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Inde

Réactions contrastées au rappel du Clemenceau

Les ouvriers du chantier d'Alang manifestent contre le rapatriement du <em>Clemenceau</em>.(Photo : AFP)
Les ouvriers du chantier d'Alang manifestent contre le rapatriement du Clemenceau.
(Photo : AFP)
Si les mouvements écologistes crient victoire, les ouvriers du chantier d’Alang se disent au contraire déçus, d’une part parce que le chantier devait fournir du travail à plusieurs centaines de personnes, et d’autre part parce que l’attention particulière dont il faisait l’objet aurait peut-être permis d’améliorer les conditions de travail dans l’ensemble du port d’Alang. Ce que craignaient d’ailleurs les patrons du secteur.

De notre correspondant à New Delhi

Paradoxalement, l’industrie indienne de démantèlement de navires en fin de vie ne semble pas mécontente de voir le Clemenceau rebrousser chemin. Le patron de l’entreprise qui devait se charger de la démolition de l’ancien porte-avions, Mukesh Patel, qui vient de perdre un contrat de plusieurs millions de dollars, affirme certes que «sans ce bateau, la résurrection d’Alang n’est pas possible et (le chantier) va définitivement mourir». Mais les autres entreprises de démantèlement affirment au contraire que la perte de ce contrat pourrait en fait en sauver bien d’autres.

«Si le Clemenceau était arrivé à Alang, son démantèlement aurait inévitablement été assorti de conditions extrêmement strictes, notamment sur la question de l’amiante, et plus globalement des produits toxiques, explique Vippin Aggarwal, de l’Association des Shipbreakers du Gujarat, l’Etat où se trouve le port d’Alang. Cela aurait créé un précédent qui aurait pu être utilisé par les mouvements écologistes comme Greenpeace pour réclamer que tous les autres bateaux suivent ensuite les même procédures contraignantes. Un tel scénario aurait signé l’arrêt de mort de l’industrie d’Alang dans son ensemble».

Concurrence bangladaise et chinoise

En l’absence d’une législation internationale claire sur les normes de sécurité à respecter sur les chantiers de démantèlement asiatiques, il y a en effet fort à parier que les propriétaires des épaves, peu scrupuleux, se seraient alors dirigés vers d’autres pays moins regardants sur les questions de sécurité, à commencer par le Bangladesh voisin. Une catastrophe pour Alang, qui souffre déjà de la concurrence bangladaise et chinoise. La quantité d’acier recyclé dans le port indien a en effet été divisée par trois ces cinq dernières années, et le port ne marche actuellement qu’à 20% de ses capacités. Il n’emploie ainsi que 3 000 à 4 000 ouvriers, contre près de 40 000 dans les années 90.

Les ouvriers, d’ailleurs se disent déçus que le Clemenceau soit finalement reparti en France. D’abord parce qu’il devait fournir quelques 200 emplois pendant au moins neuf mois, mais aussi parce qu’il aurait pu, à terme, permettre d’améliorer les mesures de sécurité sur l’ensemble du chantier. Pour la première fois dans l’histoire du port, l’empoisonnante question de l’amiante devait en effet être confiée à une entreprise spécialisée sur les déchets toxiques. Une nette amélioration puisque, d’ordinaire, l’entreprise de démantèlement se charge elle-même de cette tâche dangereuse, sans la moindre précaution.

Obliger les propriétaires à nettoyer leurs navires

Prompt à récupérer la frustration des ouvriers, le parti nationaliste hindou Shiv Sena prévoit d’organiser des manifestations ces prochains jours à Bhavnagar, la ville la plus proche d’Alang, pour protester contre le rapatriement du Clem. «On en revient à l’ère coloniale. Nous n’avons pas besoin des écologistes anglais pour nous dire quels sont les problèmes ici», a déclaré l’un des membres du parti, Kishore Bhatt à l’AFP, menaçant carrément d’organiser une grève de la faim.

Paradoxalement, c’est pourtant au nom de l’environnement et de l’intérêt des ouvriers en question que les mouvements écologistes affirment avoir mené campagne contre l’arrivée en Inde du Clemenceau. Selon Greenpeace, ce renvoi va en effet obliger les pays occidentaux à mieux appliquer la Convention de Bâle, qui prévoit de décontaminer les épaves avant leur exportation vers les chantiers asiatiques. Une hypothèse optimiste puisque, si le sort de l’ancien bâtiment de guerre français risque effectivement d’avoir un impact sur les futures exportations de bateaux appartenant aux Etats, rien n’obligera les épaves privées, qui constituent l’écrasante majorité du marché, à suivre l’exemple. Pour cela, il faudrait avant tout que l’Organisation maritime internationale oblige les propriétaires à nettoyer leurs navires avant leur départ. Or, pour l’heure, elle ne fait que le «conseiller».


par Pierre  Prakash

Article publié le 17/02/2006 Dernière mise à jour le 17/02/2006 à 12:43 TU