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interview

Internet

Toute l’Afrique connectée au web par satellite

(Montage: RFI)
(Montage: RFI)
En Afrique, les infrastructures de télécommunication sont souvent limitées, de mauvaise qualité et mal entretenues. Ce qui freine le développement d’Internet et l’installation du haut débit. Pour palier ces difficultés, le satellite semble être l’une des solutions. Le point avec Jean-Michel Cornu, directeur scientifique de la Fondation Internet nouvelle génération (FING) et Philippe Tintignac, directeur de la société Afrique Telecom, créée en janvier 2005, qui fournit des liaisons Internet par satellite sur le continent africain.

L’Internet par satellite fait des émules en Afrique depuis la fin des années 90, pourquoi ?

Jean-Michel Cornu : L’accès à Internet par satellite est bien adapté aux zones isolées, notamment celles qui sont éloignées des points de raccordement et, contrairement au réseau filaire, il permet d’être connecté en permanence et à haut débit. En Afrique, la situation est un peu comme avant l’arrivée du mobile. Il existe des équipements Internet mais surtout par les lignes téléphoniques. C’est pourquoi le satellite peut être intéressant. Il permet de faire le lien entre un réseau local (comme un cybercafé) et le reste de l’Internet, de relier une capitale à d’autres villes. Par exemple, le Togo est en train de couvrir tout son territoire en Wi-Max (Internet sans fil à haut débit), à l’aide de 5 bornes. Comment les relier entre elles ? Par satellite...

Philippe Tintignac : Le continent est complètement déconnecté du réseau mondial. On y trouve la connexion Internet la plus chère au monde car il n’y a pas encore de nœud d’interconnexion. L’ADSL (haut débit passant par une ligne téléphonique) africaine est très chère et pas forcément fiable car les infrastructures de téléphone filaires sont souvent désuètes. La fibre optique qui fait le tour de l’Afrique est monopolisée par les opérateurs nationaux qui revendent très cher le mégabit… Donc, pour se connecter à Internet, il reste le satellite qui offre une connexion fiable et permanente.

Mais la connexion par satellite est inabordable pour beaucoup…

Jean-Michel Cornu : Il y a un an et demi, j’étais à Ouagadougou, au Burkina, dans un cybercafé avec une dizaine d’ordinateurs. En comparant les prix, je me suis rendu compte que l’offre satellitaire était dix fois moins chère que la liaison spécialisée que le propriétaire utilisait ! Un peu plus tard, à Agadez, au Niger, je vais dans l’un des trois cybers de la ville, équipés de modems 56 k classiques. Là, encore, je fais le même calcul pour découvrir que cela revenait au même prix d’avoir Internet par accès modem classique 2 heures par jour - quand le téléphone marche - qu’une connexion permanente à haut débit par satellite !

Philippe Tintignac : A Afrique Telecom, nous proposons une connexion plus rapide et moins chère que les offres filaires existantes. Nous avons une entrée de gamme pour un forfait à 300 euros par mois, un des premiers prix du marché. Comme pour l’ADSL, il existe des techniques de mutualisation où le mégabit est partagé entre plusieurs utilisateurs, ce qui réduit les coûts. Nos clients sont très variés : beaucoup de cybercafés, des PME locales, des clients internationaux comme de grands groupes français installés en Afrique ou des ONG. Les opérateurs locaux achètent aussi des services particuliers comme des liaisons satellitaires pour développer la téléphonie rurale. Nous ne vendons pas encore aux particuliers car cela reste effectivement trop cher. Mais notre idée, c’est quand même de proposer des solutions hot spot et de relayer le satellitaire par le Wi-Fi dans les lieux de passage, comme les aéroports, ou dans certains quartiers résidentiels dans lesquels les gens sont équipés en ordinateur.

Alors c’est l’installation qui coûte encore très cher…

Jean-Michel Cornu : Le prix moyen d’une installation est de 1 500 euros. C’est le prix de deux ordinateurs PC et l’investissement devient rentable s’il est mutualisé. C’est aussi un prix qui est en constante baisse et qui pourrait descendre jusqu’à 300 euros si de nombreuses personnes s’équipent. En plus, c’est un équipement peu sensible à la poussière, sans pièces amovibles. Et quand on voit les bénéfices que l’on peut faire en ouvrant son cyber toute la journée au lieu de 3 heures par jour… le calcul est vite fait ! Par satellite, la connexion est permanente et l’on n’est plus tributaire des coûts des télécommunications.

