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Environnement

Bras de fer autour du «Clemenceau »

Un chantier de démolition de navires dans la baie d'Alang.(photo : AFP)
Un chantier de démolition de navires dans la baie d'Alang.
(photo : AFP)
Alors que la décision de la Cour suprême indienne était attendue sur le sort du Clemenceau, la juridiction suprême indienne a décidé de créer une nouvelle commission d’experts. Cette dernière devra dire si l’ancien porte-avions français peut aller, ou non, dans la baie d’Alang pour être démantelé. En France des associations dénoncent des « pressions énormes » sur l’Inde pour qu’elle accepte le navire.

Le Clemenceau n’en finit pas d’effectuer son dernier voyage vers son ultime destination, un chantier de démolition, en Inde. L’ancien porte-avions français est parti du port de Toulon le 31 décembre dernier. Première péripétie, il est immobilisé plusieurs jours aux portes de la mer Rouge. L’Egypte demande alors des informations complémentaires aux autorités françaises sur la dangerosité du navire, avant de le laisser finalement transiter par le canal de Suez.  Le navire a poursuivi sa route vers la côte ouest de l’Inde. Actuellement, il est en « zone d’attente » L’Inde n’a pas encore pris la décision d’accueillir l’ancien navire militaire pour le démanteler.

Ce lundi, l’Inde devait rendre son avis sur l’arrivée du navire en baie d’Alang, à travers une décision de la Cour suprême, la plus haute juridiction indienne en matière de justice. Finalement, la Cour a décidé de créer une nouvelle commission d’experts, la précédente n’ayant pas réussi à statuer sur le sort du navire français. L’amiante qu’il contient encore fait débat, aussi bien du côté des associations françaises que sur place. Le Clemenceau n’a pas l’autorisation de pénétrer dans les eaux territoriales indiennes, au moins jusqu’à vendredi, jour où la Cour suprême aura une nouvelle réunion. D’ici là, des officiers de marine à la retraite, ayant l’expérience de la construction et du démantèlement des navires de guerre, seront sollicités. « Nous voudrions avoir l’avis du ministère de la Défense », a indiqué le juge Arijit Pasayat.

Un dossier politique

La polémique en cours sur l’amiante contenue dans le vieux navire a par ailleurs amené la juridiction suprême indienne à prendre une décision inattendue. Elle a interdit les manifestations de protestation contre l’entrée du navire en Inde. La publication d’opinions concernant l’éventuelle démolition du navire est également interdite. « Nous sommes choqués de voir que des manifestations sont organisées et que des articles sont écrits, et si quiconque est surpris à le faire, il devrait être à priori interpellé pour outrage à la justice et une action judiciaire ouverte à son encontre », a ajouté le juge. L’association Greenpeace semble visée. Même si ses actions ont été diversement appréciées, l’association écologiste a voulu alerter sur les risques encourus par les ouvriers qui désamianteront le Clemenceau.

Au moment où la Cour suprême retardait une nouvelle fois sa décision finale, à Paris, des associations dénonçaient les « pressions énormes » qu’exercerait le gouvernement français sur l’Inde pour qu’elle accepte le vieux navire de guerre. Michel Parigot, président du comité anti-amiante a déclaré : « C’est inquiétant ; ce dossier est géré de façon plus politique que juridique ou que sur le plan de la santé ». Pour celui qui milite depuis des années pour le désamiantage de l’université de Jussieu, à Paris, le gouvernement français « place l’Inde devant un dilemme inacceptable : accepter toutes les démolitions ou ne plus avoir de chantiers ».

Alors que la décision concernant l’ancien porte-avions français est à nouveau reportée, la politique intérieure française entre dans le jeu. Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur et candidat à la candidature pour l’élection présidentielle, a déclaré avoir « du mal à comprendre » les péripéties du Clemenceau. « Vraiment la question (de son rapatriement) va finir par se poser ». Nicolas Sarkozy a fait ce commentaire à quelques jours du départ du président Chirac pour l’Inde où il démarre dimanche une visite officielle prévue de longue date.

