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Environnement

Les vagues du «Clemenceau»

Avec l'affaire du <em>Clemenceau</em>, Michèle Alliot-Marie subit son premier revers depuis qu'elle est ministre de la Défense.(Photo : AFP)
Avec l'affaire du Clemenceau, Michèle Alliot-Marie subit son premier revers depuis qu'elle est ministre de la Défense.
(Photo : AFP)
Après la décision du président français de rapatrier le Clemenceau, les réactions sont sévères pour la France dans la presse internationale. Et avec la publicité négative autour du démantèlement de cet ancien navire de guerre, Michèle Alliot-Marie subit son premier revers depuis qu’elle est ministre de la Défense.

La ministre de la Défense a l’intention de mettre les parlementaires français devant leurs responsabilités dans l’affaire du Clemenceau. Le 22 février prochain, Michèle Alliot-Marie (MAM) sera entendue par la commission de la Défense de l’Assemblée nationale. Une audition programmée à la demande de la ministre de la Défense et qui sera élargie à un grand nombre de parlementaires puisque deux autres commissions (Affaires étrangères et Affaires économiques) sont conviées à cette audition.

Défense, affaires étrangères, économie : tous les secteurs concernés par le destin du Clemenceau entendront Michèle Alliot-Marie. Elle pourra, du même coup, demander aux députés leurs solutions pour faire disparaître cette épave qui contient encore une grande quantité d’amiante.

Tout aurait pu se passer sans histoire pour la ministre de la Défense si plusieurs associations n’avaient pas réussi à médiatiser le sort du Clemenceau. Alors que le ministère de la Défense voulait, avec ce premier démantèlement en Inde, créer une filière de destruction de vieux navires, les écologistes et les victimes de l’amiante ont fait entendre leurs voix. Pour eux, il était inconcevable qu’un ancien navire de guerre français, contenant encore beaucoup d’amiante, parte à l’étranger, en dépit de la Convention de Bâle. Ce traité international, signé par la France, interdit l’exportation de déchets toxiques dans un pays en développement. L’amiante est sur la liste, et même si ce matériau isolant n’est pas interdit en Inde, les écologistes ont mis l’accent sur le danger que représentaient les fibres d’amiante pour les ouvriers du chantier de démolition. La justice leur a donné raison.

Le porte-avions est rapatrié par décision du Conseil d’Etat et du président de la République en personne. Son voyage en Inde, dimanche prochain, commençait à prendre une tournure embarrassante. L’amiante aurait probablement fait de l’ombre aux vrais dossiers, ceux qui motivent la visite du chef de l’Etat français.

Un revers pour la ministre de la Défense

Que va devenir ce vieux navire ? La question reste entière. C’est probablement pour cette raison que les réactions politiques, en France, sont relativement mesurées. Les partis de gauche et du centre ont fait part de leur satisfaction lorsque Jacques Chirac a pris la décision de rapatrier le navire. Ces partis d’opposition ont cependant parlé de mauvaise gestion de l’affaire.

François Hollande, numéro un du Parti socialiste, a critiqué « l’improvisation » et la « légèreté » du gouvernement. Laurent Fabius, ancien Premier ministre socialiste, a parlé « d’amateurisme extrême ». Le jour où Jacques Chirac décidait de faire rentrer le Clemenceau, la ministre de la Défense se défendait aussitôt en accusant les socialistes de ne pas avoir pris de décision sur le porte-avions lorsqu’ils étaient au pouvoir. Alain Richard, ministre de la Défense de l’époque, a répondu que la gauche n’avait pas eu à statuer sur le sort du Clemenceau parce qu’un projet de reconversion du bâtiment en « lieu de mémoire et de loisirs » a longtemps été à l’étude, projet auquel les collectivités territoriales du département du Var ont finalement renoncé.

