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Environnement

Le « Clem » ou la diplomatie du déchet

Le porte-avions français, <em>Clemenceau</em>, reste en souffrance au large du Canal de Suez.(Carte : Bourgoing / RFI)
Le porte-avions français, Clemenceau, reste en souffrance au large du Canal de Suez.
(Carte : Bourgoing / RFI)
Après son départ controversé de France pour cause de désamientage non terminé, le Clemenceau a finalement pris la route pour l’Inde où il doit être démantelé. Au moment de passer le canal de Suez, les autorités égyptiennes demandent des explications à la France sur le navire. Le transport international de déchets se retrouve désormais au cœur de l’affaire.

« Les contacts avec les autorités égyptiennes pour compléter les procédures de transit se poursuivent », indique une source diplomatique française au Caire. Hier jeudi, le voyage très controversé du Clemenceau vers l’Inde est revenu sur le devant de la scène. Deux écologistes de Greenpeace ont réussi à monter à bord du navire de guerre désarmé, donc presque vide, pour protester contre la décision de la France de l’envoyer dans un chantier naval indien pour être démantelé. L’agence égyptienne pour l’Environnement a, d’une certaine manière, pris le relais de l’action des écologistes en demandant à la France de fournir un document de conformité avec la Convention de Bâle, qui encadre les mouvements transfrontières de déchets dangereux. Greenpeace affirme pour sa part que l’Egypte subit des pressions de la France pour ouvrir l’accès du canal de Suez au navire. Selon le porte-parole de l’organisation écologiste, les Français affirment, à tort, que le Clemenceau reste un bâtiment militaire, et qu’il échappe ainsi à la convention internationale sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets. 

Dans les milieux maritimes égyptiens, on estime de toute façon que le transit du Clemenceau, par le canal de Suez, a été mal préparé. « Les Français ont affirmé qu’il ne s’agissait que d’un bâtiment civil, s’y prenant aussi trop tard pour engager la procédure via un agent privé de transit », a indiqué un spécialiste de ces questions maritimes basé à Port Saïd, à l’embouchure du canal. Le directeur de l’agence égyptienne pour l’environnement explique de son côté que les autorités égyptiennes « n’ont été officiellement saisies de la demande de transit qu’en début de semaine, et sans les documents requis des ministères français et indien de l’Environnement ».

Navire de guerre ou déchet ?

La qualification de la coque de l’ex-porte-avions fait l’objet de discussions entre le Caire et Paris, indique-t-on de source informée. Si la situation se débloque, le porte-avions français pourrait rejoindre en deux ou trois heures l’entrée du canal. Il faut ensuite 14 heures à tout navire pour parcourir la distance entre Port Saïd, au nord, et Suez, au sud, qui ouvre sur la mer Rouge. Le navire devra peut-être ensuite attendre, pour se conformer aux sens de circulation, le passage du nord vers le sud s’effectuant à certains horaires.

« Le remorquage n’est pas du tout compromis. C’est une péripétie qui ne changera pas le cours des choses », a affirmé le porte-parole du ministère français de la Défense. « On nous demande des compléments d’information techniques, nous sommes en train d’apporter les précisions requises », a encore indiqué Jean-François Bureau.

Au cœur de la polémique, se trouve la quantité de matériaux amiantés que contient encore l’ancien fleuron de la marine militaire française. Selon le ministère de la Défense, le navire en contient encore 45 tonnes, soit moins de 0,2% du poids total du navire. Un sous-traitant français en a retiré 115 tonnes sur 160. Ces chiffres sont contestés par plusieurs organisations écologistes, notamment par Greenpeace. Deux de ses militants ont réussi, en Méditerranée, à monter sur le navire et y sont toujours. « Si on veut faire croire à l’Egypte que la coque est un objet dangereux pour le transit dans le canal de Suez, on ment », a déclaré le préfet maritime de la Méditerranée, le vice-amiral d’escadre Jean-Marie Van Huffel, à la suite du blocage du navire aux portes du canal de Suez.

