Proche-Orient
Le Hamas palestinien pourfend le projet de séparation israélien
(Photo : AFP)
Le mouvement islamiste qualifie de «déclaration de guerre» le plan du Premier ministre israélien par intérim, Ehud Olmert, qui consiste à évacuer les colonies isolées pour mieux conserver les grands blocs. Mais cette démarche unilatérale n’est pas sans intérêt pour le Hamas qu’elle exempte par avance de toute pression pour renouer les négociations.
Pendant plus de dix ans, Saëb Erekat a été le monsieur diplomatie de la direction palestinienne. Le rituel non écrit voulait qu’après chaque déclaration israélienne, son visage cerclé de fines lunettes rondes apparaisse sur les écrans des chaînes de télévisions internationales. Ce privilège revient désormais à Khaled Meshaal. Depuis Damas où il réside, le chef du bureau politique du Hamas, reconnaissable à son collier de barbe poivre et sel, a fustigé sans ménagement l’ambition d’Ehud Olmert de dessiner d’ici 2010 les frontières définitives d’Israël, la qualifiant de «déclaration de guerre».
Dans une série d’interview aux médias de son pays, le Premier ministre par intérim s’est dit désireux de «se séparer de la majorité de la population palestinienne et de préserver une majorité juive importante et stable». Les contours qu’il envisage de donner à l’Etat hébreu englobent dans son esprit les principaux blocs de colonie comme Ariel, Gush Etzion et Maaleh Adumim ainsi que la vallée du Jourdain, dont il entend faire la frontière orientale d’Israël. Ce tracé recoupe grosso modo celui du mur de séparation, qui, au prix de quelques aménagements, est appelé, selon Ehud Olmert, à matérialiser la frontière permanente d’Israël.
«Il s'agit d'un désengagement unilatéral sur la base des intérêts sécuritaires d'Israël et non des exigences de la paix», a aussitôt réagi Khaled Meshaal. Ce projet, «permettra à Israël de maintenir ses positions dans la majorité de la Cisjordanie aux moyens de la construction de la clôture, de garder sous sa coupe les colonies et Jérusalem et de rejeter le droit au retour», poursuit Meshaal, estimant que «Olmert répète les erreurs de Sharon».
Un patchwork d’enclaves ingouvernables
La plupart des partis palestiniens font la même analyse. S’ils n’utilisent pas le lexique offensif de Khaled Meshaal, ils conviennent que l’unilatéralisme israélien n’augure rien de bon. Instruits par le blocus quasi hermétique auquel est soumise la bande de Gaza depuis l’évacuation de ses colons, les Palestiniens redoutent que sous couvert de «séparation», le gouvernement israélien envisage surtout une «annexion» des quartiers arabes de Jérusalem, ainsi que des terres situées à l’ouest du mur et dans la vallée du Jourdain. Dans leur optique, Olmert, ses bulldozers et ses géomètres, menacent de transformer la Cisjordanie en un patchwork d’enclaves isolées les unes des autres et donc ingouvernables.
Officiellement, le plan du favori des sondages aux législatives israéliennes du 28 mars prochain fait figure d’hérésie pour les Palestiniens. Mais dans les coulisses des partis, on sait aussi qu’il peut y avoir un gouffre entre les promesses de campagne et l’action au gouvernement. Avant de publier un démenti, Mahmoud Abbas avait affirmé mercredi à un journal italien, Corriere Della Serra, qu’il espérait la victoire d’Ehud Olmert. «Je le connais bien. Je pense que nous pouvons travailler de façon productive ensemble», disait-il.
L’idée que seule la droite en Israël dispose de la marge de manœuvre suffisante pour démanteler des colonies et que c’est avec elle que la paix sera signée in fine est présente dans certains cercles du Fatah, notamment au sein de la vieille garde. Le ralliement de Shimon Pérès à Kadima, le nouveau parti fondé par Ariel Sharon avant son attaque cérébrale, n’est pas étranger à cette analyse. Le qualifiant de «vieil ami», Mahmoud Abbas, a également souhaité sa victoire dans l’interview donnée au Corriere Della Serra.
Côté Hamas, la donne est plus complexe que ce que ses slogans en disent. L’unilatéralisme d’Olmert fait son affaire, dans la mesure où il affranchit par avance ses dirigeants de toute pression pour renouer avec le processus de paix. Ce plan offre un alibi aux islamistes pour refuser la reconnaissance d’Israël, brandir leur intransigeance et leur intégrité politique, tout en encaissant les dividendes des prochaines évacuations de colons. «Le Hamas ne veut pas de solution pratique au conflit, sur la base de deux Etats pour deux peuples, affirme Sufian Abou Zeyda, le ministre (Fatah) des Prisonniers. Il veut bien d’un cessez-le-feu pour dix ou quinze ans, car maintenant qu’il a le pouvoir, il peut baisser les armes. Mais il ne veut pas de paix négociée. Son intérêt est de laisser pourrir le conflit, de l’islamiser lentement mais sûrement et de ce point de vue là, Olmert est une bénédiction pour eux».
par Benjamin Barthe
Article publié le 12/03/2006 Dernière mise à jour le 12/03/2006 à 13:03 TU