Immigration
Rapatriements forcés
(Photo : AFP)
Abandonnés en plein désert marocain, puis récupérés in extremis, des centaines d’immigrants clandestins d’Afrique subsaharienne sont en cours d’expulsion, par avion ou par bus. Après plusieurs assauts contre les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, qui ont fait 14 morts au cours de ces dernières semaines, l’Union européenne est désemparée, l’Espagne est désorientée et le Maroc refuse de porter seul la responsabilité de l’intransigeance européenne.
Le millier d’émigrants sénégalais et maliens, dont le rapatriement vers leurs pays d’origine était programmé lundi, sont des rescapés. Pour un certains nombre d’entre eux, ils ne doivent leur salut qu’à l’indignation des organisations non gouvernementales (ONG) sur le sort qui leur est réservé et à la présence des caméras de télévision du monde entier accourus au Maroc après les assauts aussi désespérés que dramatiques lancés par les candidats à l’immigration sur les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. C’est vraisemblablement en effet le spectacle insupportable de ces hommes et femmes enchaînés à bord d’autobus en partance pour nulle part, puis déposés dans le désert qui a provoqué la réaction salutaire.
Abandonnés à leur sort la semaine dernière, beaucoup d’entre eux ont été récupérés samedi, là où ils avaient été déposés, puis transportés Oujda, au nord, d’où les Maliens et Sénégalais devaient embarquer sur des vols de la Royal Air Maroc à destination de leur capitale respective. Ce sont les diplomates maliens et sénégalais qui, en effet, semblent avoir été les plus prompts à réagir. Le traitement particulier dont leurs ressortissants bénéficient est la conséquence de l’implication diplomatique dans le dossier de Dakar et Bamako, et d’une négociation menée avec les autorités marocaines. Nombre d’autres ressortissants d’Afrique de l’Ouest n’auront pas eu la même chance.
Mort d’épuisement
Ceux-là comptent peut-être parmi les centaines de Camerounais, Nigérians, Libériens, Nigériens, Ghanéens, Guinéens, Bissau-Guinéens, Togolais, embarqués dans un convoi de bus qui font route actuellement vers le sud marocain, probablement vers la Mauritanie. A la mi-journée, lundi, l’ONG Médecins sans frontières les avaient repérés entre Agadir et El Ayoun, mais «nous ne savons pas où ils vont, ni s’ils vont s’arrêter», déclarait à l’AFP le chef de la mission, Javier Gabaldon. Un peu plus tard, un émigrant nigérian parvenait à communiquer avec la mission de MSF et signalait que son bus était arrivé aux portes de la ville. Selon MSF, il y a vingt-huit autobus et l’organisation estime que 1 400 personnes ont pu prendre place dans les véhicules.
Combien d’entre eux ont-ils payé de leur vie cette tragique aventure supplémentaire ? Le bilan est impossible à établir. Mais des témoignages parcellaires, et concordants, recueillis par les envoyés spéciaux des différents médias et les agences de presse font état d’un nombre indéterminé de victimes, mort d’épuisement. La question connexe est de savoir si il y a encore des Africains, candidats à l’immigration en Europe, en souffrance quelque part dans le Sahara marocain. A l’heure qu’il est, il est hautement vraisemblable que la réponse est positive en raison du fait que tous les déportés de la semaine dernière n’ont certainement pas été rapatriés.
«Un pays qui maltraite et tue»
Les autorités marocaines protestent de leur bonne foi et refusent de porter seules le fardeau d’être le dernier rempart de l’Europe en lutte contre l’immigration clandestine. Elles ne veulent pas non plus endosser seules la culpabilité des mauvais traitements infligés aux migrants. Son image est «gravement écornée» par les événements de ces derniers jours, estime le quotidien Aujourd’hui le Maroc qui constate que Rabat «passe à l’étranger pour être un pays qui maltraite et tue même les clandestins subsahariens alors qu’il est victime de ce mouvement migratoire sans précédent».
«C’est faux de dire que le Maroc abandonne des gens au Sahara. On essaie simplement de leur faire quitter le Maroc par les endroits où ils sont arrivés, c'est-à-dire l’Algérie», déclare un ministre marocain au Monde, sous couvert d’anonymat. Car, derrière la tragédie, la rivalité algéro-marocaine est toujours l’un des éléments avec lequel il faut compter.
«Nos frères subsahariens»
Aucune solution alternative à la répression n’est envisagée. Si la question du développement de l’Afrique a été évoquée comme l’explication la plus plausible au caractère massif et durable du phénomène, seul le bouclage hermétique des frontières continue de tenir lieu de politique anti-migratoire. Tandis que les Algériens annoncent la mise en place d’une commission de lutte contre l’immigration clandestine dans la wilaya d’Oran, limitrophe de la localité marocaine d’Oujda, les Marocains déclarent leur intention d’ériger un mur autour de Melilla. De son côté Madrid est désorienté : sa politique migratoire est qualifiée de laxiste à droite et d’inhumaine à gauche. Et l’Union européenne, qui vient d’envoyer une mission d’évaluation sur place, n’a rien à proposer.
L’Association marocaine des droits humains «condamne la coopération sécuritaire entre Madrid et Rabat (qui) protège et officialise les frontières artificielles entre le Maroc et les deux villes spoliées» (Ceuta et Melilla). L’AMDH dénonce «la violence barbare» qui, selon elle, s’exerce contre les migrants et s’élève contre le climat de «xénophobie» qui se développe à l’encontre «de nos frères subsahariens».
par Georges Abou
Article publié le 10/10/2005 Dernière mise à jour le 11/10/2005 à 09:14 TU