Energie
Moscou, centre du monde
(Photo : AFP)
Le G8 n’était pas encore officiellement ouvert à Moscou que déjà l’américain Samuel Bodman, secrétaire à l’Energie, proposait un partenariat sur le nucléaire. L’idée serait de développer le nucléaire civil dans le monde entier afin de permettre l’accès à cette source d’énergie aux pays en développement. « Nous avons le choix pour les prochaines années : nous pouvons jouer à un jeu risqué de course sans fin, ou engager le monde dans une approche plus sûre de l’énergie nucléaire », a déclaré le représentant américain à l’occasion d’une conférence de presse dans la capitale de la Russie. « Nous envisageons le partenariat global sur l’énergie nucléaire (Global Nuclear Energy Partnership, GNEP) comme une collaboration internationale dans le but d’augmenter l’offre d’énergie propre et sans émissions (de gaz à effet de serre) pour le monde, de réduire la menace de prolifération nucléaire et de réduire le volume et la toxicité radioactive des déchets nucléaires », a encore expliqué Samuel Bodman.
Cette idée américaine d’une relance mondiale du nucléaire civil n’est pas nouvelle. Le président Bush en parle depuis plusieurs années, dans ses allocutions. La dernière fois qu’il a évoqué ce projet, c’était à l’occasion de son discours sur l’état de l’Union. Le président américain avait alors annoncé un programme énergétique américain sur plusieurs plans. D’ici 20 ans, les Etats-Unis vont notamment chercher à réduire leur dépendance à l’égard du pétrole du Moyen-Orient. Et le nucléaire civil, sur le sol américain, devrait être relancé.
Contourner le TNP
« Dans le domaine de la distribution, nous travaillerons avec nos partenaires internationaux pour développer un programme de livraison de combustible, pour fournir les pays en développement, avec un accès sécurisé au combustible nucléaire, en échange d’un engagement à renoncer à développer la technologie de l’enrichissement et du recyclage ». Voila comment le représentant américain a présenté, à Moscou, le développement du nucléaire civil mondial. La suprématie des pays ayant déjà la capacité à fabriquer du combustible nucléaire est réaffirmé puisque les pays auxquels du combustible sera fourni s’engageront à ne pas mettre en œuvre eux-mêmes cette technologie. La même logique prévaudra pour le retraitement des déchets et l’extraction du plutonium, un savoir-faire encore plus confidentiel que l’enrichissement dans le monde industrialisé.
Ces propositions contournent le Traité de non prolifération (TNP). Plusieurs pays n’ayant pas signé ce traité ont développé des programmes dont les extensions militaires potentielles échappent à la surveillance de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Le partenariat, s’il voit le jour, élimine ce problème de la reconnaissance du TNP.
Opportunément, la Russie a eu la même idée que les Etats-Unis. Quelques jours avant le sommet de Moscou, le ministre russe des Affaires étrangères proposait la création d’un réseau de centres d’enrichissement de combustible nucléaire, sous contrôle international. Là aussi, il s’agit de favoriser l’accès à l’énergie nucléaire des pays en développement qui le souhaiteront. Sergueï Lavrov parlait déjà d’une « proposition commune », avec les Américains.
A peine commencé, le G8 énergie prend d’emblée une tournure très politique. Les Etats-Unis et la Russie mettent en avant le nucléaire civil. Ils préservent leur technologie. L’Inde, qui a procédé à des essais nucléaires, la Chine, qui a fait de même et construit des centrales nucléaires, le Brésil, le Mexique et l’Afrique du Sud, qui ont amorcé des programmes dans ce domaine, ont été invités à ce G8, réunion des pays les plus riches de la planète (Etats-Unis, Allemagne, Canada, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon, plus Russie).
L’Iran n’est pas présent mais pourrait indirectement bénéficier de ce futur partenariat s’il aboutit. La Russie a déjà proposé de résoudre la crise internationale ouverte par Téhéran, à propos de ses activités d’enrichissement, en créant une société mixte russo-iranienne. Installée en Russie, elle aurait fabriqué le combustible nucléaire iranien. Le projet est en suspens.
A l’exception de la Chine, les pays possédant les technologies les plus sensibles sont presque tous membres du G8. Le club qui se réunit pour deux jours à Moscou est donc au fait de toutes les questions : paix, désarmement, dissuasion, pays rebelles aux accords internationaux, et production d’électricité.
Le monopole de Gazprom en question
Ce G8 étant celui de l’énergie, il faudra aussi parler de l’approvisionnement de l’Europe en gaz et en pétrole russe. L’Union européenne arrive à Moscou avec une Charte de l’énergie qui permettrait, de l’avis des Européens «d’améliorer le climat d’investissements en Russie et dans les pays de transit (du gaz et du pétrole russe) ». Mais dès jeudi, Moscou a opposé une fin de non-recevoir à cette proposition des 25. S’ils ne sont pas unis pour faire des investissements cohérents à l’intérieur de l’Union, les pays membres le sont dans leur volonté de sécuriser leurs approvisionnements en provenance de Russie. Leur fragilité a été évidente l’hiver dernier, lorsque Gazprom a temporairement coupé le robinet pour pénaliser l’Ukraine. Le président de la Commission, José Manuel Barroso a tout de même l’intention de discuter de cette charte avec Vladimir Poutine, qu’il rencontre vendredi soir.
Le G8 se penchera sur le monopole du gaz russe détenu par Gazprom. Son bras de fer avec l’Ukraine a montré à quel point l’Europe de l’Ouest dépend de cette entreprise publique russe. Vladimir Milov, président de l’Institut de la politique énergétique à Moscou, a fait un diagnostic qui donne des arguments aux Européens. Cet expert met en cause la fiabilité de Gazprom en tant que fournisseur du quart du gaz consommé en Europe. Pour Vladimir Milov, faute d’investissements suffisants afin d’exploiter de nouveaux gisements, « Gazprom n’a pas assez de gaz pour faire face à la demande en période de grand froid, ses gisements s’épuisent ». Un autre expert, appartenant à l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), estime qu’il « n’y a aucune chance pour que le gouvernement russe entreprenne quelque chose de radical afin de réformer » le secteur gazier.
par Colette Thomas
Article publié le 15/03/2006 Dernière mise à jour le 15/03/2006 à 17:39 TU