Côte d'Ivoire
Etat civil ambulant
(Photo : AFP)
A Marcoussis, en janvier 2003, les acteurs de la crise ivoirienne ont estimé satisfaisant le code de la nationalité en vigueur, réclamant en revanche son application juste et rigoureuse. Bien sûr, chacun a son idée sur la question dans cette terre d’immigration où, en son temps, feu le président Houphouët-Boigny n’a jamais lésiné ni sur l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ni sur le vote des étrangers. Ses détracteurs continuent du reste à qualifier ces derniers de «bétail électoral». Et la guerre s’est ouverte en septembre 2002 sur le terrain miné de la «nationalité douteuse», celle en particulier de l’ex-Premier ministre Alassane Ouattara. Au fil des négociations, la polémique sur la nationalité des candidats potentiels à la présidentielle s’est refermée. Reste à dresser l’état civil de chacun des habitants d’un pays où toutes les naissances n’ont pas été déclarées, où les papiers d’identité ne sont pas monnaie courante et dont un résident sur quatre est étranger.
Une procédure d’identification inédite
Pour mieux ratisser le territoire, les Ivoiriens ont concocté une formule inédite d’identification des populations. Un tribunal ambulant composé de deux magistrats, d’un greffier et de deux agents de l’état civil va tenir des «audiences foraines», c’est-à-dire qu’il va siéger en dehors de sa juridiction habituelle pour aller à la rencontre des requérants, dans les quartiers des villes et sur les places des villages. Ces envoyés du ministère de la Justice seront accompagnés d’un médecin capable d’évaluer l’âge des intéressés afin de délivrer un certificat de nationalité aux natifs de Côte d’Ivoire âgés de 13 ans ou plus qui ne seraient pas encore inscrits sur les registres de l’état civil. Ceux-ci ne peuvent pas en effet se prévaloir d’un acte de naissance, sésame pour la nationalité ivoirienne. Plus tard, il faudra imprimer des cartes d’identité sécurisées, le plus infalsifiables possible.
Le chiffre exact des immigrés de Côte d’Ivoire est sujet à polémique. Le ministre de la Justice, Mamadou Koné, l’estime à 3,5 millions de personnes. En 1998, un recensement le situait autour de 26% de la population, un des taux les plus impressionnant du monde. Cette fois, il s’agit de lever le flou sur les nationalités et d’extirper avec lui les racines de situations conflictuelles antérieures à la guerre. Le ministère de la Justice presse donc les intéressés de se rendre à l’audience la plus proche de leur lieu de naissance. L’impétrant doit se présenter «accompagné d'au moins deux témoins devant le président du tribunal qui procède à l'interrogatoire». Les audiences sont publiques. Les élus et les notables locaux, mais aussi les observateurs de l'Onu sont conviés.
«Lorsque toutes les conditions sont réunies pour faire droit à la demande, le tribunal accorde un jugement supplétif d'acte de naissance». Les citoyens ivoiriens se voient alors délivrer un certificat de nationalité, dans un délai de deux jours. Si la phase pilote est concluante, l’opération montera en puissance dans l’ensemble du territoire, avec ou sans correctifs et sous la protection des casques bleus et des ex-belligérants selon que le tribunal ambulant siégera dans l’une ou l’autre zone de contrôle. Fidèle à sa méthode Coué, le Premier ministre Charles Konan Banny a voulu ce test en vrai grandeur en parallèle au «pré-regroupement» des ex-combattants. Pourtant, mercredi, une ultime rencontre entre les état-majors des loyalistes et des ex-rebelles n'a pas vraiment éclairci les modalités pratiques qui doivent préluder au cantonnement.
Un cantonnement encore hypothétique
Les anciens-combattants rebelles veulent des papiers d’identité ivoiriens avant de désarmer. Leurs chefs politiques ne voient pas vraiment d’un bon œil l’administration centrale revenir dans les territoires d’où ils l’ont chassée, même sur la pointe des pieds du recensement. Du côté des partisans du président Gbagbo, l’exigence première concerne en revanche le désarmement. Mais finalement, après avoir qualifiée les «audiences foraines» de «bourrage artificiel de la liste électorale», les «patriotes» de Charles Blé Goudé ont révisés leur opinion. «Il n'y aura pas d'opération ville morte, il n'y aura pas de boycott», assure aujourd’hui Blé Goudé. Toutefois, menace-t-il, «si au bout de quelques jours, nous nous rendons compte que l'identification a lieu sans le désarmement, nous serons prêts à prendre les mesures qui s'imposent».
«Les audiences foraines donnent lieu au redéploiement de l'administration préfectorale et de l'administration judiciaire dont les animateurs rejoignent leur poste d'affectation à cette occasion», précise le cabinet du Premier ministre en réponse à ceux qui dénoncent un «bradage pernicieux de notre nationalité». Mais pour ce qui est du DDR, le «pré-regroupement» reste un préliminaire aux contours suffisamment vagues pour que chacun se prévale de sa mise en œuvre. Et si «le dialogue militaire reprendra à Yamoussoukro le mercredi 31 mai», c’est à défaut d’accord formel sur le regroupement des unités de l’armée régulière dans les 35 sites installés au Sud et sur celui des troupes des ex-rebelles dans les 75 points de cantonnement du Nord.
Les anciens rebelles veulent gagner du temps sans trop déplaire au Premier ministre qui doit bientôt rendre compte au comité de suivi international. Ils ont donc décidé de procéder eux-aussi à «une phase pilote de pré-regroupement dans des localités où auront lieu les audiences foraines» en casernant provisoirement certains de leurs hommes. Il en va de ce double test comme de la sortie de crise : il repose sur la bonne volonté des anciens belligérants.
par Monique Mas
Article publié le 18/05/2006 Dernière mise à jour le 18/05/2006 à 17:22 TU