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Philippines

Coup d’Etat déjoué

La présidente Gloria Arroyo annonce l'état d'urgence national à la télévision philippine, le 24 février.(Photo: AFP)
La présidente Gloria Arroyo annonce l'état d'urgence national à la télévision philippine, le 24 février.
(Photo: AFP)
Après avoir « écrasé » une tentative de coup d’Etat qui lui était hostile et dont la rumeur circulait depuis quelques jours, et arrêté les responsables – des hauts gradés, la présidente Arroyo a décrété l’état d’urgence dans son pays vendredi 24 février. Mais de l’avis des observateurs et de l’opposition, ce geste politique a semblé « disproportionné » et « dommageable » pour l’économie de l’archipel, d’autant qu’il rappelle la loi martiale instaurée sous le régime du dictateur Marcos, en 1972.

Les bruissements de rumeurs de coup d’Etat se sont finalement avérés, avec une tentative de putsch hostile à la présidente philippine Gloria Arroyo, déclarée mercredi, et mettant en danger la démocratie dans l’archipel, a estimé l’ancienne présidente philippine, Corazon Aquino. Ce « complot systématique » a été déjoué par le gouvernement, qui affirme avoir « écrasé une action armée illicite » ourdie par des opposants au régime actuel, des « militaires aventuristes », hauts gradés « membres de l’armée fourvoyés ». La présidente Arroyo « n’oublie pas ceux qui ont fourni soutien et financement à cette entreprise », dénonçant l’ « alliance tactique » entre la droite et les communistes dont le but était de mettre fin à la démocratie dans le pays.

A la tête des putschistes, le général Danilo Lim, commandant du régiment d’élite des « Scout Rangers » et le colonel Ariel Quevedo, du prestigieux corps des « Marines » philippins, lesquels ont tous deux été relevés de leurs fonctions, a indiqué le chef d’état-major des forces armées, le général Generoso Senga. Celui-ci est d’ailleurs apparu avec d’autres gradés à la télévision pour déclarer son soutien à la présidente.

Le général Danilo Lim, placé en garde à vue avec le colonel Ariel Quevedo, avait déjà été arrêté en 1989 pour une tentative de coup d’Etat sanglant contre la présidente d’alors, Corazon Aquino. L’homme avait cependant bénéficié d’un pardon et avait été promu pour devenir un des responsables militaires les plus réputés dans le pays. Le commandant des forces d’actions spéciales de la police nationale, Narzalino Franco, a également été interpellé vendredi. En tout, huit personnes, civils et militaires présumés être impliqués dans cette tentative de soulèvement, ont été placées sous les verrous. Mais d’autres civils pourraient encore être arrêtés, a prévenu le chef d’état-major de la présidente, Michael Defensor.

Les tentatives de coups d’Etat ne sont pas rares dans ce pays, qui en a connu une dizaine depuis une vingtaine d’années. L’armée avait d’ailleurs annoncé la semaine dernière avoir découvert un plan baptisé « Oplan Hackle » prévoyant le renversement d’Arroyo et la formation d’une junte militaire ainsi que l’évasion de plusieurs officiers jugés pour l’organisation d’une mutinerie manquée en juillet 2003.

Un état d’urgence qui inquiète

Conséquence de cette tentative de coup d’Etat, Gloria Arroyo a immédiatement décrété et proclamé par écrit l’état d’urgence dans l’archipel. C’est une « mise en garde contre ceux qui voudraient tenter quoi que ce soit contre le gouvernement », s’est prémuni la présidente. Mais les raisons invoquées par Arroyo rappellent les justifications fournies par l’ancien dictateur Ferdinand Marcos lorsqu’il a instauré les neuf ans de loi martiale en 1972, a estimé le politologue Benito Lim.

