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Afrique : chemins clandestins vers l’Europe

Maroc : la porte de l’Europe s’est refermée

Dans le nord du Maroc, les accès aux enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla sont devenus quasiment impossibles pour les clandestins. Parvenus au bord de la Méditerranée, leur odyssée africaine s’achève dans un cul-de-sac.

De notre envoyé spécial au Maroc

Oujda est à quelques kilomètres de la frontière algérienne. Officiellement, la frontière est fermée depuis dix ans. Côté algérien, les clandestins connaissent par cœur, le nom d’une localité : Maghnia, dernière ville algérienne avant la frontière marocaine. C’est là que se regroupent les clandestins venus du Sud algérien. L’épreuve ? C’est de « sauter » de Maghnia pour atterrir à Oujda.

« Moi, j’étais dans un groupe de seize personnes. Après avoir versé 150 euros à un passeur, nous avons traversé avec la complicité de militaires pendant la nuit », se souvient Many, un jeune Nigérien. Assis dans la cour de l’université d’Oujda, il est aujourd’hui « coincé ». Comme lui, ils sont encore quelques centaines de Subsahariens qui se terrent. L’université est l’un de leur refuge. « Ils viennent ici à l’université, parce que les flics n’ont pas le droit d’y pénétrer. Ils sont tenus de respecter la franchise universitaire », explique Jelloul Araj, ancien prisonnier politique et responsable d’une association qui vient notamment en aide aux clandestins.

Dans une chambre universitaire, Johnson, ressortissant ghanéen entré clandestinement au Maroc, partage un repas avec deux étudiants. Sens du partage, sens des affaires aussi. Les clandestins participent parfois à la popote. Sans adresse fixe, par crainte de se faire arrêter dans un service public, ils reçoivent parfois de leur pays de l’argent par le système Western Union sous couvert d’étudiants réguliers. Au passage, l’étudiant perçoit une « commission ».

« Rentrer au pays les mains vides, c’est une honte »

Johnson est un cas. On le surnomme d’ailleurs ici le « docteur en émigration clandestine ». Il y a dix ans, il tentait « sa première chance ». Titulaire d’une bourse en études islamiques, il se retrouve au Soudan. Il décide de passer en Ethiopie, se retrouve en Somalie. Il intègre l’une des nombreuses milices de ce pays et frôle la mort. Sa décision est prise : déguerpir. Il revient au Soudan, traverse le désert libyen. Des milliers de kilomètres parcourus, il arrive à Benghazi, aux portes de la Méditerranée, saute en clandestin dans un bateau, le voilà en Italie, plus précisément à Lampedusa. Avec de faux papiers en poche, il débarque royalement à Paris. Banal contrôle d’identité, il est arrêté puis expulsé. « J’ai été malin. J’ai dit que j’étais de père malien et de mère ghanéenne pour retourner à Bamako ». De la capitale malienne, il remonte par le nord, traverse l’Algérie et arrive à Oujda.

Jamais il n’a été question pour lui de rentrer au pays : « L’Africain n’aime pas la honte. J’ai des amis qui ont été refoulés par avion d’ici vers leur pays d’origine. Arrivés à destination, ils ont été accueillis par les amis, les parents, avec des moqueries sur le ton « vous n’êtes pas des hommes ». Aujourd’hui, vous êtes revenus les mains vides, c’est une honte pour la communauté ». C’est aussi pour fuir cette honte, que des milliers d’autres subsahariens ne veulent pas retourner chez eux.

Le véhicule qui nous conduit de Oujda à Nador, plus au nord, s’arrête peu avant la ville de Berkane. Tout le long du chemin, posés à coté de la route bitumée, des bouteilles d’un litre contenant un liquide de couleur rougeâtre. C’est de l’essence de contrebande. Elle arrive d’Algérie. Le chauffeur commande 20 litres. En contrebas de la chaussée, deux hommes. L’un est marocain, l’autre son « apprenti » est nigérien. Il a échoué ici. Il ne peut plus partir en Europe, ni retourner chez lui. Alors, c’est le système D. Il aide le contrebandier à écouler sa marchandise. En retour, il gagne quelques pièces pour vivre, pour survivre. Fataliste, il lâche : « C’est la vie ».

Plus personne autour de Ceuta et Melilla

A Nador, la ville marocaine qui jouxte l’enclave espagnole de Melilla, très peu d’Africains sont visibles. Pourtant, il y a quelques mois, avant le dernier assaut mortel contre la frontière grillagée qui sépare le Maroc de l’Espagne, ils traînaient encore dans la ville. Les rafles musclées et les retours massifs vers les pays d’origine ont vidé les rues. Mais certains se terrent toujours ici. « Moi, je veux rentrer chez moi en Guinée. Je regrette de n’avoir pas profité du dernier rapatriement organisé par les Marocains. Je regrette vraiment », dit Sékou. Pourtant, dans son quartier, personne ne le dénonce. Bien au contraire, tour à tour, les habitants lui donnent à manger en attendant des jours meilleurs.

A 10 km de Nador, la forêt de Gourougou. D’ici, sur les hauteurs, on voit Melilla. Des milliers de clandestins vivaient ici dans des abris de fortunes. Aujourd’hui, plus un chat sur les lieux. Les forces armées marocaines ont chassé tout le monde. Même chose plus au nord, dans la forêt de Bel Younes, près Ceuta, l’autre enclave espagnole sur le sol marocain. On y rencontre quand même encore quelques rares Subsahariens. L’un d’eux, arrivé trop tard l’an dernier, après l’expulsion des quelque 10 000 clandestins qui attendaient là, ne sait pas que la traversée est aujourd’hui pratiquement impossible.

L’idée d’un retour au pays

Sur le chemin du retour, sur la route Tétouan-Tanger, un gigantesque chantier en construction. Parmi les manœuvres, Noël,  un jeune Ivoirien. Il n’a pas eu de « chance ». Il a pu sauter la barrière de Ceuta, mais il n’avait plus assez de force pour atteindre le centre des demandeurs d’asile. Les forces de sécurité espagnoles l’ont battu avant de le refouler vers le Maroc. Il tente de revenir par des routes détournées vers Ceuta. Il tombe sur un chantier et se fait « embaucher ». Son rêve ? Réaliser des économies et rentrer chez lui en Côte d’Ivoire.

Comme lui, d’autres Subsahariens, désormais « coincés » au Maroc, cherchent à réaliser des économies pour rentrer au bercail « sans honte ». A Tanger, Gilles, un ressortissant de la Guinée-Bissau est dans ce cas. Dans le petit hôtel où il travaille comme voiturier, il ne se plaint pas. Salaire plutôt confortable, carte de travail en main, il ne pense plus à l’Europe, du moins dans l’immédiat.

par Serge  Daniel

Article publié le 01/05/2006 Dernière mise à jour le 01/05/2006 à 11:49 TU

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(Conception : RFI)