Santé
Chikungunya : une situation préoccupante
(Photo : AFP)
A priori le Chikungunya ne tue pas. Les personnes contaminées par ce virus transmis par les moustiques souffrent de maux invalidants (fortes fièvres, douleurs articulaires, éruptions cutanées), parfois pendant plusieurs semaines ou mois. Et il n’existe ni traitement préventif, ni vaccin. Mais il ne s’agit pas d’une infection mortelle. Et pourtant, les chiffres recueillis par la Direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS) sur le nombre de décès enregistrés en 2005 à La Réunion, qui font apparaître une surmortalité par rapport à 2004, inquiètent les spécialistes.
On a, en effet, recensé en 2005, 388 décès de plus qu’en 2004. Ce qui correspond aussi à 10% supplémentaires par rapport au nombre moyen de morts enregistrés entre 1999 et 2004. La simple comparaison des chiffres n’est pas suffisante pour pouvoir tirer des conclusions. Elle représente néanmoins une raison d’aller voir de plus près ce qui explique ce phénomène car à part l’épidémie de Chikungunya, il n’y a pas d’autre cause sanitaire exceptionnelle susceptible d’avoir provoqué une surmortalité. D’autre part, en 2005 aucun certificat de décès ne mentionnait le Chikungunya alors que depuis janvier 2006, 52 actes l’ont notifié : 48 comme cause associée, 4 comme cause principale. Dans ces derniers cas, il s’agit de malades pour lesquels aucune autre infection qui aurait pu expliquer la mort, n’a été identifiée.
La surmortalité est-elle liée au Chikungunya ?
Tous ces éléments ont incité le ministre français de la Santé, Xavier Bertrand, à demander à l’Institut de veille sanitaire (InVS) de mener une enquête pour établir s’il y a un lien entre le Chikungunya et l’augmentation des décès à La Réunion en 2005, mais aussi de poursuivre l’analyse pour l’année 2006. «Les scientifiques nous disent que le Chikungunya n’est pas mortel, moi je veux en être sûr», a-t-il déclaré. Les spécialistes de l’InVS vont donc construire un modèle statistique pour évaluer ce qu’aurait dû être la mortalité en 2005. Une méthode identique à celle qui avait été employée pour calculer la surmortalité occasionnée par la canicule en 2003. Les premiers résultats devraient être connus la semaine prochaine.
Passée inaperçue pendant de longs mois, l’épidémie de Chikungunya prend depuis quelques semaines des allures de crise sanitaire majeure. A tel point que le chef de l’Etat Jacques Chirac lui-même a appelé son gouvernement à une «mobilisation totale» contre ce virus, en affirmant que «tous les moyens devaient être mis à la disposition des régions touchées». Après la réunion d’un comité interministériel, le 15 février, le Premier ministre Dominique de Villepin a annoncé que de nouveaux renforts allaient être envoyés à La Réunion pour participer à la démoustication. Soixante-cinq pompiers et cinq militaires sont ainsi partis rapidement pour aller aider les quelque 800 personnes déjà acheminées dans l’île afin de participer à la lutte contre le Chikungunya. Avec le personnel mis à disposition par les collectivités locales, environ 3 600 personnes sont donc mobilisées.
Les opérations de démoustication sont désormais menées de jour comme de nuit pour essayer d’obtenir des résultats plus probants et plus rapides. Chaque zone doit être passée au pulvérisateur à plusieurs reprises, à intervalles réguliers, pour être considérée comme saine. Si la démoustication avec des insecticides est le seul moyen susceptible de permettre de réduire la prolifération des insectes vecteurs du virus et donc les infections humaines, le problème de la nocivité des produits employés a engendré une polémique dans l’île.
Polémique autour des insecticides
Alain Bénard, le maire de Saint-Paul, la deuxième commune de La Réunion, a même estimé que les deux insecticides utilisés (téméphos et fénitrothion) étaient «dangereux» et «polluaient massivement l’île». Il a donc décidé de stopper leur pulvérisation dans les écoles. Les écologistes ont, eux aussi, mis en garde contre les risques pour les animaux et l’écosystème présentés par ces insecticides. En vertu du principe de précaution, il a donc été décidé d’utiliser des produits moins dangereux pour démoustiquer de manière, comme l’a expliqué Xavier Bertrand, à préserver «la biodiversité et l’environnement». D’autre part, des chercheurs ont été envoyés sur place pour étudier le virus afin, notamment, de mieux comprendre son fonctionnement et améliorer les méthodes pour le détruire.
Le dispositif anti-Chikungunya prévoit aussi la distribution de kits de protection en priorité aux personnes fragiles comme les handicapés, les vieillards, les enfants, les femmes enceintes. Ces kits contiennent des produits répulsifs et des moustiquaires imprégnées destinées à protéger des piqûres. Le Parti socialiste a estimé que cette mesure était insuffisante et que l’ampleur de l’épidémie nécessitait «la distribution gratuite de produits anti-moustiques à toute la population de La Réunion». Il a aussi demandé que l’île soit déclarée «zone de catastrophe sanitaire». Une mesure qui n’est pas encore à l’ordre du jour.
par Valérie Gas
Article publié le 17/02/2006 Dernière mise à jour le 17/02/2006 à 17:30 TU