Immigration
Naufrage mortel au large du Cameroun
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La date exacte du naufrage est encore floue : mercredi matin selon les autorités camerounaises ou dans la nuit de lundi à mardi, selon une rescapée citée vendredi par l’AFP. Après le sauvetage des 23 passagers, les secours ont continué leurs recherches et trois autres personnes ont été retrouvées, dont une à une centaine de kilomètres plus au Nord. Vendredi, Grégoire Mvondo, le préfet du département camerounais de l’Océan (sud-ouest), a estimé que la pirogue devait transporter entre 150 et 200 passagers et n’exclut pas de retrouver d’autres survivants « sur d’autres villages de la côte et même ailleurs qu’au Cameroun ».
« Ils disparaissent sans laisser de trace »
L’embarcation, surchargée, était partie de la localité de Oron, à la pointe du sud du Nigeria, et devait relier Port-Gentil, ville portuaire à l’ouest du Gabon. Les passagers venaient du Nigeria, du Burkina Faso, du Bénin, du Mali et du Niger. De nombreuses embarcations du même genre, chargées de clandestins de ces pays, empruntent régulièrement cet itinéraire dans le golfe de Guinée. Des migrants venus d’Afrique de l’Ouest cherchent à gagner le Gabon et la Guinée équatoriale dans l’espoir de trouver du travail dans ces deux pays pétroliers. « On évoque parmi les passagers, la présence d’enfants, certainement victimes de trafic », note Armand Rousselot, du bureau de l’Office international des migrations (OIM) à Dakar. « Il faut savoir que la traite et le trafic d’être humains sont les deux ‘mamelles’ de la migration irrégulière en Afrique. » En moins d’un an, c’est le troisième naufrage du même genre signalé au large des côtes camerounaises, rapporte vendredi Cameroun Online. Le 30 juin 2005, l’embarcation béninoise « Le Cotonou », en provenance du Nigeria pour le Gabon, s’était renversée avec sa centaine de passagers. Bilan : 44 morts et 26 rescapés.
« De nombreuses personnes non-identifiées meurent en mer dans ces conditions et disparaissent sans laisser de trace », regrette Babacar Fall, expert des migrations africaines pour l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) et l’Unesco. « J’entends régulièrement des témoignages de familles qui s’inquiètent pour un de leur membre parti depuis deux ans pour s’embarquer de cette façon et dont elles n’ont pas de nouvelles. Il a peu d’information, on parle de ce problème quand il y a un naufrage important mais ce genre d’embarcation prend la mer quotidiennement. Dans les pays, il existe toute une économie souterraine basée sur les passeurs qui échappe totalement aux Etats. »
L’Europe est verrouillée
Pour le chercheur, il « est très étonnant qu’il y ait encore des flux aussi importants de migrants vers le Gabon car la migration inter-africaine est en crise. Les pôles migratoires importants jusqu’à la fin des années 90, comme le Gabon, la RDC, le Congo-Brazzaville, la Côte d’Ivoire ou l’Afrique du Sud, ne sont plus vraiment des eldorados aujourd’hui. Par exemple, l’économie gabonaise est fragilisée car les réserves de pétrole s’amoindrissent et le coût de l’exploitation pétrolière est très élevé. Le pays connaît d’ailleurs un fort taux de chômage. Quant à la Côte d’Ivoire, elle est secouée par l’insécurité politique et la question de l’ivoirité ».
Alors pourquoi les migrants continuent-ils d’affluer vers le Gabon ? Peut-être parce qu’ils « n’ont pas forcément la bonne information », indique Armand Rousselot. « Ils pensent qu’en passant au Gabon, il leur sera facile d’aller dans d’autres pays comme le Congo ou la Guinée équatoriale. » Mais c’est aussi parce qu’ils n’ont nulle part où aller. « C’est le contre-coup de la politique européenne en matière de flux migratoires. Ces derniers se sont asséchés vers l’Europe, devenue une forteresse. On observe alors un reflux vers les anciens pôles migratoires comme le Gabon. Les gens fuient leur pays dont les économies nationales sont en crise comme au Mali, au Niger ou au Sénégal. Ce sont des jeunes qui fuient aussi des situations familiales difficiles. Ils veulent partir à tout prix mais se retrouvent coincés », analyse Babacar Fall.
Vie de clandestin
Les migrants prennent le risque de passer par le golfe de Guinée pour éviter les contrôles. Mais ce qui les attend sur place est tout aussi incertain. Armand Rousselot rappelle ainsi que s’il existe dans le cadre de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) un protocole de libre-circulation des personnes, ce n’est pas du tout le cas en Afrique centrale. « Une fois au Gabon, ils vivent dans la clandestinité grâce à la solidarité communautaire. Certains se cachent dans les zones forestières », explique Babacar Fall.
« Les migrations sud-sud sont très importantes », rappelle Armand Rousselot. Le continent africain compterait aujourd’hui 20 millions de travailleurs migrants. Rien qu’en Afrique de l’Ouest (hors Nigeria), près de 40% de la population ne réside plus dans sa localité d’origine.
par Olivia Marsaud
Article publié le 24/03/2006 Dernière mise à jour le 24/03/2006 à 16:52 TU