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Peter Handke, interdit de séjour à la Comédie française

Pour avoir assisté aux obsèques de l’ancien président serbe, Slobodan Milosevic, l’une des pièces du dramaturge autrichien Peter Handke est déprogrammée à la Comédie française.(Photo : AFP)
Pour avoir assisté aux obsèques de l’ancien président serbe, Slobodan Milosevic, l’une des pièces du dramaturge autrichien Peter Handke est déprogrammée à la Comédie française.
(Photo : AFP)
Un directeur de théâtre peut-il lui-même se faire procureur ? En choisissant de déprogrammer la pièce de Peter Handke, au motif que l’écrivain était présent aux obsèques de l'ancien président serbe Milosevic, l’administrateur de la Comédie française, Marcel Bozonnet, suscite un vif débat au sein de la communauté intellectuelle qui s’empare de l’affaire et dénonce un acte de censure.

L’œuvre, dès lors qu’elle a été conçue par un auteur aux engagements idéologiques contestables, doit-elle être interdite de publication ou de représentation ? Aujourd’hui, le dramaturge Autrichien, Peter Handke, se retrouve au cœur de la polémique, et ses oeuvres interdites de séjour à la Comédie française, parce que le dramaturge a assisté aux obsèques de l’ancien président serbe, Slobodan Milosevic -mort le 11 mars dans sa prison du Tribunal pénal international (TPI) de La Haye qui le jugeait pour crimes de guerre. Dans un premier temps, Peter Handke a été soutenu par une quarantaine d’intellectuels européens dans une pétition intitulée : « Ne censurez pas l’œuvre de Peter Handke ! ». A l’initiative d’Olivier Py, auteur et metteur en scène, une contre-pétition sera rendue publique mardi en faveur de Marcel Bozonnet, l’administrateur de l’illustre théâtre, qui a pris la décision de déprogrammer la pièce Voyage au pays sonore ou l’art de la question, prévue initialement au Vieux-Colombier du 17 janvier au 24 février 2007).

Peter Handke n’a jamais fait mystère de ses convictions politiques, mais le fait qu’il se rende le 18 mars dernier aux obsèques de Milosevic a constitué un point d’orgue inacceptable aux yeux de, l’administrateur général de l’illustre théâtre. « Le théâtre est une tribune, son effet est plus large que l'audience de la seule représentation. Même si la pièce de Handke ne fait pas œuvre de propagande, elle offre à l’auteur une visibilité publique. Je n’avais pas envie de la lui donner », a déclaré l’administrateur. Depuis, la polémique enfle autour de ce qui devient « l’affaire Bozonnet ».

L’affaire sourdait depuis la publication, dans l’hebdomadaire le Nouvel observateur, de déclarations qu’aurait faites l’écrivain, aux obsèques de Milosevic à Pozarevac (Serbie). « Je suis heureux d'être près de Milosevic [qui] a défendu le peuple serbe et c'est pour cela qu'il est différent de la majorité du reste du monde », aurait déclaré Peter Handke. La polémique enfle depuis le jeudi 4 mai, où Marcel Bozonnet a confirmé la déprogrammation de la pièce. Peter Handke a eu beau démentir certaines des informations rapportées par l’hebdomadaire, comme le fait d’avoir brandi le drapeau serbe et déposé une rose rouge sur le cercueil de Milosevic, le seul fait qu’il ait pu se rendre à l’enterrement de l’ancien président serbe, a révolté l’administrateur. Marcel Bozonnet s’est insurgé et assumé sa décision : «Aller à l’enterrement de Milosevic était un geste très fort. (…) Tout le monde n'était pas de mon avis, au nom du principe de séparation entre l'auteur et l'oeuvre, ce que je respecte. Mais pour moi, ce n'était pas possible. Et je crois qu'une majorité me comprend.». Dès lors il y a eu les pro-Bozonnet et les anti-Bozonnet.

