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Cameroun

Des catholiques très politiques

La Conférence épiscopale nationale entreprend de contribuer au débat sur l’amélioration de l’environnement électoral, peu porté à ses yeux à garantir l’expression de la souveraineté du peuple. A la clef : deux textes inspirés des expériences électorales antérieures, et socles des changements souhaités. Cette démarche est considérée par les contempteurs de l’Eglise catholique comme une incursion dans la sphère politique. Une critique dénuée de fondement, selon le clergé.
D'après Pierre Titi Nwel, un universitaire camerounais, «<i>Le domaine politique est un champ d'évangélisation</i>».(Photo: AFP)
D'après Pierre Titi Nwel, un universitaire camerounais, «Le domaine politique est un champ d'évangélisation».
(Photo: AFP)

De notre correspondant à Yaoundé

« Je continue de me demander où est le rapport entre notre conférence et les questions de sécurité qui ont poussé les autorités à l’interdire tout en nous conseillant de la programmer après le 20 mai
[date de la fête nationale] ». Dans son bureau de Secrétaire général de la Conférence épiscopale nationale du Cameroun, Mgr Patrick Lafon n’a pas fini de tenter de percer le mystère qui entoure cette affaire. Le 12 mai, une conférence de presse est programmée au Centre Jean XXIII de Mvolyé à Yaoundé. Le clergé catholique entend rendre publiques deux propositions de loi élaborées sous son égide, à travers la Commission nationale « Justice et Paix », à la suite d’un processus participatif qui a réuni des politiques, des experts et des membres de la société civile.

Mais les organisateurs apprennent, par Mgr Victor Tonye Bakot, archevêque métropolitain et président de la Conférence épiscopale, que la présidence de la République ne souhaite pas que cette conférence se tienne avant la date du 20 mai. La désolation. Résultat : la curiosité des hommes de médias s’aiguise. Et, deux jours plus tard, des quotidiens privés publient au titre de « documents », dans leur intégralité, les deux propositions de loi qui, toutes, tiraient les leçons des récents scrutins, pour lesquels la Conférence épiscopale constatait que « si les manquements à la loi électorale sont récurrents, c’est que l’objectif de plusieurs acteurs électoraux n’est pas le respect des normes électorales, mais la victoire d’un parti, d’un candidat sur l’autre ».

Un contexte de méfiance

La première concentre en un seul texte des lois éparses qui gouvernent l’organisation des élections au Cameroun. Elle est porteuse aussi de quelques changements : l’élection du président de la République pour un mandat de cinq ans et à la majorité absolue au scrutin uninominal ( ce qui ouvre la perspective d’une élection à deux tours) ; l’institution d’un bulletin de vote unique ; la vote des Camerounais de la diaspora, parmi d’autres points saillants. La deuxième proposition de loi instaure un Office national des élections ( Onel), en lieu et place de l’Observatoire national des élections en place depuis 2001. Selon l’église catholique, cette nouvelle institution devrait garantir des élections libres, justes et transparentes.

Il n’en faut pas plus pour que des observateurs fassent le lien avec la mesure d’interdiction réputée émaner de la présidence. Bien avant cet épisode, des représentants du clergé catholique avaient pendant des semaines fait parvenir à des chancelleries, à des organismes internationaux basés à Yaoundé, à des administrations et à la présidence de la République les textes qui devaient être rendus publics le 12 mai. Le tout dans un contexte de méfiance : des émissaires catholiques n’ont pu rencontrer des personnalités, dont le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale, le ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation. D’où le pis-aller du courrier…

Le fait est que sur la question électorale, depuis le retour au multipartisme ne 1990, comme sur d’autres sujets sensibles, les sorties de plus en plus fréquentes et médiatisées de la Conférence épiscopale ou de certains dignitaires de l’Eglise catholique à titre individuel n’ont pas été bien accueillies par le pouvoir en place. Au lendemain de l’élection présidentielle du 11 octobre 2004, le Cardinal Christian Tumi, connu pour son franc-parler et auquel on a prêté des ambitions politiques malgré ses dénégations, avait qualifié le vote de « mascarade », sur la foi des rapports des observateurs chrétiens de l’Archidiocèse de Douala. Le pouvoir avait accusé le coup, d’autant plus durement que l’Observatoire national des élections, comme d’autres observateurs internationaux, avaient tendance à minimiser les « dysfonctionnements », alors que l’opposition, moins bruyamment que lors des scrutins antérieurs certes, criait à la fraude.

« Qui dit droit, dit paix, dit justice »

L’Archevêque de Yaoundé, avait, pour sa part, joué la carte de l’apaisement, en tentant de faire subtilement discréditer les positions du Cardinal Tumi. Des semaines auparavant, Mgr Bakot avait lancé un appel à aller voter adressé à ses ouailles. Le document fut publié dans la presse, au titre de publicité, payée par le Rassemblement démocratique du peuple camerounais ( RDPC, au pouvoir).

Malgré tout, ce sont les voix peu favorables au pouvoir qui semblent les plus entendues. Au point que, agacés, des membres du régime en place n’ont pas hésité à décrier une certaine immixtion de l’Eglise dans les affaires politiques. « Ceux qui le disent n’ont rien compris. A la suite de l’exemple du Christ, tout ce qui touche à la vie des hommes est l’affaire de l’Eglise. Sur ce point, la doctrine sociale de l’Eglise est bien claire dans le document Ecclesia in Africa, où les évêques demandent que l’Eglise accompagne nos pays dans les processus démocratiques », rappelle Mgr Lafon.

Et l’universitaire Pierre Titi Nwel de renchérir : « Le domaine politique est un champ d’évangélisation. Cela se voit avec le Concile Vatican II et l’encyclique du Pape Jean XXIII sur les droits de l’Homme. Qui dit droit, dit paix, dit justice. Or, il faut veiller à ce que le politique qui gère la vie social, le fasse pour le bien de la collectivité », explique le coordonnateur national de la Commission « Justice et Paix » de la Conférence épiscopale.


par Valentin  Zinga

Article publié le 20/05/2006 Dernière mise à jour le 20/05/2006 à 16:08 TU