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Terrorisme

Coup de théâtre juridique au procès Moussaoui

La juge Leonie Brinkema a interrompu le procès Moussaoui pour violation «monumentale» des droits de la défense.(Source : AFP)
La juge Leonie Brinkema a interrompu le procès Moussaoui pour violation «monumentale» des droits de la défense.
(Source : AFP)
Zacarias Moussaoui, seul inculpé dans le cadre des attentats du 11-Septembre, pourrait échapper à la peine de mort : la juge chargée de conduire son procès vient de l’interrompre en raison d’une violation « monumentale » des droits de la défense. On connaîtra mercredi sa décision sur la poursuite, ou non, des audiences. La juge profite de cette journée d’interruption pour recevoir les témoins au cœur de ce rebondissement inédit.

L’affaire qui a provoqué la suspension du procès Moussaoui date du week-end dernier. La juge Leonie Brinkema apprend alors que des contacts ont eu lieu entre une avocate, qui doit plaider à charge contre le Français, et sept témoins. Ce genre de contact n’est pas autorisé dans le système judiciaire américain. L’avocate, Carla Martin, doit participer au procès pour défendre la position de l’Administration de la sécurité des transports. Cette avocate a adressé des courriers électroniques à ces sept témoins. Trois devaient parler pour étayer la thèse du gouvernement américain et les quatre autres devaient soutenir le point de vue des défenseurs de Moussaoui. Dans ces courriers électroniques interdits, l’avocate, mandatée par l’administration publique américaine parlait de « grandes failles que la défense peut exploiter» dans le système d’accusation. Etait notamment évoquée la théorie selon laquelle les attentats du 11-Septembre auraient pu être évités si Moussaoui avait parlé. Dans ces e-mails, l’avocate avait également parlé aux témoins de l’accusation, de questions que la défense serait susceptible de leur poser lorsqu’ils seraient entendus par le tribunal.

Aux Etats-Unis, en dehors de certains « experts », et des victimes, aucune des deux parties, qu’il s’agisse de la défense ou de l’accusation, n’a le droit de s’entendre avec les témoins. Il s’agit ainsi de garantir leur neutralité. « La règle est si connue que (cette violation) est difficile à croire », a déclaré, après la révélation de cette affaire, Maître Andrew McBride. Il est un ancien procureur d’Alexandria, cette ville de Virginie où se déroule le procès de Zacarias Moussaoui depuis début février.

Une pause pour décider

Quand elle a pris connaissance de cette affaire, Leonie Brinkema, en charge du procès Moussaoui, a ensuite suspendu les audiences pour deux jours. Elle veut entendre les témoins  pour décider si le procès peut continuer ou s’il doit être annulé. La juge a déclaré « n’avoir jamais constaté une telle violation des règles du tribunal ». Elle a par ailleurs noté que l’intervention de l’avocate auprès des témoins disqualifiait « la moitié » de la thèse soutenue par le gouvernement. Avec ces témoins à charge, l’accusation voulait notamment prouver que si Moussaoui avait parlé des projets d’attentats, lorsqu’il a été arrêté pour visa non en règle, la FAA (Administration fédérale de l’aviation) aurait eu le temps de prendre des mesures préventives dans les aéroports et à bord des avions. Il s’est en effet passé trois semaines entre l’arrestation de Zacarias Moussaoui et les attaques contre les cibles américaines.

Les défenseurs demandent l’annulation

Les défenseurs du Français, informés dès lundi matin de cette tentative d’orienter certains témoignages, ont immédiatement demandé l’annulation de la procédure. C’est l’une des possibilités qui s’offrent à la juge. Elle peut également continuer le procès tout en interdisant le témoignage des personnes approchées, ce qui affaiblirait l’accusation. Leonie Brinkema peut également autoriser la défense à questionner ces témoins, devant les jurés, afin de savoir quel genre de « conseils » ils ont reçu dans la perspective de leur audition dans ce procès. Cet éventail de possibilités est proposé par l’ancien procureur d’Alexandria qui a par ailleurs déclaré : « Il n’est pas de conséquence positive possible pour l’accusation ». Bien au contraire, elle pourrait se retrouver dans l’embarras. Cette fois, l’analyse est faite par Ira Robbins, professeur à la faculté de droit de l’université de Washington. Les avocats de Zacarias Moussaoui auront donc peut-être la possibilité d’interroger ces témoins pour leur demander si « on leur a demandé d’évoquer des informations inexactes ».

Si la juge Leonie Brinkema renonce au procès, l’accusation pourra contester cette décision en faisant appel. C’est le point de vue du professeur Carl Tobias, de la faculté de droit de Richemond : « même une procédure d’appel accélérée prendrait beaucoup de temps ». L’affaire « Etats-Unis contre Zacarias Moussaoui » serait une nouvelle fois bloquée.

En octobre 2003, la juge avait interdit au procureur de requérir la peine de mort parce que la justice n’avait pas autorisé le témoignage d’autres terroristes présumés, emprisonnés aux Etats-Unis et qui auraient pu témoigner à charge. Un an plus tard, cette décision de la juge Leonie Brinkema avait été cassée en appel.

« Je ne peux que souhaiter que le procès s’arrête là et qu’en aucun cas, Zacarias Moussaoui ne soit condamné à mort sur une telle procédure », a indiqué pour sa part l’avocat français du terroriste présumé. En tout cas, si la juge choisit d’exclure les témoins qui devaient être appelés à la barre pour soutenir la thèse gouvernementale, « l’accusation aura du mal à prouver, au-delà de tout doute raisonnable », sa théorie en vertu de laquelle Moussaoui est « éligible » à la peine de mort. « Les victimes du 11-Septembre ont droit, elles aussi, à un procès équitable », a poursuivi François Roux, « un procès dans lequel seraient poursuivis les vrais commanditaires des attentats, qui sont détenus par le gouvernement », a encore déclaré l’avocat français, après ce rebondissement concernant la violation des droits de son client.

« Revenez mercredi, et continuez à respecter mon ordre de ne pas écouter les médias », a déclaré la juge chargée du procès Moussaoui à l’intention des jurés. Si le procès est invalidé, les efforts du gouvernement américain pour obtenir la condamnation de Zacarias Moussaoui seront anéantis. Il a été inculpé en décembre 2001 de complicité avec les auteurs des attentats contre le Pentagone et les tours du World Trade Center. Si la procédure est annulée, le Français sera condamné à la prison à vie. Comme il a plaidé coupable, la justice américaine n’avait, au départ, que deux possibilités : soit le condamner à mort, soit l’emprisonner à vie. L’annulation du procès épargnerait la vie du prisonnier qui a lancé, au moment de l’interruption de séance : « The show must go on (que le spectacle continue) ! ».


par Colette  Thomas

Article publié le 14/03/2006 Dernière mise à jour le 14/03/2006 à 15:55 TU