Sans empêcher le fonctionnement normal du système judiciaire, l’état d’urgence permet des arrestations sans mandat, une prolongation de la garde à vue sans inculpation et donne à l’armée des moyens supplémentaires pour exercer le maintien de l’ordre. C’est bien ce qui a inquiété la Bourse de Manille, la capitale, qui perdait 1,6 points jeudi, alors que le peso tombait à 52,10 pour un dollar, contre 51,66, jeudi. Pour l’économie philippine, la décision d’Arroyo est « disproportionné » et « dommageable », ont estimé des observateurs et des membres de l’opposition.

« Le gouvernement surréagit », a jugé pour sa part Earl Parreno, de l’Institut pour la réforme politique et électorale. « Il est possible qu’il y ait une menace d’une petite faction de l’armée, mais elle n’est pas suffisamment sérieuse pour renverser son gouvernement ». L’instauration de cet état d’urgence pourrait même se retourner contre Arroyo : de l’avis de Benito Lim, il pourrait « unifier l’opposition » qui serait alors rejointe par des officiers de l’armée. « C’est une catastrophe », a indique un analyste basé à Singapour. « Si la situation devient hors de contrôle, alors [la présidente Arroyo] se trouvera en situation de devoir faire intervenir la police et l’armée. Cela pourrait devenir violent. Cela montrera qu’elle est faible ».

Sécurité renforcée

« En tant que chef des armées, je contrôle la situation », a annoncé Gloria Arroyo. Depuis quelques jours en effet, la sécurité avait été renforcée par le gouvernement philippin qui craignait que l’opposition ou l’armée (le général Lim prévoyait que des militaires rejoignent les manifestants) ne récupèrent les manifestations du 25 février à Manille commémorant la « Révolte du peuple », ce soulèvement populaire de 1986 qui avait mis fin au régime de Marcos. Bien qu’il faille « se souvenir de la révolution du peuple et de notre engagement pour la démocratie », avait indiqué l’éditorialiste du Manila Times, l’ampleur autorisée de ces manifestations ne va pas de soit : « donner trop d’importance à ces commémorations serait ouvrir trop grand les vannes de la contestation, indiquait le journaliste. En faire peu, ce serait prendre le risque d’être accusé de mollesse », ajoutait-il. Plusieurs groupes d’opposition entendaient, en effet, profiter de l’événement pour accentuer la pression sur la présidente Arroyo.

La présidente philippine, qui est arrivée au pouvoir à la suite d’une autre « révolte du peuple » en 2001 et qui avait déjà échappé à une tentative de coup d’Etat en 2003, a renforcé la sécurité après la tentative de prise de pouvoir par l’armée. La police a annulé vendredi les autorisations données à plusieurs rassemblements. Des blindés et des renforts de troupes ont été dépêchés dans les quartiers généraux de l’armée à Manille. Des conteneurs ont été installés autour du palais présidentiel afin d’en bloquer l’accès. Des forces anti-émeutes ont été déployées. Elles ont dispersé une manifestation d’une centaine de personnes.

Elles ont laissé, en revanche, se tenir une autre manifestation, forte de 5 000 personnes, qui s’était réunie pacifiquement dans un sanctuaire, point central des soulèvements de 1986 et de 2001 qui avait chassé Joseph Estrada de la présidence. « Ne laissons personne nous voler notre démocratie », y déclarait l’ancienne présidente, Corazon Aquino, 73 ans, figure de la démocratie et ancienne alliée d’Arroyo qui l’appelle aujourd’hui à démissionner. La situation politique de la présidente Arroyo n’est pas simple: elle fait l’objet d’accusations de fraudes électorales depuis des mois, ce qui entraîne au plus bas sa popularité.


par Gaëtane  de Lansalut

Article publié le 24/02/2006 Dernière mise à jour le 24/02/2006 à 17:55 TU

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Sophie Boisseau

Chercheuse, spécialiste de l'Asie

«L'armée, aux Philippines, ne représente pas une force homogène.»

[24/02/2006]

Nicolas Vescovacci

Journaliste à RFI

«L'état d'urgence n'a pas été appliqué aux Philippines depuis les années Marcos.»

[24/02/2006]

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