« Les conclusions politiques de cette affaire devront être tirées », a pour sa part déclaré Corinne Lepage, ancienne ministre de l’Environnement de droite et responsable aujourd’hui d’une association de protection de l’environnement. A l’Elysée, on a par ailleurs jugé « catastrophique » la façon dont Michèle Alliot-Marie a géré cette affaire. Car pour la première fois, ses méthodes sont mises en cause. Même la présence controversée des militaires français en Côte-d’Ivoire n’a pas créé d’ennuis au gouvernement Villepin, comme l’évoquait la presse française jeudi matin. Le chef du gouvernement français est maintenant mis en cause par le Parti socialiste. Dominique de Villepin « n’a pas porté à ce douloureux feuilleton la vigilance indispensable et a repoussé toutes les demandes d’information et d’enquête exprimées par les associations et les partis d’opposition », a commenté François Hollande.

Les observateurs estiment que « MAM », qui comptait figurer parmi les présidentiables de droite, a subi un revers et que ses chances sont compromises. « A quatorze mois de la présidentielle, c’est une mauvaise nouvelle pour celle qui compte jouer un rôle de premier plan dans la course à l’Elysée », écrivait jeudi matin le quotidien français Le Parisien. Réputée proche du président Chirac, qui a imposé la première femme comme responsable des armées, Michèle Alliot-Marie fera d’ailleurs le voyage en Asie avec le président, y compris l’étape en Inde.

L’image de la France

Dans l’entourage de la ministre de la Défense, on dénonce ce jeudi « la pagaille gouvernementale », le fait que plusieurs des ministres concernés n’ont pas « pris leurs responsabilités dans cette affaire ». Le très médiatique Nicolas Sarkozy n’a, cette fois, rien dit. Vingt-quatre heures après la décision du président de la République, un conseiller du ministre de l’Intérieur indique que cette affaire a été « détestable pour l’image de la France ».

L’image de la France, il en était beaucoup question jeudi matin dans la presse internationale. Le Times estime que la France a encaissé « un coup humiliant pour son prestige. Cela ne pouvait arriver à un pire moment alors que Jacques Chirac, qui se présente lui-même comme un champion de la défense de l’environnement, est attendu en visite officielle en Inde, dimanche », analyse le grand quotidien britannique.

Autre commentaire de la presse, cette fois en Inde. Pour le quotidien Times of India, Jacques Chirac « ordonne le retour du navire toxique, le président français apure l’air dans la perspective de sa visite en Inde ». Du côté des chantiers indiens où le Clemenceau devait être désamianté, dans le Gujarat, le mouvement nationaliste hindou du Shiv Sena a annoncé qu’il y aurait des manifestations de protestation. Lorsque la Cour suprême aura levé l’interdiction de s’exprimer sur cette question du Clemenceau, les ouvriers demanderont du travail et si ça ne suffit pas, ils entameront une grève de la faim. « Tous les navires qui devaient venir ici vont être démantelés ailleurs. C’est injuste de ne pas nous laisser faire ce pour quoi nous sommes bons », a déclaré Kishore Bhatt, un responsable de ce mouvement nationaliste. « Nous avons des ouvriers de la sidérurgie qui auraient pu faire un bon boulot. On en revient à l’ère coloniale. Nous n’avons pas besoin des écologistes anglais (de Greenpeace) pour nous dire quels sont les problèmes ici », a encore commenté Kishore Bhatt.

En France, le Clemenceau est indésirable à Brest. En tout cas le maire socialiste n’en veut pas. François Cuillandre s’est cependant déclaré favorable au retour de l’ancien porte-avions en France. « Ce que l’on ne souhaite pas pour nos ouvriers de la Navale qui ont déjà tant souffert de l’amiante, on ne le souhaite pas non plus pour les travailleurs indiens qui auraient eu à travailler sur ce bateau », a indiqué le maire de Brest, port breton où l’armée a une base navale.

La France aurait pu choisir de couler l’ancien porte-avions comme l’ont fait récemment les Etats-Unis, mais « elle a voulu faire quelque chose de plus intelligent, de plus conforme à l’esprit de l’environnement », a regretté Nelly Olin, ministre française de l’Ecologie.


par Colette  Thomas

Article publié le 16/02/2006 Dernière mise à jour le 16/02/2006 à 17:37 TU

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Yann Wehrling

Secrétaire national des Verts

«Je suis très étonné que la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, ait fait appel à la justice pour comprendre ce qui se passe avec le Clemenceau.»

[16/02/2006]

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