L’avis du BIT

« L’Inde n’a pas de législation sur l’amiante, elle n’a pas cette expertise », a déclaré Henri Pézenat, représentant d’une autre association, Ban Abestos au moment où l’Inde remettait encore sa décision. Même l’Organisation internationale du travail semble s’émouvoir de cette affaire. De toute façon, « Presque tout sur un navire de ce type sera recyclé, y compris l’amiante », indique Paul Bailey, expert du BIT spécialisé dans la démolition des navires. « En moyenne, un bateau qui est démantelé contient 5 à 6 tonnes d’amiante. Dans le cas du Clemenceau, la question a créé une véritable controverse. Alors qu’une bonne partie de l’amiante a déjà été enlevée, diverses estimations situent l’amiante restant entre 45 et 1 000 tonnes. La question est celle de la destination de cet amiante et de la façon dont il sera traité », indique encore l’expert de l’organisation internationale.

En France également, une polémique commence à poindre sur l’amiante enlevé du Clemenceau avant son départ pour l’Inde. La réglementation impose d’enterrer ces résidus dans des décharges spécialisées et payantes. Etrangement, une partie du tonnage de cet amiante a disparu avant d’arriver sur le site d’enfouissement. De là à imaginer que l’entreprise responsable ait voulu faire des économies sur le stockage…L’information sur cet amiante manquant a été donnée par le ministère de la Défense alors qu’il est lui-même mis en cause par l’entreprise qui a effectué le désamiantage partiel. Elle a fait le début du travail, elle n’a pas eu le contrat pour la suite. Maintenant, elle contredit l’Etat français sur la quantité d’amiante encore présente à l’intérieur de l’ex-navire de guerre.

Cette quantité d’amiante est au cœur du bras de fer entre un pays riche, la France, doté d’une législation contraignante et dont l’application est coûteuse, et un pays émergent, l’Inde, prête à prendre toute activité économique. Il semble en tout cas impensable que les chantiers indiens, spécialisés dans la récupération minutieuse de tous les matériaux, décident d’enterrer l’amiante du Clemenceau. Des carreaux de plafond, des toiles et tissus d’amiante, des bourrelets, des plaques de plâtre et d’amiante mêlés, des tuyaux, des appareils utiles sur un navire de guerre, tous ces matériaux recouverts d’amiante isolant seront récupérés, recyclés. Et au cas où ils seraient enterrés, il est probable que les habitants les plus pauvres viendront déterrer ces objets ou ces matériaux.

De tout l’amiante du Clemenceau, la plus grande partie sera dangereuse pour les ouvriers qui vont probablement démanteler le navire. L’amiante a été posé par flocage, un revêtement réalisé au pistolet, en projetant les fibres d’amiante sur une infinité de structures, pour les protéger de l’incendie. Le démontage de ce flocage libérera des fibres, elles sont cancérigènes lorsqu’on les respire. Pourtant, même ces résidus ne seront certainement pas jetés, mais probablement injectés, dans du béton par exemple. Les pays occidentaux recyclent ainsi une multitude de déchets comme les déchets faiblement radioactifs, en appliquant des procédures très strictes.

En faisant une publicité négative au Clemenceau, les écologistes ont attiré l’attention sur l’amiante. Mais un vieux navire contient bien d’autres substances toxiques. Elles sont également dangereuses pour les ouvriers qui effectueront le démontage, même s’ils seront payés d’abord pour récupérer les matériaux de grande valeur. Cette focalisation sur l’amiante fait connaître aux Européens dans quelles conditions travaillent les Indiens les plus pauvres. L’affaire du Clemenceau montre également qu’un pays riche, la France, peut interpréter la Convention de Bâle qui interdit, en principe, l’exportation de déchets.      


par Colette  Thomas

Article publié le 13/02/2006 Dernière mise à jour le 13/02/2006 à 17:49 TU