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France-Algérie

Alger renvoie le «traité d’amitié» à plus tard

Le ministre des Affaires étrangères français rentre d'Alger les mains vides.(Photo : AFP)
Le ministre des Affaires étrangères français rentre d'Alger les mains vides.
(Photo : AFP)

Cette fois, à entendre le chef de la diplomatie algérienne, Mohamed Bedjaoui, ce sont les opinions publiques, aussi bien française qu’algérienne, qui ne seraient pas prêtes pour la refondation des relations franco-algériennes promise par la «Déclaration d’Alger» cosignée le 2 mars 2003 par le président Abdelaziz Bouteflika et son homologue Jacques Chirac. Dans l’euphorie d’une visite triomphale du chef de l’Etat français et au lendemain de la réélection de son pair algérien, il s’agissait alors, «sans oublier le passé», d’engager les deux Etats et les deux peuples dans un «partenariat d’exception», sur le modèle de celui qui a rapproché la France et l’Allemagne en 1963. Mais alors que l’Algérie pétrolière s’affiche comme le phare courtisé du Maghreb, le passé franco-algérien refait opportunément surface. Venu à Alger pour «donner un contenu» au «traité d’amitié» en attente, le chef de la diplomatie française, Philippe Douste-Blazy, est reparti, lundi, les mains vides.

 


«Je pense que nous approchons, peu à peu, du but», a conclu le ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy après 32 heures d’une visite décevante, Abdelaziz Bouteflika jouant les sphinx alors que le mandat présidentiel de Jacques Chirac entre dans sa dernière année. Assise sur ses 61 milliards de dollars de réserves en devises, soit 18 milliards de dollars de plus en quatorze mois, selon le chiffre record officiellement annoncé par Alger fin février, l’Algérie pétrolière est plus courtisée que jamais, par les Etats-Unis ou la Chine. Celle-ci a notamment fait une percée considérable en Algérie dans le secteur du bâtiment convoité par les entreprises françaises.

L’Algérie compte aussi «saisir les opportunités liées à la fois aux changements institutionnels du marché énergétique européen et aux forts besoins en électricité de ce marché pour diversifier [ses] exportations en énergie», a récemment expliqué le président algérien. Lui-même n’est visiblement pas pressé de se lier les mains par un quelconque «partenariat économique privilégié» avec les compagnies françaises qui patientent au portillon de la Déclaration d’Alger. Celle-ci préconise «l’encouragement des investissements directs français en Algérie, le transfert de technologie et de savoir-faire des entreprises françaises» ou «la construction de l’Union du Maghreb arabe» et sa mise en orbite trans-méditerranéenne. Mais elle ne prévoit aucune disposition précise.

Alger : «l'opinion publique française n'est peut-être pas prête»

Comme il est d’usage pour ce genre de projet, la Déclaration d’Alger se contente de balayer le paysage du fameux «partenariat d’exception ayant vocation à se poser comme modèle de coopération dans la région et dans les relations internationales». Le traité devait être finalisé fin 2005. Mais 2004 a succédé à 2003 sans avancée notable en terme de contenu. Et 2005 a été «une année perdue», en raison de la polémique soulevée, des deux côtés de la Méditerranée, par l’article 4 de la loi française du 23 février 2005 qui entendait, à l’initiative de certains «rapatriés» d’Algérie (en 1962), glorifier «le rôle positif» de la colonisation.

En janvier dernier, Jacques Chirac a promulgué un décret d’abrogation de l’article contesté. Pied de nez à son homologue Douste-Blazy qui l’avait défendu en son temps, Mohammed Bedjaoui voit quand même dans cette affaire une preuve que «l'opinion publique française n'est peut-être pas prête» à «s’engager dans la construction d’un avenir partagé». Alger fait monter les enchères, en soupesant l’intérêt économique que la France attache à la concrétisation du projet de traité. En 2000, alors qu’il venait d’accéder au pouvoir l’année précédente, Abdelaziz Bouteflika avait apprécié comme un gage de soutien sa visite d’Etat en France. Il n’avait pourtant guère de souci à se faire sur la position de Paris qui n’a jamais contredit Alger pendant les années noires de la guerre sale qui a suivi le «coup de force» des généraux en 1992.

Une fois conforté dans son fauteuil présidentiel, Abdelaziz Bouteflika a usé comme repoussoir de la France et de ses harkis à chaque fois qu’il a eu besoin de faire appel aux ressorts du nationalisme algérien. Ce thème est revenu dans sa campagne présidentielle en 2004, par exemple, mais aussi pendant le référendum sur la Charte de réconciliation nationale censé tourner la page de la décennie de sang et promulguée le 27 février dernier. Pour leur part, les défenseurs des droits de l’Homme relèvent que le texte amnistie de fait les crimes commis par les généraux au pouvoir à Alger. Ils pointent le devoir de justice qui incombe à tous les Etats partenaires de l’Algérie. Le traité d’amitié serait une manière «de faire avaliser ce déni de droit par la communauté internationale», accusent-ils.

Paris n'a pas grand-chose à offrir

Dans sa besace, le docteur Douste-Blazy n’avait pas grand-chose pour séduire les Algériens. Ceux-ci sont savamment instruits par les médias, sinon par leur propre parentèle, des réalités hexagonales surgies de la «proximité historique et géographique» des peuples français et algérien. En ces temps «d’immigration choisie», la réouverture du consulat d’Oran fin 2007 ou l’instauration de visas de un à cinq ans pour les hommes d’affaires, chercheurs, journalistes et autres artistes ne suffiront sans doute pas à répondre à leur attente. Et l’idée d’une université algéro-française, avancée par le chef de la diplomatie française, reste une très lointaine perspective. Mais l’honneur est sauf pour le missi dominici français. La bataille du traité d’amitié se fait à fleurets mouchetés.

La loi criminalisant le prosélytisme religieux adoptée le 20 mars dernier fait craindre à l'archevêque d'Alger, Mgr Henri Teissier, que «des gens mal intentionnés [puissent] en faire un usage abusif». Elle a quand même déjà vu le départ des derniers gestionnaires du monastère français de Tibhirine où, le 27 mars 1996, avaient été enlevés sept moines assassinés deux mois plus tard. Le destin du «traité d’amitié» franco-algérien dépend aussi du silence juridique qui pourrait se faire sur les tenants et les aboutissants de ces meurtres. Autre sujet qui fâche: le Sahara occidental. Paris joue les équilibristes entre le Maroc souverainiste de Mohammed VI et l’Algérie qui milite en faveur de l’indépendantiste front Polisario.

Alger en appelle régulièrement à la repentance de la France pour les crimes commis en 130 ans de colonisation. Et quand Philippe Douste-Blazy renvoie «aux historiens et aux chercheurs [le soin] de s'exprimer sur cette période de la colonisation», Mohamed Bedjaoui insiste. «Il faut quand même purger le passé de ce qu'il peut compter de réminiscences négatives», dit-il, car «ce n'est pas un traité banal que nous voulons, c'est un traité de refondation des relations entre nos deux pays et nos deux peuples, qui permettra définitivement de tourner une page». Quant à en écrire une autre, économiquement fondée cette fois sur des intérêts réciproques, vu d’Alger, l’heure n’a pas encore sonné, à moins qu’elle soit déjà passée.


par Monique  Mas

Article publié le 11/04/2006 Dernière mise à jour le 11/04/2006 à 19:00 TU

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Redha Malek

Ancien Premier ministre algérien

«Si la France n'allège pas les charges qu'elle impose aux citoyens Algériens, comme les visas pour la France, on ne peut pas avancer vers une certaine sérénité.»

[12/04/2006]

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