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Haïti

René Préval, au-delà des urnes

René Préval, soutenu aussi bien par ses partisans que par la communauté internationale, demande la reconnaissance de sa victoire dès le premier tour de la présidentielle.(Photo : AFP)
René Préval, soutenu aussi bien par ses partisans que par la communauté internationale, demande la reconnaissance de sa victoire dès le premier tour de la présidentielle.
(Photo : AFP)

Alors que le décompte des bulletins de vote à la présidentielle se poursuit avec beaucoup de retard, René Préval, candidat arrivé en tête du premier tour, conteste les résultats partiels du scrutin du 7 février lui attribuant moins de 50% des votes. Le prétendant au pouvoir refuserait même le second tour. C’est ce qu’essaie aussi d'empêcher la communauté internationale, en trouvant un moyen qui le proclame président dès le premier tour, afin d’éviter une « détérioration » de la situation haïtienne.


Que vont faire René Préval et ses partisans ? « Sûr d’avoir gagné le premier tour » de l’élection présidentielle, qui s’est tenu le 7 février, l’ancien président démocratiquement élu semble vouloir appeler ses partisans à manifester jusqu’à sa victoire pour le fauteuil présidentiel, rejetant les résultats provisoires qui le placent en tête du scrutin, mais n’ayant pourtant pas une majorité lui évitant un second tour, avec 48,76% des voix. Pourtant, c’est ce second tour que l’ex-proche de Jean-Bertrand Aristide déchu du pouvoir en 2004 et réfugié en Afrique du Sud, veut éviter. C’est aussi ce que veut éviter la communauté internationale, mais pour des raisons différentes - empêcher une « détérioration » de la situation, en essayant de trouver « dans le respect de la légalité » un moyen qui permette de proclamer René Préval vainqueur sans second tour de l’élection. Si les pressions des partisans de Préval et de la communauté internationale sont suffisantes, il n’y aurait pas de second tour contre Leslie Manigat, arrivé deuxième au premier tour avec 11,8% des suffrages.

Revoir le dispositif électoral

En refusant le second tour, l’homme de 63 ans, qui avait quitté en 2001 le palais présidentiel, fustige de son côté les « erreurs grossières »  et les « fraudes massives » qui auraient « entaché le processus électoral » du premier tour : selon lui, le vote a été truqué, il est impossible qu’il existe en Haïti un taux de votes blancs comme celui qu’a révélé le scrutin du 7 février. « Nous ne sommes pas d’accord avec les chiffres », a-t-il asséné. Preuve de la contestation, des bulletins de vote Préval se consumaient mercredi matin dans une décharge publique de Port-au-Prince, la capitale de cette partie de l’île des Caraïbes.

Du coup, celui qui a incarné la stabilité politique d’Haïti en achevant son mandat présidentiel en 2001 entend « démontrer aux autorités électorales » qu’il est « sûr » d’avoir gagné. Sa réaction a immédiatement provoqué la création d’une commission d’enquête sur ses allégations de fraude, ce qui a été critiqué par l’autre candidat à la présidentielle, Evans Paul. La commission a pourtant été conçue « dans un souci d’apaisement », a clarifié le gouvernement du Premier ministre Gérard Latortue. Elle réunit le gouvernement, le parti de l’Espoir de Préval et le Conseil Electoral Provisoire (CEP), qui, lui, a nié toute fraude et dont le président, Jacques Bernard, est accusé par les partisans de Préval d’être soutenu par l’ambassade de France. Alors que Paris réclame une « transparence indiscutable » dans le processus électoral, la présidence d’Haïti a suggéré de ne publier les résultats définitifs qu’après le rapport de cette commission d’enquête. Soutenu par Paris et Washington, le Conseil de sécurité des Nations unies, d’ailleurs responsables du transport des urnes, et à qui les partisans de Préval réclament des explications pour les bulletins cochés découverts dans la décharge publique, invite «toutes les parties à respecter les résultats du scrutin» qui sont encore partiels. Pour l’instant, 90,02% des votes (soit 2 millions de personnes) ont été dépouillés et il semble que le taux de participation du scrutin du 7 février n’ait jamais été égalé en Haïti.

