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Balkans

Colère et déception après la mort de Milosevic

Le portrait de Slobodan Milosevic sur les murs de Belgrade, le 5 octobre 2005, jour du cinquième anniversaire de la chute de l'ancien président serbe.(Photo : AFP)
Le portrait de Slobodan Milosevic sur les murs de Belgrade, le 5 octobre 2005, jour du cinquième anniversaire de la chute de l'ancien président serbe.
(Photo : AFP)
Tandis que les partisans serbes de l’ancien maître de Belgrade accusent le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, de nombreuses voix s’élèvent dans tous les Balkans pour déplorer la fin inopinée d’un procès crucial. La mort de Milosevic, acteur capital, hypothèque en effet l’ensemble des procédures en cours à La Haye, mais aussi le besoin régional de justice et de vérité.

De notre correspondant à Belgrade

Ne craignant pas l’emphase, l’Union des gauches yougoslaves, le parti de l’épouse de Slobodan Milosevic, déclarait samedi que Milosevic, «qui était déjà un héros, est désormais un saint». De son côté, toujours officiellement présidé par Milosevic depuis sa cellule de La Haye, le Parti socialiste de Serbie (SPS) dénonce un «meurtre» et demande des funérailles officielles pour l’ancien maître de Belgrade.

L’hostilité grandit contre La Haye

L’accusé souffrait effectivement de problèmes cardiaques bien connus, et il paraîtrait donc surprenant qu’il n’ait pas reçu toute l’assistance médicale requise dans la prison modèle de Scheveningen. Le tribunal avait refusé toutes les demandes de remise en liberté provisoire de Milosevic, qui voulait aller se faire soigner en Russie. Et, depuis l’annonce de sa mort, tous les nostalgiques du régime de Milosevic trouve tout naturellement dans sa disparition matière à nourrir leur hostilité à l’encontre du tribunal de La Haye, qu’ils accusent d’être une juridiction partiale, anti-serbe et privée de fondements juridiques.

Il est toutefois peu probable que la mort de Milosevic ait des conséquences politiques immédiates en Serbie, car l’ancien président appartenait déjà au passé du pays. Aucune manifestation de grande ampleur n’est prévue. Samedi soir, les sympathisants du SPS n’étaient que quelques centaines au siège du parti, pour une veillée funèbre. Reste que la défiance s’est encore accrue envers le Tribunal pénal international (TPI). Elle pourrait faire remonter la cote des formations qui lui sont hostiles, celle du Parti radical serbe (extrême droite) par exemple.

La Serbie aborde de toute manière une période politique à hauts risques, avec les négociations sur le statut final du Kosovo qui doivent reprendre à la fin du mois, et le référendum d’autodétermination du Monténégro, prévu pour le 21 mai. Dans les autres pays des Balkans, les réactions sont bien différentes. En Croatie ou en Bosnie, de nombreuses voix se sont élevées, comme celle de l’association des Mères des victimes de Srebrenica, pour regretter que Milosevic n’ait plus à répondre de ses crimes devant la justice. Le président croate, Stjepan Mesic, a exprimé son indignation, ne cachant pas sa colère envers le TPI et l’administration de la prison.

Ceux des Serbes qui n’avaient aucune sympathie pour Milosevic et son régime sont partagés entre le dépit de voir s’éteindre l’action de la justice et la colère contre le TPI, qui n’a pas assumé ses responsabilités. Certains soulignent qu’il aurait peut-être mieux valu que Milosevic soit jugé en Serbie même, pour les torts qu’il a aussi causé au peuple serbe lui-même.

Le «procès pour l’histoire» finit en queue de poisson

Dimanche, les autorités serbes ont préféré commémorer le troisième anniversaire du meurtre du Premier ministre démocrate Zoran Djindjic, assassiné le 12 mars 2003. Une manière d’opposer la «Serbie de l’avenir» à celle du passé. Cependant, comme le déplorent beaucoup de responsables d’organisations de défense des droits de la personne, avec l’arrêt inopiné du procès, la Serbie aura encore plus de mal à assumer son passé récent.

Lors de l’ouverture du procès, la procureure générale, Carla del Ponte avait expliqué que ce procès était «la mère des accusations» du TPI. En effet, Milosevic était certainement le principal acteur des guerres yougoslaves des années 1990, et la reconnaissance de sa culpabilité était déterminante pour l’évolution de nombreuses autres inculpations. Cependant, ce «procès pour l’histoire» se termine en queue de poisson. Depuis 2002, le procès Milosevic s’était d’ailleurs enlisé dans une procédure souvent incompréhensible pour les observateurs et les victimes, qui avaient fini par se lasser des retransmissions télévisées des audiences de La Haye, pourtant suivies avec passion dans un premier temps, à travers tous les Balkans.

L’affaire est d’autant plus gênante que, lundi dernier, une autre grande figure des guerres des années 1990, l’ancien président de la «République serbe de Krajina», en Croatie, Milan Babic, se suicidait dans sa cellule de la même prison de Scheveningen. Déjà condamné à 13 années de prison, Babic purgeait sa peine dans un pays tiers, mais il avait justement été ramené à La Haye, pour témoigner… dans le cadre de plusieurs procès en cours, dont celui de Milosevic ! Les résultats de l’enquête sur les conditions de son suicide ne sont toujours pas connus.

Beaucoup de procès seront très difficiles à mener sans les témoignages de Babic et de Milosevic. Carla del Ponte entendait notamment prouver que les massacres commis lors de la chute de l’enclave bosniaque de Srebrenica, en juillet 1995, relevaient bien de la catégorie juridique du génocide. La procureure générale peut encore compter sur une dernière carte : l’arrestation des deux anciens chefs serbes de Bosnie, Radovan Karadzic et Ratko Mladic, en cavale depuis 1995. Au total, six inculpés serbes sont toujours dans la nature.

L’Union européenne a soumis la Serbie à un ultimatum pour qu’elle localise et qu’elle arrête le général Mladic, d’ici la fin du mois de mars. Si cela se produisait, l’accusation de génocide pourrait être étayée, notamment à propos du massacre de Srebrenica. Par contre, si les deux fugitifs continuaient d’échapper à la justice, ou s’ils mettaient fin à leurs jours, comme ils ont menacé de le faire en cas d’arrestation, tout le travail de la procureure risquerait de s’effondrer ou de perdre toute crédibilité


par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 12/03/2006 Dernière mise à jour le 12/03/2006 à 19:13 TU