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Bolivie

Du bon usage de la coca

Evo Morales souhaite légaliser la culture de la feuille de coca, composant principal de la cocaïne. 

		(Photo : © Claude Dejoux IRD)
Evo Morales souhaite légaliser la culture de la feuille de coca, composant principal de la cocaïne.
(Photo : © Claude Dejoux IRD)

Le gouvernement d’Evo Morales vient de rendre public un ambitieux Programme national de développement pour lutter contre la pauvreté. L’objectif est notamment de créer 90 000 emplois par an au cours des cinq prochaines années. Pour cela, quelque 12,7 milliards de dollars d’investissements publics et privés sont nécessaires dans les secteurs stratégiques du gaz et du fer, mais aussi dans l’agriculture où le président Evo Morales entend revaloriser le commerce licite de la feuille de coca pour détourner les petits producteurs, les «cocaleros», de la filière cocaïne. Il compte pour cela sur les vertus médicinales de coupe-faim et d’anti-fatigue de la reine de l’Altiplano bolivien.


Le 17 juin, l’ancien «cocalero», Evo Morales, était à Irupana, fief du meilleur cru de la coca, dans la région des Yungas, à 140 kilomètres de La Paz, la capitale. Il était venu chanter les bienfaits de la plante sacrée des Incas dont il entend exporter les feuilles conditionnées comme du thé ou réduites en poudre pour entrer dans la composition de gâteaux, de crèmes de beauté ou de boisson non alcoolisées, à l’image du coca-cola. Inspiré d’un vin français, le soda américain contenait en effet à l’origine des principes extraits de la plante andine et de la noix de cola africaine.

Outre les feuilles, traditionnellement mastiquée comme du tabac à chiquer, toutes sortes de sous-produits licites à base de coca sont déjà commercialisés à la modeste échelle bolivienne. Mais six mois après sa prise de fonction présidentielle, Evo Morales voit plus grand. «L’industrialisation nous permettra d'expliquer au monde que la coca n'est pas nuisible et cela permettra de revaloriser vos propriétés et surtout de retirer la coca de la liste des produits toxiques», a-t-il lancé à Irupana en inaugurant l’une des deux usines nées de la coopération avec le Venezuela.

Le Venezuela d’Hugo Chavez a mis un million de dollars dans l’industrie licite de la coca. Evo Morales indique aussi qu’il est en discussion avec son homologue argentin, Nestor Kirchner, pour exporter les précieuses feuilles dans le nord andin de l’Argentine, adepte lui-aussi de la mastication. Le président bolivien voit également le Venezuela, Cuba et même la Chine et l’Inde comme des clients potentiels. En revanche, il va devoir surmonter les réticences américaines toujours très vives. Washington est en effet partisan de l’option «coca zéro», affirmant que l’essentiel de la production de l’autre grand terroir bolivien dévolu à la coca, le Chaparé, sert à la fabrication de la cocaïne que les narco-trafiquants acheminent aux Etats-Unis.

Evo Morales, champion des planteurs de coca

C’est dans le Chaparé, au centre du pays, qu’Evo Morales a commencé son ascension politique, comme champion des cultivateurs de coca en butte au programme d’éradication financé par les Etats-Unis. Au milieu des années quatre-vingt, la crise minière avait jeté des nuées de chômeurs dans les plantations de coca du Chaparé où s’approvisionnaient aussi bien les fabricants de cocaïne que les consommateurs locaux. L’industrie de la coca employaient quelque 70 000 «cocaleros» au milieu des années quatre-vingt dix, jusqu’à ce que le programme d’éradication baptisé «Plan dignité» par l’ancien président Hugo Banzer fasse table rase de 40 000 hectares de coca, en moins de cinq ans et manu militari.

Tabassé, emprisonné, Evo Morales a fait sa carrière de syndicaliste dans les champs de coca, ces deux dernières décennies. La rude bataille des petits producteurs contre la politique d’éradication américano-bolivienne a souvent donné lieu à des heurts sanglants, faisant seize morts en 2000 par exemple. En avril 2001, député Morales en tête et avec l’appui de la Conférence épiscopale bolivienne, des milliers de «cocaleros» du Chaparé avaient à nouveau tenté d’arracher au régime Banzer une révision de la loi «coca zéro». En vain, Washington menaçant de revoir sa coopération.

La Bolivie serait aujourd’hui encore le troisième producteur mondial de cocaïne et Washington redoute une relance des cultures sous Morales. Ce dernier plaide au contraire que «fabriquer des produits à base de coca ne cause aucun mal parce que le coca n'est pas une drogue» en soi et que cela permet à ceux qui vivent de cette culture d’échapper aux narcotrafiquants. Pour preuve, Evo Morales évoque la commande d’un gâteau de coca que Fidel Castro lui aurait faite pour son anniversaire, le 13 août prochain. Mais si la «coca libre» de l’octogénaire cubain et la mastication obstinée des deux millions de Boliviens ne parviennent pas à convaincre les Américains qu’il est possible de court-circuiter la juteuse filière cocaïne, Evo Morales peut aussi s’appuyer sur la recherche scientifique pour trouver de nouveaux débouchés.

Des chercheurs de l'Institut bolivien de biologie d'altitude (IBBA), du Centre national de la recherche scientifique et de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) français ont en effet étudié les effets sur la santé des populations andines de la consommation traditionnelle de l’Erythroxylum coca de l'Altiplano bolivien. «Les analyses de prélèvements sanguins des consommateurs réguliers ont révélé que la mastication conduit à l’ingestion d'une quantité de cocaïne non négligeable et susceptible d'être active dans l'organisme. Cette quantité est cependant bien inférieure à celle absorbée dans le cas d'une consommation illicite de cocaïne (crack, injection notamment», écrivent-ils, en relevant chez les usagers réguliers une plus grande endurance physique et une stimulation du système respiratoire.

Les chercheurs ont noté «une meilleure circulation sanguine»chez les chiqueurs de coca. Ils l’attribuent «à une action sur les catécholamines (médiateurs chimiques du système nerveux) et à une augmentation du nombre des globules rouges, qui favorisent une plus grande oxygénation des muscles». Ils concluent «que les bénéfices physiologiques tirés de la mastication de feuilles de coca contribuent à aider les populations andines à s'adapter à la vie en altitude et à endurer des conditions de travail rendues souvent très difficiles à ces hauteurs». Reste à trouver la recette marketing pour que la coca verte remplace la blanche.



par Monique  Mas

Article publié le 19/06/2006Dernière mise à jour le 19/06/2006 à TU

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