Inde-France
Chirac bienvenu, malgré Mittal
(Photo : AFP)
De notre correspondant à New Delhi
Si Jacques Chirac a réussi à désamorcer la polémique sur le Clemenceau à quelques jours de son arrivée à New Delhi, il risque en revanche d’avoir du mal à éviter celle qui porte sur l’affaire Mittal-Arcelor. Les autorités et les milieux d’affaires indiens ne cachent en effet pas leur agacement quant à l’attitude adoptée par la France dans cette affaire, estimant que les réticences de Paris sont directement liées à la nationalité indienne du patron du groupe hollandais Mittal Steel, L.N. Mittal. Selon un sondage réalisé cette semaine auprès de 200 chefs d’entreprise indiens, 95% d’entre eux estiment ainsi que les efforts européens pour bloquer l’offre publique d’achat de Mittal Steel sur Arcelor n’ont d’autre justifications que « la xénophobie ». Quelque 80% d’entre eux approuvent par ailleurs les propos du ministre du Commerce Kamal Nath selon lesquels l’opposition européenne à cette affaire entre entreprises privées « frise le racisme ».
A New Delhi, on est particulièrement furieux, jusqu’à menacer carrément l’Union européenne de remettre en cause les négociations en cours à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) si certains de ses membres refusaient à Mittal le « traitement national ». Au coeur du dispositif de l’OMC, celui-ci prévoit en effet qu’un investisseur d’un pays membre, quel qu’il soit, soit traité de la même façon qu’un investisseur du pays où l’affaire a lieu.
A quelques jours de sa visite officielle, le président français s’est d’ailleurs efforcé de calmer le jeu. Dans une interview publiée vendredi par l’hebdomadaire India Today, Jacques Chirac a affirmé ainsi que la polémique « n’a rien à voir avec la France et l’Inde. C’est une bataille entre deux entreprises ». De quoi éviter, a priori, que son séjour ne pâtisse trop de la controverse. Car pour le reste, sa première visite officielle en huit ans s’annonce plutôt prometteuse. D’abord parce que le président amène dans ses valises une trentaine de PDG français du plus haut calibre, or New Delhi tente plus que jamais d’attirer les investisseurs étrangers. Malgré sa réputation internationale de nouvel eldorado économique, l’Inde n’attire en effet que cinq milliards de dollars d’investissements étrangers par an, soit dix fois moins que la Chine. Or la France n’est que le septième investisseur étranger dans le pays, et le 15ème fournisseur au niveau commercial, avec une part de marché ne dépassant pas 2,3%. En d’autres termes, le potentiel bilatéral est encore très loin d’être atteint. D’où l’espoir, des deux côtés, que la visite présidentielle permette de poser des jalons pour de futurs contrats.
L’Inde, nouvelle grande puissance
Au cours de sa visite, Jacques Chirac devrait également une nouvelle fois apporter son soutien à la candidature indienne pour un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, et signer un accord cadre de défense, qui portera notamment sur les exercices militaires conjoints et les échanges de personnel. De quoi satisfaire les Indiens, toujours en quête d’alliés pour conforter l’émergence de l’Inde en tant que nouvelle grande puissance.
La question du nucléaire civil, enfin, sera au coeur des discussions. New Delhi ne cache en effet pas son ambition de développer le nucléaire comme nouvelle source d’énergie, afin de soutenir sa croissance économique, de plus en plus « énergivore ». Problème : l’Inde n’a jamais ratifié le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), ce qui lui interdit normalement toute assistance de la part des pays membres du Groupe de fournisseurs de nucléaire (NSG), dont la France fait partie.
Depuis l’an dernier, le gouvernement s’est toutefois lancé dans une vaste opération de lobbying international afin de convaincre les grandes puissances nucléaires de faire une exception en sa faveur. Et depuis que le président George Bush a promis, en juillet 2005, de lever les sanctions américaines dans ce domaine, plusieurs membres du NSG se sont alignés, à commencer par la France, pays d’une importance capitale puisqu’il est aujourd’hui la deuxième puissance nucléaire civile au monde. Lors de la visite à Paris du Premier ministre Manmohan Singh, en septembre dernier, les deux Etats sont ainsi convenus de travailler à un accord de coopération bilatérale dans ce domaine, qui pourrait déboucher, à terme, sur la vente à l’Inde de centrales nucléaires françaises.
Pour autant, la plupart des analystes doutent que cet accord soit finalisé au cours de la visite. Comme Washington, Paris insiste en effet pour que l’Inde sépare ses installations militaires et civiles, et garantisse un meilleur accès aux inspections internationales. Sauf retournement de dernière minute, le passage de Jacques Chirac devrait donc se solder par une déclaration commune, pas par un accord définitif.
par Pierre Prakash
Article publié le 18/02/2006 Dernière mise à jour le 18/02/2006 à 11:04 TU