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France

Le génocide arménien déchire encore les députés

Acte de vandalisme réalisé, le 18 avril 2006 à Lyon, sur une des stèles du mémorial dédié au génocide arménien de 1915 raturée au marqueur.(Photo : AFP)
Acte de vandalisme réalisé, le 18 avril 2006 à Lyon, sur une des stèles du mémorial dédié au génocide arménien de 1915 raturée au marqueur.
(Photo : AFP)
Jeudi matin, les députés devaient examiner une proposition de loi socialiste visant à sanctionner la négation du génocide arménien de 1915. Ce projet de loi a provoqué tant de remous dans les rangs de l’Assemblée nationale que le président de séance a reporté le vote. Le texte fait de la négation du génocide un délit punissable d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Cette proposition a suscité des divisions entre des députés de gauche comme de droite, provoqué des tensions avec Ankara qui nie avec vigueur le génocide et réactivé les protestations des historiens qui s’insurgent contre une appropriation de l’histoire par le parlement à travers des lois mémorielles.

La loi française du 29 juillet 2001 reconnaissant l’existence du génocide arménien de 1915, ne prévoit pas de punir la négation des faits. Jeudi matin, une proposition de loi socialiste visant à l’amender devait être étudiée à l’Assemblée pour « achever  le travail entrepris sous la précédente magistrature », selon Didier Migaud (PS, Isère) auteur de la proposition de loi. Le vote est désormais reporté sine die. Proposition de loi faite à l’instar de la loi Gayssot, qui punit d’un an de prison et de 45 000 euros d’amende le négationnisme de la Shoah. 

Le tout début de séance a été marqué par des empoignades verbales, entre les bancs de la gauche et ceux de l’UMP mais aussi au sein d’une gauche divisée sur le sujet. Très vite, des accusations ont été adressées à la droite, déplorant des « procédés dilatoires et de double jeu pour retarder l’examen et éviter le vote ». Les vifs échanges ont tant retardé l’examen du texte qu’il ne restait plus qu’un quart d’heure pour traiter d’un sujet hautement sensible depuis plusieurs années.

Après deux suspensions de séances décidées par le président Jean-Louis Debré, l’examen du texte étant resté inachevé, le vote a été reporté. Ajoutant à la confusion générale, plusieurs personnes présentes dans les tribunes du public se sont alors levées et ont scandé pendant quelques minutes « le vote ! Le vote ! » avant d’être évacuées dans le calme par les gendarmes. Pour des raisons de calendrier parlementaire, la poursuite du débat et le vote ne devraient probablement pas intervenir avant la prochaine session qui commence en octobre.

Après la polémique autour de l’amendement sur « le rôle positif de la colonisation », c’est au tour du génocide arménien de diviser les députés et de plonger l’exécutif dans l’embarras : hostile à la proposition de loi, Jean-Louis Debré a déclaré : « La loi n’écrit pas l’histoire, la loi est là pour fixer des normes, elle n’est pas là pour dire quel est le sens d'événements historiques (…). Je pense qu’aujourd’hui nous n’avons ni à écrire l’histoire de la France, ni à écrire l’histoire des relations entre les autres peuples. Ce n’est pas à la France de dire quelle interprétation on doit donner aux rapports entre ces deux pays », le pays victime, l’Arménie, et la Turquie qui persiste à nier avec vigueur l’existence d’un génocide et préfère évoquer des victimes de répression dans un contexte de guerre.

La proposition de loi ne fait pas l’unanimité au sein même des familles politiques

L’entourage de Jacques Chirac a rappelé l’attachement du président à ce que « le travail de mémoire soit accompli notamment en ce qui concerne le génocide arménien » et déclaré que la loi de janvier 2001 s’imposait à tous. Par ailleurs, le ministre des Affaires étrangères a souligné que si la proposition de loi «  était adoptée, ce texte serait considéré comme inamical par la très grande majorité du peuple turc et cela ne manquerait pas d’avoir des conséquences politiques sérieuses et d’affaiblir notre influence non pas seulement en Turquie mais aussi dans l’ensemble de la région », tout en insistant sur le fait que « la Turquie est un  partenaire  économique et commercial de premier plan ».

Pour des raisons économiques et diplomatiques, la droite -largement majoritaire à l’Assemblée- est, dans son ensemble contre la proposition de loi socialiste. Face au dilemme, Bernard Accoyer, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, a indiqué que même s’il « n’était pas favorable à la proposition de loi », il « prenait acte d’un texte dont il compren[ait] le sens», assurant que les députés UMP auraient ‘la liberté du vote’ ».

Semblables hésitations dans les rangs du PS. Ainsi, Jack Lang, député et ancien ministre socialiste de la Culture, s’est démarqué des prises de position du président du groupe socialiste, Jean-Marc Ayrault -lequel a fini par cosigner la proposition de loi de Didier Migaud sans y être favorable au départ. Jack Lang a affirmé être « hostile par principe à cette loi : on ne va pas, sur tous les sujets historiques, introduire une criminalisation généralisée ! ». Par ces déclarations, Jacques Lang se trouvait aux côtés de son adversaire politique, Jean-Louis Debré fermement partisan de rendre l’histoire aux historiens.

« Nous souhaitons sur le génocide arménien, tel qu’il est défini par la loi que nous avons votée, qu’il y ait une commission internationale d’historiens à la fois arméniens, turcs mais aussi de notoriété internationale qui se penchent sur l’ensemble des archives et des événements de cette époque pour se rapprocher de la vérité. Mais ne donnons pas, par la loi, de la passion à quelque chose qui relève des consciences et du travail des historiens », a insisté Jean-Louis Debré. Une plaidoirie en faveur des historiens qui devrait réjouir le collectif réuni par l’historien Jean-Pierre Azema, se déclarant « profondément choqué » par l’initiative des députés PS.


par Dominique  Raizon

Article publié le 18/05/2006 Dernière mise à jour le 18/05/2006 à 18:28 TU