Bolivie
La nationalisation des hydrocarbures inquiète
(Photo: AFP)
Le Brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, l’Argentin Nestor Kirchner et le Vénézuélien Hugo Chavez discutent ce jeudi avec le président bolivien Morales. La rencontre a lieu à Puerto Iguazu, en Argentine. Elle intervient deux jours après l’annonce, par le président bolivien, de la nationalisation du secteur des hydrocarbures de son pays. On peut l’imaginer : le président vénézuélien vient certainement conseiller Evo Morales. Ce dernier semble suivre la trace d’Hugo Chavez en voulant, en nationalisant, faire rester au pays les bénéfices du gaz. En janvier dernier, au Venezuela, la loi a changé à l’égard des compagnies pétrolières étrangères. Leurs impôts ont augmenté de moitié. Evo Morales pourrait bien s’inspirer de ce système.
Pour leur part, les chefs d’Etat argentin et brésilien viennent à la réunion de Puerto Iguazu en demandeurs. Ils doivent défendre l’approvisionnement énergétique de leur pays et du même coup les intérêts de leurs compagnies pétrolières.
Les hydrocarbures représentent 15% du produit intérieur brut de la Bolivie. C’est surtout le gaz qui compte car le pays, avec ses réserves de plus de 1500 milliards de mètres cube, représente le deuxième gisement de toute l’Amérique du Sud. En revanche, la production de pétrole est faible avec 40 000 barils de pétrole produits chaque jour. Malgré ces atouts, la Bolivie reste le pays le plus pauvre de tout le continent.
Le président Morales a donné 6 mois aux 26 compagnies étrangères qui extraient le gaz bolivien pour renégocier leur contrat, sinon elles devront quitter le pays. La réunion de ce jeudi, aux confins du Brésil et de l’Argentine, devrait permettre aux pays consommateurs ou producteurs de gaz bolivien, de se faire une première idée des nouvelles conditions décidées par le gouvernement. Elles concerneront tout à la fois les bénéfices des compagnies étrangères et l’approvisionnement des pays voisins.
Le blues des compagnies étrangères
Entre la décision de nationaliser et la réunion à quatre chefs d’Etats, le président Morales a cherché à tempérer la portée de sa décision. Sur la chaîne internationale Telesur, basée à Caracas, le président bolivien a précisé que le décret n’entraînerait « aucune confiscation, ni expropriation des biens des entreprises pétrolières ». S’exprimant également sur la chaîne américaine CNN, Evo Morales a parlé de « décision souveraine », et a nié avoir été conseillé par le président vénézuélien.
Entre-temps, plusieurs compagnies pétrolières implantées en Bolivie ont fait part de leur inquiétude. La brésilienne Petrobras a même annoncé une suspension des investissements dans ce pays. Le président de la compagnie, Sergio Gabrielli a affirmé que son pays n’accepterait pas de modification des prix du gaz « hors des normes en vigueur dans le contrat ». Le Brésil importe aujourd’hui environ 30 millions de mètres cubes de gaz bolivien par jour, la moitié de sa consommation. Il était question d’accroître de 50% cet approvisionnement en augmentant les capacités du gazoduc reliant les deux pays. « Nous allons retirer cette proposition, ce qui veut dire qu’à partir de 2008, nous devrons disposer d’autres sources (d’approvisionnement) », a encore précisé le patron de Petrobras, l’une des entreprises étrangères les plus présentes en Bolivie.
Le président de Petrobas s’est également voulu rassurant pour les Brésiliens, affirmant que malgré la décision bolivienne, il n’y aurait pas de rupture dans l’approvisionnement en gaz. Sergio Gabrielli a également tenté de faire retomber la tension entre les deux pays, indiquant que cette question du gaz « ce n’est pas un problème entre le Brésil et la Bolivie mais entre Petrobas et YPFB (la compagnie pétrolière bolivienne) ». Le président Luiz Inacio Lula da Silva a pour sa part exclu une « crise Brésil-Bolivie ». Au moment de l’élection présidentielle, il avait soutenu Evo Morales.
José Luis Rodriguez Zapatero, le président espagnol, suivra certainement de près la réunion entre les quatre chefs d’Etat latino-américains. Lui aussi avait soutenu Evo Morales à l’occasion de la dernière élection. Mais l’une des plus grandes entreprises espagnoles, Repsol YPF, est, comme Petrobras, très présente en Bolivie. Depuis 1997, la compagnie espagnole a investi plus d’un milliard d’euros dans le pays. A travers sa filiale Andina, Repsol YPF contrôle plus du quart de la production de gaz bolivien. Après avoir jugé « inquiétante » l’annonce du président Morales, le groupe espagnol, s’est dit déterminé à « protéger » ses actifs. Les relations sont mauvaises entre le groupe espagnol et la Bolivie qui l’accuse de faire de la contrebande de pétrole.
La Bolivie n’est pas un gros fournisseur de la compagnie française Total. Cette dernière est tout de même en train de discuter avec La Paz « pour voir s’il est possible de continuer à exercer nos activités dans ce pays dans des conditions acceptables ». C’est ce qu’a déclaré un responsable de la compagnie pétrolière française. Il a rappelé que la Bolivie représente moins de 1% de la production du groupe français.
L’impact sur les cours mondiaux
Les experts estiment que la Bolivie, contrairement à l’Iran, ne représente pas un enjeu majeur sur le marché mondial de l’énergie. Ils estiment cependant que la décision spectaculaire du président Morales pourrait avoir un impact sur les cours. Partir ou rester : la question se posera assez vite pour les multinationales selon les retours sur investissement qu’elles pourront escompter une fois l’ampleur de la réforme connue.
Pour l’heure, ces compagnies spécialisées ont reçu le secours de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Elle estime que la nationalisation des hydrocarbures est « une voie dangereuse pour l’Amérique latine, qui effraie les investisseurs. Evo Morales sait qu’il a besoin de la capacité financière et technique des compagnies et ces dernières ont besoin du gaz bolivien. En conséquence, il y a une dépendance mutuelle », a déclaré le numéro deux de l’Agence William Ramsay. Il a demandé à la Bolivie de ne pas suivre l’exemple du Venezuela. « S’il n’y a pas d’équilibre entre les intérêts des compagnies et ceux du pays, le perdant, c’est finalement le pays », a-t-il affirmé. Selon ce spécialiste de l’énergie, la Bolivie se trompe si elle tente de réduire le rôle des compagnies à celui d’une simple prestation de service.
L’Europe a également manifesté son « inquiétude » tandis que les Etats-Unis restent dans une position plus attentiste. En tout cas, si les compagnies britanniques, américaines, brésiliennes ou encore espagnoles quittaient les champs gaziers boliviens, il est probable que des entreprises chinoises ou indiennes prendraient leur place. Les quatre chefs d’Etat l’auront certainement à l’esprit mais une chose est sûre : en juillet, il y a de nouvelles élections en Bolivie. Obtenir par exemple une augmentation du prix du gaz acheté par le Brésil représenterait un atout politique pour le président Morales. Car la richesse du gaz est un sujet de discussion dans le pays.
par Colette Thomas
Article publié le 04/05/2006 Dernière mise à jour le 04/05/2006 à 17:30 TU