Ce début d’affaire d’Etat entre la France et l’Egypte est motivé par la quantité de matériaux amiantés encore présents dans l’ancien porte-avion, désarmé en 1997. L’Egypte n’a pas interdit au Clemenceau de franchir le canal de Suez mais exige que les navires transportant des déchets respectent les conventions internationales. La convention de Bâle, qui encadre le transport international des déchets dangereux, autorise l’exportation de produits toxiques, si le pays d’accueil a donné son accord pour recevoir ces déchets. L’amiante figure sur la liste des résidus dangereux. La France, propriétaire du Clemenceau, l’Egypte qui demande des informations complémentaires, et l’Inde, où doit finir le vieux navire, ont toutes trois signé la Convention de Bâle. Le traité cependant est ambigu car il permet à un pays d’exporter une petite quantité de déchets toxiques si une masse beaucoup plus importante est recyclable. C’est le cas du navire français. Les écologistes estiment que ce principe entraîne des abus et souhaitent que chaque pays règle, chez lui, le devenir de ses propres déchets.

La quantité d’amiante en question

Mercredi, la justice française a accepté une requête de Greenpeace. L’organisation écologiste demande que soit rendue publique la quantité exacte d’amiante que contient encore le Clemenceau. Le juge chargé de ce dossier vient de nommer deux experts indépendants. Ils doivent rendre leurs conclusions au plus tard le 15 février, avant, donc la fin du voyage de deux mois du navire français vers la baie d’Alang, située dans l'Etat du Gujarat, sur la côte ouest de l’Inde.

Malgré les affirmations du ministère français de la Défense, l’entreprise Technopure, qui a effectué l’essentiel des opérations de désamiantage à Toulon, affirme que l’ancien navire de guerre français en contient encore plus de 500 tonnes. Dans une interview au journal indien The Hindu, le patron de cette société, Jean-Claude Giannino, précisait que « une fois démantelé, il pourrait en apparaître jusqu’à 1000 tonnes ». Technopure aurait pu en retirer beaucoup plus « sans compromettre la navigabilité. La cheminée, les catapultes latérales et d’autres espaces du bateau auraient pu être décontaminés ou démantelés, tels les ponts, sans altérer la structure du navire ».

Une fin de vie qui devait être exemplaire

Probablement pour des raisons financières, la marine française a donc limité le chantier de désamiantage de Toulon. Mais l’Inde, alertée par les écologistes, a remis en question sa décision d’accueillir le Clemenceau. Le 6 janvier, une commission de la Cour suprême indienne a émis un avis négatif. La décision définitive sera prise le 20. Delhi craint probablement une mauvaise publicité concernant les chantiers de démantèlement de la baie d’Alang, et les risques pour les ouvriers. La France compte sur une réponse positive puisque le Clemenceau a commencé son dernier voyage le décembre dernier.

Les autorités françaises avaient pourtant pris toutes les précautions pour que ce démantèlement soit une réussite. Des ingénieurs indiens sont venus en stage en France, et plusieurs ingénieurs français doivent superviser les opérations de démolition sur le site indien. Le ministère français de la Défense voulait organiser une filière de démantèlement de navires de guerre ou de commerce, le Clemenceau étant le premier sur la liste. Un porte-parole du ministère indiquait il y a quelques jours que des discussions sont en cours avec l’Organisation maritime internationale et l’Organisation internationale du travail pour mettre au point cette filière.

Les journaux indiens semblent en tout cas s’émouvoir de la controverse sur la quantité d’amiante que contient encore le navire français. En France, plusieurs associations se sont inquiétées du sort des ouvriers sur ces chantiers de démolition indiens. Elles sont allées sur place voir les conditions de travail. Dans leur rapport, ces associations, dont la Fédération internationale des droits de l’homme, indiquent que cette activité est « polluante et dangereuse » parce que les navires contiennent beaucoup de « substances nocives : amiante, peinture au plomb, dioxine, résidus de carburants, cadmium, arsenic». Les enquêteurs soulignent la difficulté de collecter des informations sur la santé de ces milliers d’ouvriers qui travaillent sur ces chantiers. Des ouvriers qui viennent pour la plupart des régions les plus pauvres du pays. Bien loin des polémiques diplomatiques entre trois pays autour de l’amiante, ces citoyens indiens semblent être à la recherche d’un travail quel qu’il soit.    


par Colette  Thomas

Article publié le 13/01/2006 Dernière mise à jour le 14/01/2006 à 17:46 TU