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Economie

Apartheid social à Saint-Nazaire

Treize ouvriers polonais des Chantiers de l'Atlantique à Saint-Nazaire, ont entamé une grève de la faim pour réclamer le paiement de leurs salaires.(Photo : AFP)
Treize ouvriers polonais des Chantiers de l'Atlantique à Saint-Nazaire, ont entamé une grève de la faim pour réclamer le paiement de leurs salaires.
(Photo : AFP)
La sous-traitance est mise à contribution sur les chantiers navals français pour réduire les coûts. Treize ouvriers polonais employés sur les Chantiers de l’Atlantique sont en grève de la faim depuis cinq jours. Ils réclament le paiement de leurs salaires.

Treize ouvriers polonais sont donc en grève de la faim depuis cinq jours. Ils réclament les salaires qui leurs sont dus. Ils viennent de la région de Szczecin, une région qui fut, elle aussi, vouée à la construction navale. C’est l’entreprise polonaise Kliper qui a décroché le contrat sur le chantier naval français, après un appel d’offre lancé par la société française Gestal. Cette société a l’habitude de prendre des chantiers en sous-traitance, notamment sur les Chantiers de l’Atlantique, eux-mêmes une émanation d’Alstom Marine.

La société polonaise a fait faillite

Avant de faire la grève de la faim, les ouvriers polonais avaient commencé par arrêter de travailler le 21 juillet pour réclamer leurs salaires impayés. Ces ouvriers ont expliqué avoir reçu une centaine d’euros seulement pour leur nourriture. Gestal, la société intermédiaire entre l’entreprise polonaise et les Chantiers de l’Atlantique, déclare que l’argent prévu pour les salaires a été versé à l’entreprise polonaise Kliper fin mai, puis fin juin.  Mais depuis, Gestal n’a plus de nouvelles de la société  polonaise. Les ouvriers ont appris plus tard que Kliper avait fait faillite. La CGT, qui soutient ces travailleurs polonais, a précisé que le patron «a disparu avec les salaires, le véhicule de l’entreprise et les contrats de travail».

Cette affaire pourrait bien prendre de l’ampleur car Maryse Dumas, numéro deux de la CGT, se rend à Saint-Nazaire mercredi matin pour y rencontrer les grévistes de la faim. Pour le moment, on se rappelle surtout des craintes autour de l’arrivée du plombier polonais. L’hiver dernier, il faisait la une de la presse française. Si la directive Bolkestein libéralisait les services dans toute l’Union européenne, des plombiers polonais viendraient travailler en Europe de l’Ouest, «prendraient» le travail du plombier français ou allemand, à des tarifs en vigueur dans leur pays d’origine.

Après le plombier polonais, l’ouvrier de chantier

La directive Bolkestein a fait long feu et la Pologne a utilisé de manière positive l’idée du plombier polonais. Avec une allure de mannequin, il est apparu sur une affiche vantant la richesse touristique de son pays. Sans rancune, il demande aux Français d’y venir en vacances.

Il n’est peut-être plus question de libéraliser les services au sein de l’UE mais la différence de traitement entre travailleurs français et étrangers se pose dans la construction navale. La CGT, qui soutient le combat des Polonais pour obtenir leur dû, déclare que « le chantier naval de Saint-Nazaire est une zone de non-droit, un lieu de prédilection pour les patrons hors-la-loi, le temps des négriers existe toujours sur le site des chantiers de l’Atlantique ».

De temps en temps des dérapages

Ce n’est pas la première fois que des travailleurs étrangers font la grève à Saint Nazaire pour obtenir ce qui a été convenu dans le contrat de travail. En 2003 notamment, des travailleurs roumains avaient fait grève pour obtenir le paiement de leurs salaires. L’affaire avait fait tellement scandale qu’Alstom avait rompu son contrat avec Avco. Cette société italienne avait remporté le contrat de l’air conditionné sur le Queen Mary.

Cette fois, comme pour les travailleurs roumains il y a deux ans, un empilage de sociétés, respectant plus ou moins le droit social français, a fait venir sur les chantiers navals en cours de construction l’entreprise la plus compétitive au niveau des coûts. Comme il est impossible de rogner sur la matière première étant donné les normes de sécurité toujours plus strictes, la seule solution est de faire des économies sur les salaires. Travailleurs indiens, grecs, roumains, portugais qualifiés acceptent de venir sur des chantiers français. Même moins payés que les employés français, ils gagnent beaucoup plus que dans leur pays.

La discrimination dans les droits du travail

Les syndicats, les associations dénoncent le système qui commence d’abord par cette discrimination salariale puis continue avec des dépassements d’horaires, des heures supplémentaires non prises en compte. Viennent ensuite les pressions pouvant jouer sur les conditions dans lesquelles se fera le retour au pays. Cette fois, la CGT dénonce des «menaces physiques» sur les ouvriers en grève de la part de leur hiérarchie. Le syndicat demande maintenant que les ouvriers soient engagés par la société Gestal, qui avait choisi la société polonaise défaillante.

L’emploi de main d’œuvre étrangère en France est encadré par le ministère du Travail. Il donne une autorisation officielle. L’administration est ensuite censée vérifier si tout se passe normalement dans l’exécution du contrat de travail. Cette fois, à la suite d’un contrôle effectué sur le chantier, «l’inspection du travail a constaté des irrégularités dans la tenue des registres, le décompte des horaires, et dans le versement des salaires».

Sous-traitance et impuissance

Le consul général de Pologne en France est venu sur place pour essayer de résoudre le problème. Il a indiqué que «des démarches étaient engagées avec la société Kliper en Pologne, mais que compte tenu des circonstances, il ne pouvait apporter des garanties sur une issue positive». L’entreprise ayant fait faillite, la CGT estime pour sa part que «en sa qualité de donneur d’ordre, la direction des chantiers est engagée, elle ne peut se réfugier derrière une soi-disant méconnaissance de la gestion de l’emploi dans les entreprises sous-traitantes».

Il y a eu la construction du Queen Mary puis aujourd’hui celle de plusieurs méthaniers, des paquebots sont en projet. Malgré tout, Alstom Marine a massivement réduit les emplois. Aujourd’hui l’entreprise paie  directement 3 000 salariés sédentaires et fournit autant d’emplois à la sous-traitance, emplois dans lesquels émergent les cas de ces Polonais. «A quel prix social est-il possible de conserver une activité sur le site de Saint-Nazaire ?». La direction départementale du travail posait la question il y a deux ans. Aujourd’hui la concurrence est toujours plus rude avec les chantiers coréens et chinois dont les prix de revient sont imbattables.


par Colette  Thomas

Article publié le 02/08/2005 Dernière mise à jour le 13/01/2006 à 17:10 TU