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Musée du quai Branly

Nostalgie du musée de l'Homme

L’ethnologue Manuel Valentin était responsable des collections subsahariennes au musée de l’Homme, avant leur déménagement quai Branly. Il a lutté, en vain, contre le démantèlement de la vénérable institution, qui abritait les collections et la bibliothèque, au profit du nouveau musée, situé quai Branly. Manuel Valentin reconnaît que la naissance d’un nouveau musée est toujours un heureux événement. Il craint cependant que le musée des arts et des civilisations non-européennes reste avant tout «un musée de prestige», susceptible de s’appeler, dans le futur, « le musée Jacques Chirac ». Avouant garder une certaine amertume, et demeurer inquiet quant à l’avenir du musée de l’Homme, il souhaite malgré tout « bonne chance » au nouvel équipage. Entretien.

RFI : Le 3 mars 2003, le personnel du musée de l’Homme manifestait contre la fermeture de ses salles d’ethnologie. Un comité de lutte s’était constitué, baptisé comité Patrimoine et résistance, pour mener l’ultime bataille. Plusieurs voix de scientifiques, dont celles de Bernadette Robbe, Jean Rouch, Gilbert Rouget, s’étaient élevées pour dénoncer ensemble « un scandale » et, vous-même, farouchement opposé au projet, vous aviez déclaré dans une interview accordée à RFI : «  Nous avons conscience que tout le patrimoine arraché au monde culturel de l’Afrique va subir un nouvel arrachage, cette fois, dans un contexte institutionnel ». A quelques semaines de l’inauguration du nouveau musée, habillé en grande partie des collections et de la bibliothèque du musée de l’Homme, votre colère est-elle retombée ?

Manuel Valentin : Que cela soit clair, je n'ai personnellement jamais été contre un nouveau projet de musée ce qui, en soi, est toujours enrichissant pour la vie culturelle d’un pays. C’est la manière de procéder qui, en revanche, a soulevé mon indignation. Tous les présidents de la Ve République française ont souhaité laissé une trace intellectuelle de leur passage à la tête du pays -qu’il s’agisse de François Mitterrand avec le Grand Louvre et la Biblitothèque nationale, de Georges Pompidou avec le musée d’art moderne qui porte aujourd’hui son nom, ou bien encore de Valéry Giscard d’Estaing qui créa le musée d’Orsay. Mais c’est la première fois que l'on assiste à la création d’une nouvelle institution au détriment de deux autres, en bafouant un code de déontologie que la France avait mis des années à instaurer dans le but de protéger les fonds de tout musée. Tout cela a été balayé d'un coup : sous couvert d’un mauvais état de conservation, les collections ethnologiques -qui étaient les plus visitées, étudiées et enseignées- ont été retirées de manière abrupte, puis ce fut le tour de la bibliothèque, qui représentait « le coeur même du savoir ». Simplement, il faut reconnaître que le musée de l'Homme, dépendant directement du Muséum national d'histoire Naturelle, lui-même ayant pour tutelle principale le ministère de l'Education Nationale, était un musée pauvre. Peu gâté sur le plan budgétaire, il a finalement été accablé de tous les maux du fait de sa pauvreté.

RFI : C’était donc davantage le fonctionnaire fidèle de la vieille maison qui s’exprimait plutôt que l’ethnologue inquiet du départ des objets au risque que son travail soit dénaturé ?

M.V. : J’insiste, je n’engage que moi. Personnellement, je pense que les médias ont un peu tout mélangé à savoir l’idéologique, la « marchandisation » de l’ethnologique, la peur métaphysique des collectionneurs. En cela je me démarque d’autres confrères qui étaient fondamentalement préoccupés de savoir si la création d’une belle vitrine allait signifier en d’autres termes la mise à mort de l’ethnologie. Quelques-uns de mes confrères comme Jean Rouch, par exemple, ne voulaient rien changer, personnellement, je n’étais pas opposé à une reconsidération des choses établies. Mais tous, à l’instar de Jean Rouch, étions extrêmement attachés à défendre les services rendus par cette vénérable institution qui fut la seule à veiller sur les collections issues des soit-disant « primitifs ». Jusqu'au début des années 1960, elles n'intéressaient quasiment personne. Ces 40 dernières années, de nombreuses expositions ont contribué à familiariser le « grand public » avec les cultures autres que françaises. Bref, tout donnait l'impression que, non sans ingratitude, on déshabillait Paul pour habiller Jacques. On dépouillait deux institutions, le musée de l’Homme et le musée des Arts d’Afrique et d’Océanie (MAAO), sans définir les contours de leurs ré-orientations, au profit d’un musée qui a failli s’appeler le musée de l’Homme, des arts et des civilisations (MHAC), ce qui aurait été une maladresse supplémentaire !

