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Immigration

Sarkozy veut convaincre l'Afrique

Nicolas Sarkozy a encore durci le ton au sujet de l'immigration.(Photo : AFP)
Nicolas Sarkozy a encore durci le ton au sujet de l'immigration.
(Photo : AFP)

Le ministre français de l'Intérieur Nicolas Sarkozy s’envole mercredi au Mali juste après le vote parlementaire sur son projet de loi destiné à filtrer l’immigration, à proscrire la régularisation des clandestins et à limiter le regroupement familial. Au Mali et au Bénin du 17 au 19 mai, Nicolas Sarkozy va défendre son programme controversé d’immigration «choisie» auprès des présidents Amadou Toumani Touré et Thomas Boni Yayi en faisant valoir la politique française de co-développement déjà présentée par le président Chirac pendant le sommet France-Afrique organisé à Bamako en décembre dernier et consacré à la jeunesse africaine. Mais le ministre français de l’Intérieur n’est pas le bienvenu à Bamako où 21 députés considèrent sa venue comme une «pure provocation».


Lundi, le ministre français de l’Intérieur a testé son discours-programme sur une douzaine d’ambassadeurs africains conviés avec leurs homologues du Mali et du Bénin à entendre ses explications de texte. Il est déjà parvenu à obtenir un écho positif de l’ancien président du Sénégal Abdou Diouf, le secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie, qui s’est récemment déclaré «rassuré». Mais à Bamako, la réaction n’est pas aussi diplomatiquement correcte, du côté des principaux intéressés et de leurs élus. Les cohortes de candidats à une vie décente qui acceptent de braver n’importe quel danger pour tenter leur chance sur le marché du travail français n’ont le plus souvent que leur deux bras à vendre. Ils savent que la fameuse carte de séjour «compétence et talents» vise à les écarter.

Ceux qui ont déjà passé le cap des miradors européens et sont parvenus à trouver un quelconque gagne-pain en France devront désormais présenter un profil d’élite. Il leur faudra dans tous les cas patienter longuement avant de pouvoir partager avec leur famille le mieux-être gagné à la sueur de leur front. La loi leur demande en quelque sorte de ne pas s’attarder en France et surtout de ne pas y faire souche. Le regroupement familial sera désormais l’exception et même les conjoints de Français devront faire assaut de justificatifs avant de pouvoir obtenir le sésame marital. Finie aussi la régularisation de plein droit des clandestins qui auraient su s’insérer par leur travail dans la société française pendant au moins une décennie. Les procédures de renvoi au pays seront sans appel. Les charters forcés Paris-Bamako se rappellent au mauvais souvenir des Maliens.

Filtrage à Bamako

A Kayes, la ville du nord du Mali d’où sont originaires la majorité des travailleurs maliens de France, le Collectif des élus de la région (CODEKA) demande «aux parlementaires maliens et à tous les Maliens de se mobiliser afin que Nicolas Sarkozy annule son voyage du 17 mai au Mali» où le ministre français a prévu une réunion de travail, jeudi, avec le Premier ministre malien, Ousmane Issoufi Maïga, le ministre de l'Administration territoriale et des Collectivités locales, le général Kafougouna Koné, celui de la Sécurité intérieure et de la Protection civile, le colonel Sadio Gassama, mais aussi avec le ministre des Maliens de l'extérieur et de l'Intégration africaine, Oumar Hamadoun Dicko. Nicolas Sarkozy va leur présenter le cahier des charges concernant le filtrage à Bamako des candidats à l’émigration. Il sera en particulier question de la bonne tenue de l’état civil, des procédures de biométrie imparables qui équipent désormais le consulat de France, bref du contrôle des sorties, mais aussi de l’incitation au retour des immigrés, baptisée co-développement.

Nicolas Sarkozy a prévu de parler développement avec son cœur de cible, des représentants de la jeunesse et de la société civile malienne, comme l’avait fait Chirac fin 2005 devant une assistance triée sur le volet dans le cadre du sommet France-Afrique. L’objectif est de réduire les arrivées de travailleurs africains à l’heure où l’Europe voit s’amorcer des flux migratoires internes de main-d’œuvre, d’Est en Ouest généralement. Entre le Sud et le Nord, seuls les détenteurs de CV rares peuvent désormais espérer un ticket d’entrée. Du coup, côté africain, certains chefs d’Etat jouent aujourd’hui de la crainte européenne face aux clandestins qui menacent de déborder leurs frontières en dépit des lois et des barbelés. Ils invoquent l’exaspération de leur jeunesse au chômage pour demander des aides au développement plus conséquentes. Mais côté français, la réponse reste parcimonieuse et sélective. Le co-développement se résume souvent à de modestes enveloppes personnalisées affectées à d’hypothétiques réinsertions individuelles dans des économies en déshérence. Quand ils le peuvent, les immigrés préfèrent faire eux-même du développement, à leur échelle, leur retour au pays tarissant souvent la seule ressource monétaire de familles entières.

A Paris, le Collectif de soutien aux expulsés accuse la France de «payer aux consulats des pays d’origines, dont celui du Mali, 150 euros (soit 100 000 francs CFA) par expulsé pour les convaincre de délivrer des laissez-passer d’expulsion». Cela donnerait lieu à un trafic. «Les fonctionnaires du consulat du Mali en France profitent de ce trafic en extorquant de 250 à 500 euros à chaque expulsé en lui faisant croire qu’ils peuvent éviter la délivrance de laissez-passer», assure le collectif qui voit dans la nouvelle loi «la volonté manifeste de bouter hors de la France ces indésirables africains qui ne veulent que jouir de leurs droits de travail pour une juste rémunération et sortir de l’insécurité psychologique dans laquelle ils sont confinés».

«Une gifle au Mali et à son peuple»

«Cette visite est pour nous une seconde gifle au Mali et à son peuple après celle administrée sur le sol français. Mais nous la ressentons aussi comme le résultat d’une compromission de notre gouvernement incapable de résister à cette nouvelle offensive anti-immigrés et anti-Maliens», poursuit le Collectif qui appelle lui-aussi ses compatriotes restés au pays à se mobiliser contre la visite de Nicolas Sarkozy comme l’avaient fait les Antillais pour marquer leur opposition au projet de loi prévoyant d’inscrire dans les manuels scolaires des «effets positifs de la colonisation».

Au Bénin, où il est attendu vendredi, le ministre français de l'Intérieur inaugurera le marché de Vedoko avec le président Boni Yayi et le maire de Cotonou, l’ancien président Nicéphore Soglo. Il donnera ensuite une conférence sur la politique africaine de la France devant la classe politique béninoise. Sa tournée ayant été retardée par le vote de la motion de censure parlementaire, mardi, et le report à mercredi du vote sur l’immigration «choisie» qui a mobilisé, samedi, des milliers de manifestants dans les rues de Paris, Nicolas Sarkozy a finalement renoncé à faire escale au Liberia où la présidente Ellen Sirleaf voulait lui faire visiter un centre de réinsertion pour ex-enfants-soldats.


par Monique  Mas

Article publié le 16/05/2006 Dernière mise à jour le 16/05/2006 à 16:52 TU