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Haïti

Les élections aideront-elles le pays à s’en sortir ?

Sur un mur de Pétionville, les candidats parmi les plus en vue : René Préval et Leslie Manigat pour les présidentielles. Mirlande Manigat pour les sénatoriales.(Photo : Karole Gizolme)
Sur un mur de Pétionville, les candidats parmi les plus en vue : René Préval et Leslie Manigat pour les présidentielles. Mirlande Manigat pour les sénatoriales.
(Photo : Karole Gizolme)
Les élections ont été reportées à quatre reprises en Haïti. Elles sont maintenant fixées au 7 février. Après le dernier report pour raisons techniques, le Conseil de sécurité des Nations unies avait demandé au gouvernement provisoire de fixer de nouvelles dates pour le déroulement des différents scrutins. Le premier tour de la présidentielle et des parlementaires est donc à nouveau programmé alors qu'Haïti reste encore dans une situation chaotique.

De notre envoyée spéciale en Haïti

Ceux qui s'intéressent aux élections en Haïti commencent à ne plus savoir combien de fois elles ont été reportées. Quatre ? Cinq ? Six fois ? La dernière annulation du scrutin prévu le 8 janvier semble avoir été accueillie dans le pays comme une simple mauvaise nouvelle, une de plus. Résignés, certains s’en remettent à Dieu. D’autres doutent que ces élections puissent résoudre les difficultés du pays, ni à court, ni à moyen terme, pour les plus pessimistes. A Godet, par exemple, à une heure de route de Port-au-Prince, sur les hauteurs, une communauté de paysans vit des produits agricoles provenant de ses terres fertiles, grâce au micro-climat qui y règne. Les responsables de cette zone ont, depuis la mise en place du gouvernement de transition en 2004, la possibilité de donner leurs points de vue sur la situation de leur pays et d’avancer des solutions. Une première en Haïti.

Jusqu’à présent, la paysannerie avait toujours été exclue, traitée avec un dédain stupide par les habitants des centres urbains qui les appellent moun an déyò, moun mòn, moun bwa, santi bouk, mal degwosi (gens de dehors, gens des mornes, gens des bois, ceux qui sentent le bouc, mal dégrossis...). Pour Jean Coulanges, anthropologue, « les pouvoirs centraux ont profité de la bonhomie du paysan, de sa faiblesse organisationnelle, de son dénuement, pour l’utiliser à des fins militaires, politiques. On a assisté à une décadence de la paysannerie, traquée par les milices, envahie par les sectes dites chrétiennes, acculée par la misère à abattre les arbres. Il s’en est suivi le déboisement, l’assèchement des points d’eau, l’absence de productions, la misère ».

Eliophène Dérilus, précédent chef de section à Godet, est un technicien agricole formé aux techniques de reboisement, canaux d’irrigation, conservation des sols. Pour lui, les élections présidentielles et législatives ne sauveront pas le pays comme par magie : « sé nou menm, pou nou kapab ranjé péyi-a »  (c’est à nous de changer, d’organiser le pays). Le plus important à ses yeux, est d’abord d’organiser les campagnes pour mieux répartir le travail, bien installer les gens en milieu rural, assurer les raccordements en eau, en électricité, consolider les routes. Il suffirait, selon lui, d’être encouragé par un gouvernement qui soutiendrait le monde rural, l’épaulerait et mettrait à sa disposition des agronomes « ki kapab », autrement dits compétents et non corrompus.

Un milieu rural ignoré

Pour ceux qui ont grandi en ville, Eliophène et ses proches pensent que leur créer des emplois, dans des usines, aiderait. Car si les jeunes se livrent à des larcins, « sé pa paské li renmé fè-l men sé pas yo grangou » (ce n’est pas par vice mais parce qu’ils ont la faim au ventre). Les habitants des bidonvilles, comme le redouté Cité soleil, sont en grande partie des descendants de la paysannerie déplacés vers la ville pour lesquels aucune école, aucun centre de santé n’ont été construits.

Eliophène Dérilus descend souvent en ville. Des affiches, un peu partout dans la capitale, à Delmas et Petionville, rappellent que la campagne électorale a bien commencé. Des panneaux quatre par trois, des doubles pages dans les quotidiens, le Nouvelliste et Le Matin, des spots télé et radio, mais pratiquement aucun débat à la télévision ou à la radio, avec le candidat « le plus populaire ». Des voitures équipées de haut parleurs scandent les slogans de René Préval et son nouveau parti « Lespwa » (L’espoir) : « Pa chanje vie chodyè pou chodyè nèf » (il ne faut pas changer une marmite usagée (qui a fait ses preuves) contre une marmite neuve).

Selon un sondage commandé par les Américains, réalisé par l’institut Cid-Gallup, en novembre 2005, René Préval arriverait en tête avec 32% d’intentions de vote même si le favori se refuse à toute intervention publique ou médiatisée. René Préval n’a accordé qu’une seule interview radiodiffusée lors d’un meeting de campagne dans le sud-est, à Jacmel, le 12 décembre 2005. Sans prendre de position claire pour se démarquer de son ancien « marassa » (frère jumeau), Jean-Bertrand Aristide, René Preval, « Tirené », a préféré laisser entendre qu’il ne s’opposerait pas à un retour d’Aristide, citoyen haïtien. Cette position lui a coûté quelques jets de pierre lors de son passage aux Gonaïves, le bastion de l’insurrection mené par Guy Philippe contre Aristide, en décembre 2003. Mais rien, dans ses débuts de campagne, ni dans celles des autres candidats, ne semble mettre la paysannerie en tête de chapitre, quand pourtant elle représente les deux tiers de la population d’Haïti.

Pour Jean Coulanges, Haïti n’est pas victime d’une malédiction mais a aussi toujours subi les assauts de programme de mondialisation (depuis l’ère coloniale). Haïti doit repenser les rapports sociaux entre paysannerie et bourgeoisie, ou encore, pour l’écrivain Lyonel Trouillot « repenser la citoyenneté haïtienne », quand encore aujourd’hui 40% des enfants nés sur cette terre n’ont pas d’acte de naissance. Quand ils auront leur carte d’électeur, les 3,5 millions d’inscrits auront, au moins eux, une carte d’identification nationale, qui, en plus de leur permettre de voter, les reconnaitra comme citoyens. Un aspect positif de ces élections à venir, en attendant un salvateur « grand mouvement de reconstruction nationale sans intérêt populiste », espère Jean Coulanges.


par Karole  Gizolme

Article publié le 07/01/2006 Dernière mise à jour le 08/01/2006 à 12:29 TU

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Anne Corpet

Journaliste à RFI

«Les rumeurs sur le report du scrutin courent depuis plus d'une semaine.»

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