RFI : Au fond, vous dénoncez essentiellement des maladresses dans la conduite du projet ?

M.V. : Oui, mais pas seulement. Des maladresses dans la présentation du nouveau projet, et un certain autoritarisme pour l’imposer car personne, au final,  n’aura été dupe : dès le début de l’annonce d’un musée entièrement dévolu aux « arts premiers », tout était décidé unilatéralement. On aurait pu faire l’économie de toutes les prétendues réunions de réflexion qui n’ont servi à rien. Un leurre, en somme.

L'emplacement de la médiathèque dans l'ensemble du musée du quai Branly.DR
L'emplacement de la médiathèque dans l'ensemble du musée du quai Branly.
DR

RFI : Le nouveau musée va ouvrir ses portes le 26 juin prochain. Quel regard portez-vous sur les contours qui commencent déjà à se dévoiler ?

M.V. : (rires). J’attends de voir. (rires). Je souhaite sincèrement à ce nouveau musée d'être une réussite car mes collègues devront certainement gérer et maîtriser un « paquebot » culturel surdimensionné, au milieu des caprices des courants et des vents idéologiques et politiques. Mais, en mai 2006, il est encore bien trop tôt pour en juger. L’effet inaugural passé -dont on peut parier qu’il va probablement durer un an, jusqu’à la prochaine présidentielle-, on pourra alors prendre du recul pour juger de sa réussite ou non. Tout dépendra, aussi, des fonds alloués pour l’entretien des belles vitrines : cela coûte très cher. Je ne peux pas et je ne veux pas me prononcer plus avant, ce serait faire un procès d’intention inutile et ridicule que de prévoir des insuffisances dans le fonctionnement. Pour l’heure, je suis convaincu que ce musée va être très attractif et très beau. Tout a été pensé pour présenter un projet « complet » -il y aura même un laboratoire et une bibliothèque ! (rires). Au-delà de la boutade, je salue la nouvelle équipe qui compte de grandes pointures dans ses rangs à commencer par Jean-Pierre Mohen, l’ancien directeur du laboratoire scientifique des musées de France, qui va être responsable du département du patrimoine et des collections quai Branly.

RFI : Quels sont les sentiments qui vous dominent aujourd’hui ?

M.V : La colère est retombée. Je ne me sens pas particulièrement lésé car j’ai rebondi. Je n’ai plus en charge les collections d’Afrique sub-sahariennes mais je travaille sur les anciens relevés de peintures rupestres en Afrique australe d’une part et sur la récupération et le recyclage des matériaux dans le domaine de l’art et de l’artisanat africain. Je peux consacrer davantage de temps à la recherche et à l’enseignement. Ceci étant, j’ai gardé un peu d’amertume : je suis encore inquiet quant au devenir du musée de l'Homme, auquel je reste fidèlement attaché. Gageons que s'il échappe aux convoitises d'un politique tout en poursuivant sa « refondation », nul doute qu'il deviendra à nouveau une institution innovante mais rien de concret, avec budget à l’appui, n’est à ce jour émergent.

 

Les Bushmen dans l'histoire, sous la direction d'Emmanuelle Olivier et Manuel Valentin.DR
Les Bushmen dans l'histoire, sous la direction d'Emmanuelle Olivier et Manuel Valentin.
DR

par Dominique  Raizon

Article publié le 17/05/2006 Dernière mise à jour le 17/05/2006 à 17:56 TU