement par les ex-miliciens de l’ancien régime reconvertis dans le grand banditisme, en attendant un éventuel come-back de leur leader. Outre les fortes demandes de rançon, les rapts s’accompagnent d’exactions et de tortures. Les viols sont de plus en plus fréquents, comme en témoignent les anciens otages. Et les enfants ne sont pas épargnés par le phénomène.

Les armes circulent sans entrave et la population en paie le prix fort. Dans un entretien à l’AFP daté du 5 juillet, le chef de mission de l’organisation humanitaire Médecins sans frontières explique que «le nombre de blessés par balle (…) est en train d’augmenter très rapidement. De plus en plus de patients souffrent de plaies multiples causées par des balles explosives». Ali Besnaci déclare que plus du tiers des 3 100 patients traités depuis décembre 2004 l’ont été pour des blessures de guerre. «Nous soignons pour des plaies par balles des enfants qui ont à peine 4 ans et des femmes de plus de 60 ans». Une organisation haïtienne de défense des droits de l’Homme précise que la violence a causé la mort par balles de plus d’un millier de personnes en Haïti entre septembre 2004 et juin 2005.

300 000 armes à feu toujours en circulation

L’insécurité s’est étendue aux quartiers périphériques de la capitale et, face à cette dégradation, les mieux nantis s’en vont. Ils quittent Port-au-Prince pour la province ou prennent le chemin de l’exil en direction de la républicaine Dominicaine ou des Etats-Unis. Les vols à destination de la Floride affichent complet, alors qu’au retour les vols sont à moitié vide. Depuis quelques semaines, les garde-côtes américains observent une recrudescence d’embarcations qui tentent de gagner la Floride toute proche. Le personnel des représentations diplomatiques est reclus et les ambassades invitent leur ressortissants à ne pas aller en Haïti.

La communauté internationale manifestent une vive inquiétude devant ce dérapage incontrôlé de la situation et renforce son dispositif de soutien aux nouvelles institutions du pays. Fin juin, le Conseil de sécurité de l’ONU a voté à l’unanimité pour l’envoi d’un millier d’hommes supplémentaires, dont 750 soldats consacrés aux missions d’intervention rapides et 275 policiers en vue des élections qui se tiendront à partir du mois d’octobre. Le contingent militaire de l’ONU passera ainsi à 7 500 casques bleus et 1 900 policiers. Et bien que l’effectif de la force internationale ne soit pas dérisoire, en dépit de quelques succès et démonstrations de force dans la traque des criminels, les forces de l’ordre ne sont pas en mesure de restaurer la paix civile. Plus de 300 000 armes à feu seraient toujours en circulation en Haïti.

L’ONU mise sur la restauration d’un ordre constitutionnel irréprochable, première étape à la normalisation de la situation. Le calendrier politique prévoit des élections municipales le 9 octobre, des législatives et présidentielle les 13 novembre et 18 décembre. La prise de fonction du président devrait avoir lieu le 7 février. D’ici là…


par Georges  Abou

Article publié le 15/07/2005 Dernière mise à jour le 15/07/2005 à 17:46 TU