Mais il semble que les résultats définitifs à la présidentielle surviennent plus tôt que prévu, sans attendre le rapport de la commission d’enquête. En effet, la communauté internationale est « unanime à vouloir trouver rapidement une solution de consensus qui empêche une nouvelle explosion de violence », a indiqué Marco Aurelio Garcia, adjoint spécial de la politique étrangère du président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, dont le pays dirige la mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah). Elle pourrait « d’une certaine façon » proclamer Préval président, ce qui serait « la meilleure solution » compte tenu du climat existant dans le pays et du grand écart des voix entre Préval et Manigat. Pour cela, le dispositif comptant les votes blancs ou nuls serait changé, ce qui permettrait à Préval d’obtenir les 50% nécessaires à la victoire. Evidemment, cette proposition ne doit pas « ingérer dans le processus légal d’Haïti », a expliqué le diplomate.

Déjà, de l’avis de plus de 200 observateurs internationaux, l’élection haïtienne du 7 février, que Cuba accuse les Etats-Unis d’avoir « honteusement manipulée », a été jugée « libre », avec quelques imperfections « comme cela arrive dans n’importe quel pays » - urnes « détruites » ou « perdues », selon des diplomates. La Minustah a même félicité « le peuple haïtien du bon déroulement du premier tour». Pour René Préval, les 10% des votes restants à dépouiller sont « pro Préval », le « marassa » (frère jumeau d’Aristide) arguant que ces votes proviennent des différentes régions d’Haïti, ce qui joue pour lui. Sa base électorale est composée de la majorité pauvre du pays qui compte 8,5 millions d’habitants.

Déposer les armes

Second terrain d’affrontement pour René Préval, après les « fraudes » : la violence après le scrutin du premier tour. Cinq jours de manifestations dans la capitale, où plusieurs milliers de personnes réclamaient la victoire de Préval dès le premier tour de l’élection, ont fait un mort et des blessés. Pourtant, Préval avait ordonné à ses troupes de protester, mais « dans l’ordre ». Quelques uns des 9 500 Casques bleus et policiers internationaux de l’Onu ont pourtant dû tirer en l’air en début de semaine, après que les partisans eurent tiré dans la foule, a indiqué la Minustah, dont la mission vient être prorogée de six mois. Des incidents ont aussi eu lieu à proximité de l’aéroport. Pour maintenir un climat de sécurité, le Conseil de sécurité des Nations unies a appelé à « s’abstenir de toute violence » et à « travailler à la réconciliation nationale ». C’est cette violence qui conduirait la communauté internationale à proclamer Préval président.

L’élection modifiera-t-elle quelque chose à la situation politique, économique et sociale d’Haïti, pour le peuple toujours désappointé et qui « veut du changement »? L’insécurité règne, la nation est en décomposition, les enfants ne vont plus à l’école publique. Aucun centre électoral n’existe à Cité Soleil, et les habitants, qui ont dû voter à l’extérieur de ce quartier dangereux de Port-au-Prince, ont pris fait et cause pour René Préval à 60%, indiquent les résultats partiels. Dans cette Cité, des habitants sont décapités, amputés, brûlés, tués par un petit nombre de personnes, impunies, qui mènent le bal de la peur, en tuant, kidnappant ou pillant. Le futur président haïtien aura des dossiers épineux, et de fortes pressions pour préserver la démocratie et augmenter la sécurité dans cette île terrorisée par les gangs armés. C’est la mission que s’est assignée René Préval, s’il gagne. Mais avant cela, l’ensemble des acteurs concernés par cette présidentielle haïtienne sont bien contrariés par la tournure qu’a pris le processus électoral.


par Gaëtane  de Lansalut

Article publié le 15/02/2006 Dernière mise à jour le 15/02/2006 à 16:20 TU