Pérou
Présidentielle : l’homme de gauche contre l’homme «d’en bas»

(Photos: AFP)
De notre correspondante à Lima
Plus de trois semaines après avoir voté, les Péruviens ont enfin appris les résultats du premier tour de l’élection présidentielle, mercredi 3 mai. Sans surprise, le candidat d’Union pour le Pérou (UPP) Ollanta Humala arrive en tête avec 30,62 % des voix. Ne recueillant pas la majorité de 50 % des votes, le nationaliste affrontera au second tour l’ancien chef d’Etat social-démocrate (1985-1990) Alan Garcia, arrivé en deuxième position. Avec 24,33 % des voix, le candidat de l’APRA (Alliance populaire révolutionnaire américaine) élimine ainsi, pour quelques 64 300 votes seulement, la candidate de droite Lourdes Flores (Unité nationale, 23,80 %).
Le pire des scénarii se répète pour l’avocate qui avait déjà échoué à la porte du deuxième tour lors de la présidentielle de 2001. Ayant mené dans les sondages durant l’ensemble de la campagne, Lourdes Flores n’a pas convaincu les électeurs le jour du vote. Ses propositions en faveur des plus démunis n’ont pas suffi à faire oublier son image de « candidate des riches », rédhibitoire dans un pays où plus d’une personne sur deux vit avec moins de deux dollars par jour.
« Alors que Lourdes Flores représentait la continuité de la politique libérale mise en place sous Alberto Fujimori (1990-2000) puis Alejandro Toledo (2001-2006), le peuple a voté pour le changement et surtout pour un nouveau modèle économique », souligne l’analyste Santiago Pedraglio. Les Péruviens ne veulent plus attendre la redistribution promise depuis des années et aspirent ainsi à une nouvelle répartition des richesses. Alors que la croissance du pays a augmenté de 6,7 % en 2005, la pauvreté touche toujours plus de la moitié de la population et les inégalités persistent.
« Ni de gauche ni de droite mais d’en bas »
Après l’élection de l’ancien syndicaliste Evo Morales en décembre à la présidence de la Bolivie et de la socialiste Michelle Bachelet au Chili en janvier, le Pérou suit donc la tendance du continent sud-américain en ayant choisi d’évincer les représentants libéraux. Le deuxième tour opposera ainsi Alan Garcia, un ancien chef d’Etat social-démocrate, à Ollanta Humala, un outsider qui, après avoir fait un appel « à toutes les gauches » en janvier, se définit désormais « ni de gauche ni de droite mais d’en bas ». « Les différences quant à leurs propositions politiques ne devraient pas être très grandes », anticipe Santiago Pedraglio.
De fait, la bataille s’annonce serrée entre les deux hommes et l’issue du scrutin reste totalement incertaine. « Contre Alan Garcia, Ollanta Humala ne peut pas appeler à la lutte droite-gauche ou fustiger un représentant des classes bourgeoises, il va donc tout faire pour apparaître comme une option encore non réalisée », estime le journaliste politique Gustavo Gorriti.
L’exemple d’Evo Morales
Inconnu de tous il y a un an, Ollanta Humala a surgi sur la scène politique en dénonçant les partis traditionnels. Son discours anti-système a séduit dans un pays où le Congrès aurait moins de 10 % de soutien au cœur de la population. Populaire dans les zones les plus pauvres et reculées du Pérou, l’ancien commandant de l’armée de terre qui ne cache pas son admiration pour le régime militaire du général Velasco Alvarado (1968-1975) inquiète aussi une partie de la population, ayant peur d’un retour à l’autoritarisme.
La volonté d’Ollanta Humala de réviser les contrats de stabilité juridiques établis avec les multinationales exploitant les ressources naturelles n’est, en outre, pas du goût de nombreux entrepreneurs, au lendemain de la vague de nationalisation mise en place par Evo Morales dans la Bolivie voisine, le 1er mai. Officiellement soutenu par le président vénézuelien comme par le chef d’Etat de Bolivie, le candidat nationaliste a beau soutenir qu’il n’est pas opposé aux Etats-Unis et appeler les multinationales à investir au Pérou, il a du mal à convaincre.
Un contexte régional tendu
Dans un contexte tendu sur le continent après les décisions boliviennes, le retrait du Venezuela de la Communauté andine des nations ou encore les affrontements verbaux entre les autorités péruviennes et vénézuéliennes, Alan Garcia ne cesse, lui, de dénoncer une « alliance Chavez-Humala ». Se présentant comme une alternative modérée, le candidat de l’APRA cherche ainsi à se rapprocher du centre et de capter l’électorat ayant voté pour la droite conservatrice de Lourdes Flores au premier tour. Pour l’ancien chef d’Etat social-démocrate, le défi est alors de convaincre les Péruviens qu’il a changé. Durant son mandat présidentiel (1985-1990), le Pérou avait vécu une crise inflationniste, fatale à la population, que beaucoup ne veulent pas oublier.
par Chrystelle Barbier
Article publié le 04/05/2006 Dernière mise à jour le 04/05/2006 à 11:42 TU