Philippe Tintignac : Le principal inconvénient du satellite est son coût d’investissement. Il nécessite la mise en place d’une infrastructure lourde, qu’il faut importer puis installer. Mais entre ça et rien… Nous, on se bat pour faire réduire les coûts au maximum par les fournisseurs. En contrepartie, l’avantage numéro 1 du satellite, c’est la fiabilité. Le temps de disponibilité annuel est de 99,2% !

L’Afrique est-elle bien couverte par les satellites ?

Jean-Michel Cornu : Oui, il y a pléthore d’offres ! Il y a une grande variété de satellites et donc une grande variété d’offres. Les plus anciennes sont généralement les plus chères. Du coup, on trouve des offres équivalentes à des prix parfois trois ou quatre fois plus élevés. D’où l’intérêt d’étudier les différents satellites et les différentes offres.

Philippe Tintignac : Il y a beaucoup de concurrence, avec les compétiteurs locaux et au niveau international. L’Afrique représente une grosse potentialité pour le développement des services sans fil.

Pour passer par le satellite, il faut l’autorisation des autorités. Le satellite permettant de contourner plus facilement la censure, certains pays sont-ils réticents ?

Jean-Michel Cornu : Cet aspect politique n’est pas très clair selon les pays. Pour le moment, j’ai l’impression que les pays africains cherchent plutôt à réguler les fréquences sans fil Wi-Max et Wi-Fi. En règle générale, les pays essaient de se servir d’Internet à des fins positives, pour développer l’éducation ou le commerce par exemple. A ma connaissance, et malgré les régimes politiques très différents du continent, la Tunisie est le seul Etat qui ait une politique de régulation d’Internet. Empêcher l’accès Internet par satellite mènerait à un paradoxe : il y aurait plus de haut débit dans les zones rurales, moins surveillées… et ça se traduirait par un désavantage des villes. Avant, il était difficile d’avoir l’information mais aujourd’hui, il est difficile de la cacher !

Philippe Tintignac : Afrique Telecom s’est concentrée sur l’Afrique francophone et a des clients dans tous les pays. En un peu moins d’un an et demi, on a déjà plus de 300 stations satellites. Certains pays sont fermés, comme la Tunisie qui a une réglementation spéciale, mais les besoins sont importants et la demande existe partout.

Se pose aussi le problème des points de raccordement, les hubs, qui se trouvent pour la plupart dans les pays occidentaux, ce qui créé une dépendance pour les Africains…

Jean-Michel Cornu : C’est vrai que les Africains n’ont aucun intérêt à ce que leurs hubs soient à Turin ou Amsterdam comme c’est aujourd’hui le cas. Cela pose un problème politique évident. L’équipement pour installer un hub est abordable, même pour un pays pas très riche. Il est en tous cas abordable pour un groupe de pays. Et l’on peut penser qu’un pays qui souhaiterait se servir du satellite pour Internet, la téléphonie et la télévision aurait peut-être envie de créer son propre hub pour tout contrôler.

Certains critiquent le fait qu’en développant le sans-fil, on renonce à faire marcher les réseaux au sol et donc à l’accès à Internet pour tous. Qu’en pensez-vous ?

Jean-Michel Cornu : Que l’on développe moins d’infrastructures fixes, c’est possible. Mais il faut voir si la même somme d’argent utilisée dans des infrastructures est aussi efficace que celle dépensée dans l’installation du satellite. Il n’y a aucune technologie qui répartisse parfaitement l’accès à Internet. Il y a un seuil. Mais le ticket d’entrée pour installer un Internet correct est moins cher par satellite. Le satellite n’est peut-être pas la meilleure solution pour l’Afrique mais c’est une bonne solution. De toute façon, le mieux c’est le panachage des technologies. Tous les moyens sont bons pour couvrir tout le territoire.

Jean-Michel Cornu a publié en janvier dernier une fiche d’expertise intitulée : « Comment obtenir un accès Internet par satellite en Afrique ? »

Le site d’Afrique Telecom.


Propos recueillis par Olivia  Marsaud

Article publié le 22/03/2006 Dernière mise à jour le 22/03/2006 à 13:06 TU