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Monténégro

Scrutin historique sur l’indépendance

Faut-il se séparer de la Serbie ? Quelque 485 000 électeurs votaient dimanche lors d'un référendum qui peut conduire au démembrement définitif de la Yougoslavie. Samedi, les dirigeants des deux camps ont lancé des appels au calme.
Près de 50 000 personnes se sont rendues au dernier meeting en faveur de l'indépendance du Monténégro.(Photo: Laurent Geslin/RFI)
Près de 50 000 personnes se sont rendues au dernier meeting en faveur de l'indépendance du Monténégro.
(Photo: Laurent Geslin/RFI)

De notre correspondant dans les Balkans

Plusieurs dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées jeudi soir sur la place centrale de Podgorica pour le meeting final du camp souverainiste, qui appelle à voter oui à l’indépendance, lors du référendum de dimanche. L’avant-veille, c’étaient les « unionistes » qui avaient rassemblé une foule presque aussi importante.

« Ce n’est pas bien difficile de rameuter la foule », assure Miljenko, un chômeur de 26 ans, lui-même partisan de l’indépendance. « Les gens touchent 20 euros pour remplir une voiture et la conduire à Podgorica. Les deux camps font la même chose. L’argent de Belgrade coule à flots pour financer la campagne des unionistes. Nous avons un des référendums les plus chers du monde ! »

Dans le nord du Monténégro, les partisans du maintien de l’union avec la Serbie accusent même le gouvernement de Milo Djukanovic de réserver le versement des allocations familiales et des aides sociales à ses partisans. Ces accusations n’ont rien d’improbable. Au Monténégro, même si le vote est théoriquement secret, tout le monde se connaît, et les votes exprimés par les citoyens seront encore une fois faciles à vérifier, malgré la présence de quelque 3 300 observateurs locaux et étrangers.

Un Monténégro indépendant, européen, citoyen

Malgré cela, l’enthousiasme des partisans de l’indépendance réunis à Podgorica n’était pas feint. Tout le centre de Podgorica était submergé par une marée de drapeaux rouges frappés de l’aigle des Petrovic Njegos, l’ancienne dynastie régnante. Tous les orateurs ont souligné que dimanche serait une journée « historique », permettant la restauration de l’État monténégrin, disparu en 1918, lors de l’annexion de la petite principauté dans le nouveau « royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes ». Le vieux roi monténégrin Nikola Ier Petrovic Njegos est mort en exil en France en 1921 sans avoir jamais abdiqué. Son héritier, le prince Nikola, n’est candidat à aucune restauration monarchique, mais il s’est adressé à la foule pour évoquer l’image d’un Monténégro indépendant, européen, citoyen, multiethnique et écologique.

Le Premier ministre Milo Djukanovic a rappelé que le Monténégro indépendant espérait rejoindre au plus vite l’Union européenne, et qu’il entendait avoir des relations amicales avec tous ses voisins. Pour les partisans de l’indépendance, l’indépendance sera une bonne chose pour le Monténégro et la Serbie, car elle permettra aux deux pays d’avoir des relations de voisinage et de collaboration sur une base égalitaire.

L’indépendance du Monténégro marquerait une nouvelle étape du démantèlement de la Yougoslavie. En 1992, le Monténégro avait été la seule république à s’engager avec la Serbie dans la création d’une nouvelle fédération. Les dirigeants monténégrins – qui s’appelaient alors Momir Bulatovic, Milo Djukanovic, Svetozar Marovic et Filip Vujanovic – étaient totalement alignés sur la politique de Slobodan Milosevic. Le Monténégro a ainsi été directement impliqué dans le siège de la ville croate de Dubrovnik.

Une dangereuse « zone grise »

La rupture entre Belgrade et les dirigeants monténégrins s’est amorcée dès 1996, après la guerre de Bosnie, et quand le pouvoir de Milosevic a commencé à vaciller sous les coups des  manifestations démocrates. Milo Djukanovic et ses amis ont alors réhabilité l’identité nationale monténégrine, prôné le rapprochement avec la communauté internationale, avant de militer pour l’indépendance. Ce faisant, ils se sont réconciliés avec les défenseurs de toujours de l’identité monténégrine, tout en parvenant aussi à convaincre beaucoup d’électeurs qui constatent que l’idée yougoslave est bel et bien morte et que le Monténégro n’a pas d’autre choix que d’essayer de prendre en main son destin.

Bien sûr, l’opposition ne manque pas de dénoncer la dérive clanique et mafieuse du petit groupe d’oligarques qui règne sans partage depuis 1988 sur les destinées du Monténégro. Dirigeant des jeunesses communistes dans les années 1980, Milo Djukanovic (45 ans) n’a jamais exercé d’autre métier que chef de l’État ou chef du gouvernement. Le succès probable du référendum prendra dès lors l’allure d’un plébiscite, lui assurant encore de nombreuses années de pouvoir.

Cependant, la barre est fixée très haut : l’Europe exige que 55% des électeurs se prononcent en faveur de l’indépendance pour reconnaître les résultats du vote. Le Monténégro pourrait donc plonger dans une dangereuse « zone grise », si le score du camp indépendantiste se situait entre 50 et 55% des voix. Tandis que les souverainistes s’estimeraient majoritaires, l’opposition « unioniste » monténégrine, Belgrade et l’Union européenne ne reconnaîtraient pas leur victoire. Certaines ONG ont demandé l’interdiction de toute manifestation de rue dans la nuit de dimanche à lundi, mais les deux camps se préparent bien au contraire à fêter chacun une victoire dont ils se déclarent certains. À Cetinje, les services municipaux achevaient vendredi de pavoiser la ville de bannières monténégrines : un drapeau rouge frappé de l’aigle de la dynastie royale des Petrovic Njegos.


par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 20/05/2006 Dernière mise à jour le 20/05/2006 à 13:17 TU