Immigration
Gao, couloir de transit pour l’Europe
(Carte: RFI)
De notre envoyé spécial à Gao
Gao, ville malienne du nord située aux portes du désert. Environ 100 000 habitants. Il fait chaud: 43°C. Sur la principale artère, un ruban de bitume. Au nord-est de la ville, le quartier Aljanabandia se dresse. Dans la cour d’une maison, une vingtaine de personnes: nigérians, ghanéens, ivoiriens, maliens, ils sont tous candidats à l’immigration clandestine en Europe. Ils attentent le jour du départ.
J’interroge: Les dernières expulsions d’Africains des enclaves espagnoles de Ceuta et de Melilla ne vous découragent pas ? Koley, un nigérian, plutôt colosse bondit non loin des vestiges du déjeuner: «Pourquoi se décourager ? L’aventure, c’est le risque !», tonne-t-il. De la tête, ses compagnons, approuvent un peu comme des moutons de panurge. Ils ont préparé de longue date leur voyage, déjà versé aux passeurs. Alors il faut coûte que coûte partir, sinon de toutes les manières, impossible de récupérer son magot.
Toutes les histoires de ces aventuriers se ressemblent. Familles pauvres, sans emploi des contrées d’où ils viennent. Ils sont tentés par le rêve européen, pour fuir la misère. Tous ont choisi le Mali comme pays de transit. Le Mali, parce que «c’est un pays hospitalier, il est facile d’y rentrer». Le Mali, parce que par le Nord, on pénètre facilement en Algérie, puis au Maroc, et puis voilà les enclaves espagnoles, qui font aujourd’hui la une de l’actualité. En réalité, ce n’est pas tout. Le Mali aussi, parce qu’on devient «très facilement Malien». Pour être plus précis, on obtient facilement une carte d’identité malienne, et c’est l’entrée facile en Algérie et au Maroc, où les détenteurs de passeport malien sont plutôt bien accueillis.
Un pote du marché «Washington» de la ville va plus droit au but: En réalité, il y a «un groupe de Nigérians» qui confectionnent sur place de faux documents maliens. Il indique l’endroit. Un mot de passe pour y entrer: «Je veux faire une photocopie».
Ironie du sort, l’endroit en question jouxte le commissariat de la ville. Enturbanné comme un bon autochtone, je m’y dirige. C’est en fait une boutique.
«Je veux faire une photocopie…
–Pour où ?» lance un homme, les coudes plantés sur la table.
Je bafouille, avant d’oser: «Pour Melilla». Raté. Je ne connaissais pas la suite du langage «d’initié». Je l’apprend plus tard, en réalité, je devrais répondre: «Pour Gao», et présenter immédiatement une photo d’identité.
J’apprends ensuite que la «Gao connection», est dirigé par un Nigérian au sobriquet de «Boss». Barbe en collier, il règne sur une armada de passeurs. Sur place tout le monde le connaît, et personne ne le connaît. C’est l’omerta. La «Gao connection», a des «sous-représentations» en Afrique. Une, en Afrique centrale, deux autres en Afrique de l’Ouest. Les clients sont aguichés soit par Internet, soit par de bouche à oreille. Ils sont dans le réseau des passeurs, en contact avec les représentants du «Boss». On les appelle «les guides».
Les «chefs ghettos»
Justement, ce dimanche soir un «guide» tapote sur les claviers d’un ordinateur au cyber ultramoderne de Gao. J’ai le temps de jeter un coup d’œil sur l’écran de son ordinateur. La même lettre en anglais envoyée à une dizaine de personne. Une amie, professeur de lettres à Gao,sur qui je pose toujours le regard sans déplaisir raconte: une fois réunis à Bamako, les candidats à l’émigration clandestine, arrivent nuitamment par car à Gao. Le fleuve Niger se dresse. Le nouveau pont en construction n’est pas achevé, et le bac qui relie les deux rives du fleuve encore appelé Djoliba, ne fonctionne pas la nuit. Alors par pirogue, les futurs clandestins traversent. Des véhicules brinquebalantes les conduisent dans la ville, dans des endroits loués pour les «parquer». Ces endroits s’appellent les «ghettos». Il y a le chef du ghetto. Et je comprends plus tard que Koley, en réalité était le chef du «réseau», et qu’il avait parlé à la place des autres.
Les chefs ghettos, se réunissent tous les soirs en face d’une cabine téléphonique sise au quartier Sosokoira de Gao. L’endroit est plutôt glauque. Deux chiens squelettiques sont adossés au mur. Un chef de ghetto compose un numéro, parle en anglais. Je comprends plus tard qu’il parlait à un complice basé en Algérie. Il vient d’annoncer par code que le jour du départ du prochain convoi approche. Le même jour, à Gao où tous se dit sous les turbans, la nouvelle tombe: Un convoi d’africains vient de partir. Direction, l’Algérie voisine.
Selon une ONG malienne, l’Association des initiatives de développement (Aide), «plusieurs dizaines de milliers» d’Africains, candidats à l’émigration clandestine, ont transité au cours des cinq dernières années pour regagner l’Europe, et environ un millier d’Africains, sont aujourd’hui scotchés à Gao, en attendant de faire le parcours du combattant.
Le parcours du combattant est jonché d’embûches. Il m’attend. Ce jour. Je rentre à mon hôtel plongé dans un petit sommeil réparateur. Sur ma table, entre autres objets, une Bible et un paquet de préservatifs. Je suis trop fatigué pour solliciter les services de ces deux outils qui, pourtant, peuvent pourtant sauver la vie.
A demain dans le désert !
par Serge Daniel
Article publié le 17/10/2005 Dernière mise à jour le 17/10/2005 à 15:26 TU