Environnement
La France à sec
(Carte : www.ecologie.gouv.fr)
C’est inédit en France : en région Poitou-Charentes, des arrêtés interdisant de prélever de l’eau, pris l’été dernier, sont restés en vigueur cet hiver. Du jamais vu depuis que l’Etat emploie ce moyen pour ralentir la consommation en période de manque. Il faut dire que dans cette région de l’Ouest de la France, les nappes d’eau souterraines sont au plus bas. Elles n’ont pas été rechargées par les pluies qui tombent habituellement en automne et en hiver. Dans cette région, les rivières, elles aussi, souffrent de pénurie, comme la Charente. Elle charrie 15 mètres cube d’eau par seconde alors que son débit normal est de 75 mètres cube par seconde. De nombreux petits cours d’eau sont à sec. Les barrages, censés engranger des réserves pour l’été, sont remplis au tiers ou au quart de leur capacité.
Il n’a quasiment pas plu ces derniers mois sur le Poitou-Charentes qui abordera de façon critique la saison estivale. La situation est également tendue dans plusieurs autres régions. Seules la région Languedoc-Roussillon, la côte méditerranéenne et la presque totalité de la Corse ont eu leur compte de pluie ces derniers mois. Pour ces régions, les hydrologues parlent même d’excédent, ce qui est inhabituel dans le Sud du pays.
Pas de recharge cet hiver
En dehors de la région Poitou-Charentes, les régions qui ont le moins reconstitué leurs réserves pendant la mauvaise saison sont le Bassin parisien, la bordure ouest de la région Centre, la Champagne-Ardenne et toute la partie nord de la région Rhône-Alpes. « Nous constatons un important déficit de pluies à l’automne et au début de l’hiver. Il se cumule avec celui de l’année précédente : il manque un tiers à 50% des pluies sur une large partie du territoire », a déclaré Nelly Olin, ministre de l’Ecologie, à l’occasion de la publication de cet état des lieux sur les réserves en eau. La recharge des nappes souterraines est « timide ou inexistante », a encore indiqué la ministre. Et le débit des cours d’eau est inférieur de 20% à 70% par rapport aux normales saisonnières, sur une grande partie du territoire, a précisé la représentante du gouvernement.
Pour la troisième année consécutive, la France est à sec. Cette fois, la sécheresse est annoncée plus tôt que les années passées. Le gouvernement anticipe l’état des lieux, des mesures de restriction étant prévisibles. Pour encourager les Français à faire des économies, une campagne d’information va prochainement être lancée. Il s’agira d’un appel au civisme avec comme slogan : « Y aura-t-il assez d’eau pour tout le monde ? ».
Les magasins de bricolage ont déjà popularisé les systèmes de récupération d’eau de pluie. Ils permettent aux particuliers de faire des économies sur leur facture d’eau, en recueillant l’eau qui tombe sur le toit des maisons. Le gouvernement de son côté commence à s’interroger sur la création d’un double réseau. L’un continuerait à distribuer l’eau potable. L’autre fournirait une eau recyclée. Des aberrations pourraient alors disparaître comme l’arrosage du jardin avec de l’eau potable ou l’alimentation des toilettes des logements avec cette eau, au départ réservée à la consommation humaine. Certains pays ont déjà ce double réseau mais son installation coûte cher.
Des idées de pays sec
La réutilisation des eaux usées et traitées est désormais envisagée par le gouvernement au cas par cas. Des discussions sont en cours avec les sociétés distributrices pour identifier les zones « pauvres » en eau et y développer des solutions innovantes. On commence même à parler de dessalement d’eau de mer, notamment pour certaines îles. Malgré son coût, cette technique est en train de se banaliser en Méditerranée où de nombreuses îles accueillent un surplus de population, en été, au moment où les réserves sont inexistantes. Cette approche de la gestion de l’eau est nouvelle en France. Jusqu’à présent, étant donné son climat océanique et le manteau neigeux offert par les montagnes, la France parvenait chaque hiver à reconstituer ses réserves.
Depuis trois ans, l’Etat discute également avec les agriculteurs. Ils utilisent beaucoup d’eau, en été, pour irriguer leurs cultures, notamment le maïs. Le ministère de l’Agriculture indique que tous ces producteurs vont recevoir une lettre pour les sensibiliser au risque de sécheresse et pour les inciter « à la plus grande vigilance dans le choix de leurs cultures du fait de la situation actuelle », a expliqué Dominique Bussereau, ministre de l’agriculture, à l’occasion de cet état des lieux des ressources en eau. « Il faut continuer à irriguer mais il faut le faire de manière raisonnée », a encore déclaré le ministre de manière rassurante. Les producteurs de maïs, on le sait, sont souvent la cible des écologistes en raison de la gourmandise en eau de leurs cultures. « Les agriculteurs se sont déjà impliqués fortement l’an dernier dans la réduction de la consommation d’eau », a-t-il encore précisé.
En 2006, les surfaces plantées de maïs grain vont baisser de 9% par rapport à 2005. En deux ans, les agriculteurs ont donc entendu l’appel de l’administration. Ils ont réduit de près de 20% leurs surfaces consacrées au maïs, bien que cette graminée fasse du Sud-Ouest de la France le premier producteur européen.
Les terrains de golf sont, eux aussi, souvent montrés du doigt pour leur « greens » bien entretenus et toujours verts. Le gouvernement a préparé une charte, elle sera signée le 2 mars prochain avec la Fédération française de golf. Le but est d’amener les terrains de golf à réduire leur consommation de 30% en trois ans. Un nouveau projet de loi sur l’eau est également en préparation. Il devrait être examiné par l’Assemblée nationale début mai. La future loi devrait rendre obligatoire l’installation de compteurs d’eau individuels dans les immeubles neufs. Une mesure envisagée depuis longtemps pour encourager les particuliers à faire attention à leur consommation, facture personnalisée à l’appui. Là encore la dépense, dans les logements anciens, a, jusqu’à présent, fait reculer le législateur.
Les météorologues et les hydrologues estiment que, même s’il pleuvait sans arrêt pendant tout le printemps qui s’annonce, ces précipitations ne suffiraient pas à combler le déficit. Seule solution, réparer tous les tuyaux, éviter les gaspillages et changer les mentalités.
L’Union européenne n’a pas encore publié un état des lieux de ses ressources en eau. Il semble cependant que la pénurie ne concerne pas que la France. Le Rhin, frontière franco-allemande sur une petite partie de son cours, avant de partir vers l’Allemagne puis les Pays-Bas, a un niveau tellement bas que le commerce fluvial est fortement ralenti. Les bateaux sont chargés à moins de la moitié de leur capacité. Voies navigables de France (VNF) indique que le débit du Rhin, à son entrée en France, à Bâle, est de 400 mètres cube d’eau par seconde alors qu’il est, en temps normal, de 1400 mètres cube par seconde.
par Colette Thomas
Article publié le 17/02/2006 Dernière mise à jour le 17/02/2006 à 16:20 TU