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Justice internationale

Sarajevo et Belgrade devant le tribunal de La Haye

Une manifestation de victimes accompagnait lundi 27 février l'ouverture du procès pour génocide de la Serbie-Monténégro, au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, à La Haye.(Photo : AFP)
Une manifestation de victimes accompagnait lundi 27 février l'ouverture du procès pour génocide de la Serbie-Monténégro, au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, à La Haye.
(Photo : AFP)
La Cour internationale de Justice (CIJ) a ouvert, le 27 février, le procès intenté par la Bosnie-Herzégovine à la Serbie-Monténégro pour génocide.

De notre correspondante à La Haye

Des carreaux de tissu coloré portent les noms brodés des 8 106 victimes décédées dans la région de Srebrenica en 1995, sur une banderole tenue par plusieurs dizaines de manifestants. Leurs noms sont égrenés au micro, tandis que derrière les grilles qui font face à la manifestation, le Palais de la Paix ouvre la première audience du procès intenté par la Bosnie-Herzégovine à la Serbie-Monténégro pour génocide. La manifestation est calme, sans effusion de larmes ou de slogans vengeurs. Mais quelques pancartes interpellent : « La honte de l’Europe : génocide à Srebrenica, 8 106 victimes » ou encore le signe nazi comme symbole de la république des Serbes de Bosnie surligné de cette mention : « Soutenez-vous le fascisme ? »

Derrière les grilles, dans l’atmosphère feutrée de la salle d’audience de la Cour internationale de Justice (CIJ), la Bosnie-Herzégovine ouvre le bal des 32 jours de plaidoiries à venir. « Les centaines de victimes qui se sont rassemblées à La Haye pacifiquement sont une preuve vivante de l’infamie », commence Sakib Softic, représentant du gouvernement de Bosnie-Herzégovine. L’affaire Bosnie/Serbie est inscrite au rôle de cette juridiction de l’Onu, chargée de régler les différends entre Etats, depuis 13 ans. Le 20 mars 1993, en pleine guerre, la Bosnie-Herzégovine portait plainte pour génocide, et accusait la Serbie-Monténégro d’avoir « tué, assassiné, blessé, violé, volé, torturé, enlevé, détenu illégalement et exterminé les citoyens de la Bosnie‑Herzégovine ». Sarajevo demandait la levée de l’embargo sur les armes, pour pouvoir exercer son « droit souverain à la légitime défense ». Une demande restée alors sans réponse.

Mais la plainte recouvre aujourd’hui d’autres enjeux. Celui de l’histoire d’abord, et du négationnisme de Belgrade, explique Sakib Softic. Il faut « chasser cette grossière falsification de l’histoire », la Bosnie ne demande « ni la vengeance, ni la culpabilité collective. Cette affaire ne blâme pas tous les serbes bosniaques pour les actes de génocide. Ils ont été induits en erreur par leurs chefs. Nous ne visons pas les citoyens de Serbie-Monténégro ou les citoyens de la république des Serbes de Bosnie. Nous cherchons à établir la responsabilité d’un Etat », dit-il.

L’ombre de Mladic et Karadzic

Au-delà des demandes de réparations formulées par la Bosnie, près de 2 milliards de dollars, Sarajevo espère aussi additionner des gains politiques dans le cadre des réformes en cours de ses structures étatiques, engagées sous la houlette de la communauté internationale. Les accords de paix de Dayton, signés en décembre 1995, avaient figé les gains de la guerre et divisé la Bosnie-Herzégovine en deux entités : la fédération croato-musulmane et la république des Serbes de Bosnie. Si elle est favorable à la Bosnie, la décision pourrait lui offrir des arguments supplémentaires à la création d’un Etat véritablement unifié, puisqu’elle établirait juridiquement que l’entité serbe n’est que le résultat de l’épuration ethnique. Dans les couloirs du Palais de la Paix, les avocats de la Bosnie se défendent toutefois de vouloir la disparition de l’entité.

La Bosnie parie sur l’avenir, surtout, face à des juges dont les arrêts ne valent que par leur force diplomatique. Leurs décisions tendent toujours à préparer l’avenir plutôt qu’à établir des faits passés. « Être côte à côte, au sein du Parlement européen, ne peut pas être réaliste » si Belgrade continue de nier sa participation active dans la guerre de Bosnie, plaide donc Sakib Softic. Les deux Etats ne sont qu’en début de course pour leur adhésion future à l’Union européenne. Une course entravée par les anciens chefs politique et militaire des Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic et Ratko Mladic, accusés de génocide par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et toujours en fuite depuis plus de dix ans. L’ombre des deux hommes planera, sans aucun doute, sur la suite des audiences. Le 9 mai, les quinze juges internationaux entameront leur délibéré. Il faudra attendre plusieurs mois avant de connaître leur décision.


par Stéphanie  Maupas

Article publié le 27/02/2006 Dernière mise à jour le 27/02/2006 à 15:24 TU