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Haïti

Port-au-Prince refuse la loi des gangs

Le diplomate chilien Juan Gabriel Valdès, responsable de la Minustah, s'inclinant devant la dépouille du général brésilien Urano Teixeira Da Matta Bacellar, commandant des casques bleus.(Photo : AFP)
Le diplomate chilien Juan Gabriel Valdès, responsable de la Minustah, s'inclinant devant la dépouille du général brésilien Urano Teixeira Da Matta Bacellar, commandant des casques bleus.
(Photo : AFP)
La capitale Port-au-Prince a été totalement paralysée lundi par une grève nationale lancée par le patronat haïtien soutenu par les principaux partis politiques las de l’atmosphère d’insécurité, des assassinats et des enlèvements quasi-quotidiens qui plombent les efforts de pacification du pays. Les organisateurs entendaient aussi crier haro sur le présumé laxisme de la Mission de stabilisation de l’ONU en Haïti (Minustah). Organisée toutefois dans un contexte pré-électoral, cette initiative démontre - à l’envi - que Haïti, bien que n’arrivant pas encore à dompter ses monstres internes et peinant à sortir de ses difficultés quelques deux ans après le départ en exil du président Jean Bertrand Aristide, croit toujours à un retour à la normalité.

Haïti  « la perle des Caraïbes », comme on l’appelle affectueusement, ne mériterait-elle pas d’être surnommée « la peine des Caraïbes », un pays dans lequel la population est à la merci des milices et groupes armés locaux ? Depuis le renversement du président Jean Bertrand Aristide en février 2004, l’île va de Charybde en Scylla en dépit de la présence de quelques 9 000 soldats de la Mission de stabilisation de l’ONU en Haïti (Minustah).

Lundi, les magasins, banques privées, les écoles et les pompes à essence sont restés fermés dans la capitale ainsi que dans quelques grandes villes du pays. Car devant l’explosion de la violence et les exactions des « seigneurs de la pègre », la grève des Haïtiens ne pouvaient qu’être la réponse donnée à une situation qualifiée de « chaos social » par la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH). Mais aussi dans le collimateur des organisateurs, l’ONU, ou plus exactement sa Mission de stabilisation en Haïti (Minustah). Selon ces derniers, la Minustah déployée aux lendemains du départ d’Aristide est impotente et inactive. La grève visait donc à la contraindre à se montrer plus incisive et « plus sévère contre les gangs ». D’autant plus qu’un rapport de police révèle que « 1 900 personnes ont été enlevées à Haïti ces dix derniers mois ». La résurgence de la violence est si permanente que lundi au moment même où la population criait son ras-le-bol, une patrouille conjointe de la Minustah et de la police haïtienne participaient à une opération de sécurisation d’un vaste bidonville de 300 000 habitants. Cette descente militaire visait à libérer trois otages qui étaient aux mains de bandes armées basées dans ce bidonville de bric et de broc.

Auparavant, dans la journée de dimanche, l’épouse d’un homme d’affaire kidnappée fin décembre était relâchée par ses ravisseurs, sans doute contre « une rançon comme il est coutumier dans ce pays ».

Sous le poids des critiques

Certes lundi, seuls quelques tirs avaient été entendus sans grand dommage dans Port-au-Prince laissant croire à une relative accalmie, mais la réalité quotidienne est plus dramatique. De fait, la paupérisation ambiante dans le pays où 2/3 de la population vit avec moins d’un dollar par jour, les rancœurs politiques mal contenues, les discours exaltés d’une classe politique forcenée surfant sur les antagonismes Noirs et Blancs, pauvres et riches, des harangues sur des clichés idéologiques désuets, sont un terreau fertile sur lequel prospèrent les gangs avec leur lot de désolation et de terreur. Un constat alarmant qui a fait dire au diplomate chilien Juan Gabriel Valdès, responsable de la Minustah, accusée de laxisme, que la criminalité en Haïti est « complexe et multidimensionnelle ».

La mission onusienne s’est régulièrement défendue en rejetant ces accusations. La Minustah n’est ni laxiste, ni indolente, « il ne peut y avoir seulement de solution militaire aux problèmes de sécurité », a estimé dimanche Juan Gabriel Valdès au cours d’un point de presse. Mais il a toutefois assuré que sa structure avait adopté une nouvelle stratégie dans la lutte contre l’insécurité dans le pays, particulièrement dans la capitale.

L’escalade de la violence et les virulentes critiques contre les casques bleus interviennent à  un moment où ceux-ci sont sous le choc dû au décès, « suicide » selon certaines sources, de leur commandant, le général brésilien Urano Teixeira Da Matta Bacellar. Le général Bacellar était en poste à Port-au-Prince depuis seulement le 1er septembre en remplacement d’un autre militaire brésilien, le général Augusto Heleno.

Il a été retrouvé sur le balcon de sa chambre d’hôtel avec une balle dans la tête. Selon une première enquête de l’ONU (une autre doit suivre), l’officier se serait suicidé à cause des « situations de stress très grandes », indique pour sa part l’analyste Nelson During, spécialiste des questions militaires.

La détermination de Brasilia

Cette tragique disparition constitue également un réel revers dans les efforts déployés par le Brésil pour obtenir un poste de membre permanent au conseil de sécurité de l’ONU. D’ailleurs, le président brésilien, Luiz Inácio Lula da Silva, qui veut que son pays soit reconnu pour son concours soutenu dans la recherche de la paix dans le monde a exprimé « la détermination du gouvernement de continuer à soutenir le peuple haïtien dans la construction de la paix et le retour à la normale en matière politique ». Brasilia vient de recevoir le soutien du groupe d’appui des pays les plus engagés en Haïti, notamment l’Argentine, le Brésil, le Canada, les Etats-Unis et la France, pour continuer « à commander » la Minustah. Vraisemblablement, c’est le général brésilien José Elito Carvalho Siqueira qui sera le prochain commandant des casques bleus en Haïti.

Les élections générales dans quatre semaines

Quoiqu’il en soit la mort du général Bacellar reste « un facteur aggravant dans une ambiance de crise et de dégradation de la sécurité en Haïti », où plus d’une cinquantaine de partis politiques vont se disputer les suffrages des électeurs au cours d’élections cruciales. Ce scrutin concerne la présidentielle où trente-quatre candidats sont en lice et dont le premier tour est prévu le 7 février et le second tour le 19 mars. Le président élu devra prendre ses fonctions le 29 mars. En outre, 1 300 candidats sont en compétition pour 130 sièges à pourvoir au Sénat ainsi qu’à la chambre des députés. Et les municipales termineront le cycle le 30 avril.

Initialement prévues pour le 13 novembre 2005, ces élections générales ont été reportées quatre fois à cause notamment de problèmes techniques et logistiques comme la non distribution des cartes d’électeurs et la localisation des bureaux de vote. Sous la pression de la communauté internationale qui a déboursé 61 millions de dollars pour l’organisation du scrutin, de nouvelles dates ont été obtenues. Mais à quatre semaines du premier tour, la classe politique se perd en conjectures sur l’acceptation ou non du nouveau calendrier électoral.

par Muhamed Junior  Ouattara

Article publié le 10/01/2006 Dernière mise à jour le 14/01/2006 à 17:43 TU