France
Villepin : face à la «calomnie», je reste
(Photo: AFP)
La journée de mardi aura été longue pour Dominique de Villepin. Depuis quelques jours, la tension politique ne cessait de monter autour d’un Premier ministre éclaboussé par l’affaire Clearstream, dans laquelle un dénonciateur anonyme a faussement accusé plusieurs personnalités, dont l’actuel ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, de détenir des comptes occultes à l'étranger via Clearstream, une société financière basée au Luxembourg.
Déjà qualifié par l’opposition de « Watergate à la française » – en référence à l’affaire qui a entraîné la chute du président américain Richard Nixon -, ce scandale provoque une tempête politique qui, à un an de l’élection présidentielle, divise la majorité, menace le gouvernement et jette le soupçon sur l’Elysée.
Dominique de Villepin est-il à l’origine d’une manipulation visant Nicolas Sarkozy, son principal rival à droite pour la présidentielle de 2007 ? Contraint de s’expliquer et de dissiper les zones d’ombre sur son éventuelle implication, affaibli politiquement par l’échec du CPE, au plus bas dans les sondages, le Premier ministre a néanmoins choisi le ton de la contre-attaque.
« Pétard mouillé »
Il faut dire que les plus récentes révélations de presse semblent étayer sa position. Ainsi, le quotidien Le Monde a publié mardi les extraits d'un rapport d’un des hommes-clés de l’affaire, le général Philippe Rondot. L’officier des services secrets indique dans ce document d'octobre 2004 ne pas avoir enquêté sur des personnalités politiques dans le cadre de l'affaire Clearstream. En outre, dans un entretien publié ce mardi également par Le Figaro, le général Rondot dément avoir été chargé d'une enquête sur Nicolas Sarkozy.
Vendredi pourtant, Le Monde avait diffusé une information qui mettait le Premier ministre en difficulté : des extraits de l'audition du général par les juges. Philippe Rondot y confiait avoir été mandaté par Dominique de Villepin pour enquêter sur Nicolas Sarkozy, ce que Matignon et l’Elysée avaient rapidement démenti.
Se voulant en tout cas très combatif, le chef du gouvernement s’est exprimé dès le début de la matinée pour développer sa ligne de défense. Parlant au micro de la radio Europe1 d’un « pétard mouillé », s'estimant « injustement accusé » sur la base de « rumeurs » et de « déclarations tronquées », il a démenti à nouveau avoir pris part à des manœuvres visant à briser les ambitions présidentielles de l'actuel président de l'UMP. Il a précisé qu'il demanderait au conseil des ministres, le cas échéant, l’autorisation d’être entendu par les juges, comme l'avait déjà fait le Premier ministre Lionel Jospin dans une affaire de financement occulte présumé du Parti socialiste. « Ne cherchez pas à mêler le président de la République à une affaire qui ne le concerne pas », a-t-il ajouté quant à des instructions qu’aurait pu donner Jacques Chirac.
Fait exceptionnel qui souligne l’importance de la crise, Dominique de Villepin s’est ensuite rendu, pour le première fois depuis le début de la législature, à la réunion du bureau du groupe UMP. Il a tenté d’apaiser les remous au sein de sa majorité. Les députés, de retour de leur circonscription après le long week-end du 1er mai, se sont fait l’écho de la colère et du dégoût des électeurs à la vue de ces nouveaux déchirements.
Selon le député sarkozyste Eric Raoult, « le bureau du groupe s'est très bien passé, chacun a pu s'exprimer et ça a été clarifié ». Nicolas Sarkozy a toutefois tendu l’ambiance de la réunion en déclarant, selon un de ses conseillers, « qu'il voulait connaître la vérité sur cette affaire, quelles qu'en soient les conséquences, et qu'il ne transigerait pas sur la recherche de la vérité ». Il a ajouté « ne pas vouloir déclencher une crise politique sur la foi d'articles de presse ou de déclarations, ici et là, des uns et des autres ».
« Une crise politique d'une exceptionnelle gravité »
Dans l’après-midi, le Premier ministre a ensuite affronté les questions des députés à l’Assemblée nationale. Chef de file de l’opposition, le premier secrétaire du Parti socialiste François Hollande l’a interpellé, affirmant que la France traversait « une crise politique d'une exceptionnelle gravité » et lui a demandé : « Quand allez-vous tirer les conséquences de cette situation ? » Dominique de Villepin lui a sèchement rétorqué, sous les huées des députés PS, qu'il n'avait « jamais exercé de responsabilité de l'Etat, à quelque niveau que ce soit. Cela se voit et cela s'entend. »
Dans une ambiance houleuse, le président du groupe communiste Alain Bocquet a, quant à lui, dénoncé « une guerre ouverte à la tête de l'exécutif » qui « gangrène un peu plus chaque jour l'Etat républicain et provoque dans le pays un sentiment d’écœurement ». Réponse du Premier ministre : « Cela fait trente ans que je sers mon pays. J'ai été la victime au cours des derniers jours d'une campagne de calomnies et de mensonges ignoble. Une campagne qui m'a profondément choqué et blessé. Trop c'est trop ! »
Enfin, sur l’éventualité d’une démission, le chef du gouvernement a réitéré sa position : « Rien ne me détournera de mon devoir de Premier ministre », a-t-il souligné. « Je ne me laisserai à aucun moment écarter de la mission qui est la mienne ».
par Philippe Quillerier
Article publié le 02/05/2006 Dernière mise à jour le 02/05/2006 à 17:57 TU