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Algérie

Réconciliation sur fond d’incertitudes

Ali Benhadj (G. en 2003), l'ancien numéro 2 du FIS, vient d'être libéré de prison.(Photo : AFP)
Ali Benhadj (G. en 2003), l'ancien numéro 2 du FIS, vient d'être libéré de prison.
(Photo : AFP)
D’ici la fin mars, 2 200 activistes islamistes, parmi lesquels plusieurs centaines ont été condamnés pour crimes, seront libérés. L’ordonnance d’application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, publiée le 28 février dernier, permet également l’élargissement d’anciens émirs des Groupes islamistes armés (GIA) et des membres du groupe terroriste du Groupe salafiste de prédication et de combat (GSPC). Ali Benhadj, ancien n°2 du Front islamiste du salut (FIS), qui était en détention pour apologie du terrorisme, a été également libéré dans le cadre de ce dispositif. Il ne s’est pas pour autant livré à l’apologie de la politique du président Bouteflika.

Vingt quatre heures après sa sortie de la prison d’El-Harrach (Alger), le Savonarole algérien est allé à contre-courant de la politique des autorités. «Il ne peut y avoir de réconciliation nationale imposée par une seule partie, le pouvoir… Il faut qu’il y ait d’abord la vérité sur tout ce qui s’est passé». Ali Benhadj, tribun et ancien n°2 du FIS (parti dissous en 1992), rejoint ainsi les familles des victimes du terrorisme, les familles des «disparus» et la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH) qui, notamment, revendiquent la vérité avant d’envisager de tourner la page rouge sang de la décennie écoulée.

La quête de cette vérité et même l’expression d’une simple opinion sur le sujet sont désormais interdites et susceptibles de poursuites pénales, en vertu de l’ordonnance sur la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Amnésie légale et impunité n’embarrassent guère le régime du président Bouteflika, convaincu que c’est la seule issue qui préserve «les équilibres internes» du pouvoir et qui ramène les «barbus égarés sur le droit chemin».

Habillage politico-juridique

Dans le camp des islamistes de l’ex-FIS, on réfute le qualificatif d’égaré et surtout le statut de repenti. L’ex-chef du bras armé du FIS, Madani Mezrag, répète à l’envie que son combat était légitime et qu’il a négocié une trêve, puis une paix avec son ennemi d’hier, l’armée. On comprend alors qu’il y a eu une entente. «Un arrangement sur le dos de la société», souligne un dirigeant du Front des forces socialistes (FFS). Le référendum sur la concorde civile, puis celui sur la Charte pour la paix et la réconciliation nationale ainsi que les textes législatifs et réglementaires qui ont suivi participeraient d’un habillage politico-juridique destiné à la consommation extérieure.  

Quelques journaux proches du régime, comme Le Courrier d’Algérie, justifient cette option qui laisse dubitatifs de nombreux algériens. «Chaque pays dispose de sa propre voie pour la réconciliation et la rédemption, en fonction du contexte historique et des ressorts culturels. Tel est le substrat et le socle indéniable des expériences universelles. De Cap Town à Belfast, de Belgrade à Santiago, de Freetown aux confins des Balkans où Serbes, Croates, Bosniaques, Kosovars et Monténégrins ont fini par entendre raison et à taire les armes de la désolation. Plus en avant, la réconciliation a touché les sociétés multiconfessionnelles (Australie, Canada, Nouvelle-Zélande) qui ont mis en place des législations adaptées à la question des aborigènes intégrés», écrit par exemple Le Courrier.

Mais comparaison n’est pas raison. Cette solution à l’algérienne, qui blanchit également tous les services de sécurité, ouvre la voie à une nouvelle ère d’incertitude, estiment de nombreux observateurs algériens, persuadés que l’état de droit en crise est désormais sérieusement fragilisé. A leurs yeux, la chape de plomb imposée sur la mort de quelque 100 000 personnes et sur la disparition de plus de 5 000 autres ne fait que différer le règlement réel de la crise.

Criminalité en hausse

Depuis fin 1997 et l’accord secret, conclu entre l’Armée islamique du salut (AIS) et un groupuscule de responsables de l’armée, la criminalité est en hausse constante. Cet accord, qui a consacré l’impunité des crimes les plus horribles, combiné à la corruption généralisée a favorisé cette tendance qui pourrait s’aggraver avec la libération progressive de 2 200 activistes, parmi lesquels de dangereux individus, venant s’ajouter à quelques 5 000 «repentis», amnistiés par la concorde civile en l’an 2000. 

Fouad Boulemia, un délinquant membre présumé du GIA, condamné à mort en 2001 pour l’assassinat du dirigeant islamiste Abdelkader Hachani, vient d’être libéré. Le premier émir du GIA, Abdelhak Layada, condamné à mort, ne devrait pas tarder à sortir de prison, lui aussi.  Même, Abderezak El Para, de sinistre renommée, auteur entre autre de l’enlèvement de 32 touristes européens dans le Sahara, est éligible à une levée d’écrou. Selon Le Jour d’Algérie, une commission étudie son cas. Aux termes de l’ordonnance présidentielle, les «faits d’armes» individuels ne sont pas susceptibles de poursuites judiciaires, contrairement aux viols, massacres et attentats à l’explosif commis durant la décennie rouge. A ce titre, cet ancien membre des forces spéciales algériennes retrouverait la liberté bientôt.

Analysant tout le dossier de cette réconciliation, la LADDH «considère qu’il est extrêmement grave de présenter les choses au sommet de l’Etat avec une telle désinvolture». Dans une déclaration, elle rappelle que «les crimes contre l’humanité, et c’est bien le cas dans cette problématique algérienne, sont imprescriptibles, non amnistiables et non susceptibles d’une extinction de l’action publique». La Ligue algérienne des droits de l’Homme ajoute et que «toute démarche contraire relève de la forfaiture».

par Belkacem  Kolli

Article publié le 12/03/2006 Dernière mise à jour le 12/03/2006 à 13:52 TU