Un soutien à Peter Handke

L’homme, Peter Handke, est largement contesté pour ses positions idéologiques, mais la qualité de son œuvre est amplement reconnue, tant en France -où il réside- qu’à l’étranger. Le fait que l’administrateur du théâtre sanctionne personnellement l’homme, estimé politiquement incorrect, au point d’annuler la programmation de l’auteur, est mal passé auprès d’une partie de la communauté intellectuelle qui considère que Marcel Bozonnet se trompe de tribunal. Bruno Bayen, qui devait mettre en scène la pièce,  déplore pour sa part la décision de l’administrateur : «J'ai proposé en 2004 la pièce à Marcel Bozonnet. Elle avait été publiée en allemand en 1989, et je l'avais traduite pour Gallimard en 1993. Quand la décision d'annulation a été prise, il m'a été proposé de mettre en scène une pièce d'un autre auteur. Après réflexion, j'ai refusé ce remplacement. Et j'ai dit que s'il devait y avoir annulation, la chose devait être rendue publique. Je suis évidemment contre cette décision. Je pensais que programmer Handke était la marque d'un temps de paix.»

En Allemagne et en Autriche, les voix se sont également élevées. « En ne représentant pas sa pièce, la Comédie Française, au passé si riche, s'inscrit dans la pire tradition de ces institutions culturelles qui, au temps des dictatures, mettent au rancart les artistes gênants et les condamnent au silence (…) Quiconque empêche un artiste d'exercer son métier commet un crime non seulement contre ce poète mais contre le public tout entier», s’insurge l'écrivaine autrichienne Elfriede Jelinek, prix Nobel de littérature 2004. Elle poursuit : « Un comportement de ce genre est le moins approprié qui soit pour rendre justice aux victimes du régime de Milosevic ». Qui plus est, en Allemagne, le directeur de la compagnie Berliner Ensemble, Claus Peymann, ajoute qu’il ne comprend pas cette mesure de censure du fait de la valeur humaniste de Voyage au pays sonore ou l'art de la question. Il déclare même que cette pièce « est un manifeste pour la non-violence ».

Un soutien à Marcel Bozonnet

Olivier Py qui, au demeurant, se déclare « adorateur de l’écriture de Handke » mais qui juge « terribles » les propos de Handke, a approuvé la décision de Bozonnet. Il soutient l’administrateur général de la Comédie française, insistant sur le fait que son statut autorisait Bozonnet à prendre cette décision : « Il a le droit de dire non et de déprogrammer un spectacle qu’il avait lui-même choisi ». Le soutien d’Olivier Py prend tout son relief quand on se souvient de l’engagement personnel de cet auteur et metteur en scène qui, en 1995 a fait une grève de la faim aux côtés de Ariane Mnouchkine, dénonçant le massacre de Srebrenica, comme le rappelle le quotidien Libération : ils étaient cinq, à l’époque, à « réclamer une intervention européenne dans l’ex-Yougoslavie. En janvier 1999, il présentait Requiem pour Srebrebica, spectacle où il revenait de façon polémique sur la chute de l’enclave bosniaque censément protégée par l’ONU ».

Embarras du ministre français de la Culture

Embarrassé par le débat, le ministre français de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, reste prudent. Dans une lettre à Marcel Bozonnet, il ménage ceux qui soutiennent la qualité de l’œuvre : « Cette oeuvre, publiée en Allemagne en 1989 et traduite pour Gallimard en 1993, était pourtant bien connue et pose des questions de portée universelle à nos contemporains que, dans ces temps troublés, il aurait pu être utile de faire entendre au public, venant d'un auteur de réputation internationale ». Ménageant également ceux qui, à l’instar de Marcel Bozonnet, sont indignés par les prises de position de Peter Handke, il assure : « Si je comprends et je respecte votre position de citoyen, je ne peux que prendre acte de votre décision(…) ». Le ministre devait rencontrer dimanche Peter Handke et Bruno Bayen.


par Dominique  Raizon

Article publié le 08/05/2006 Dernière mise à jour le 08/05/2006 à 17:30 TU