Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Bolivie

Evo Morales face à ses engagements

«<em>Les cinq cents ans de résistance indienne n'ont pas été vains</em>» a déclaré Evo Morales.(Photo : AFP)
«Les cinq cents ans de résistance indienne n'ont pas été vains» a déclaré Evo Morales.
(Photo : AFP)
Evo Morales, l’ardent défenseur des paysans « cocaleros » et des laissés-pour-compte qui a remporté les présidentielles le 18 décembre dernier (54% des voix), a officiellement pris ses fonctions et prêté serment le 22 janvier. Son investiture s’est déroulée dans l’euphorie et la liesse populaire. Elle marque le virage à gauche de l’un des pays les plus pauvres d’Amérique Latine. L’heure est désormais venue de répondre politiquement aux attentes sociales d’une population, à 70% composée d’Amérindiens, qui classe la Bolivie comme étant un des pays les plus pauvres d’Amérique Latine. Sans perdre de temps, sitôt investi, le président réaffirme son intention de nationaliser les richesses du pays et de lutter contre les narco-traficants. Des défis très ambitieux.

C’est par dizaines de milliers que paysans, mineurs et déshérités se sont emparés de la rue pour fêter la victoire d’Evo Morales, reconnu comme un des leurs. Evo Morales, un planteur de coca qui, enfant, gardait les lamas et qui a quitté l’école à 12 ans, est aujourd’hui officiellement à la tête du pays pour s’être engagé à défendre et faire reconnaître les droits des Indiens : « Les 500 ans de résistance indienne n’ont pas été vains », a-t-il déclaré en dans son discours d’investiture. Que ce soit précisément un Indien qui accède à la magistrature suprême d’un Etat américain constitue un tournant. Les Boliviens espèrent que cette relève historique sera un facteur de stabilité dans le pays où des  mouvements de rue ont renversé les deux présidents précédents. La population y voit la victoire d’une lutte sur l’apartheid virtuel dont elle était victime. Elle est confiante dans les déclarations d’Evo Moralès qui veut « réconcilier la majorité indigène et pauvre avec l’élite d’origine européenne », et qui espère désormais une meilleure répartition des richesses au sein du pays.

Les Indiens espèrent recouvrer la liberté promise. Evo Morales a affirmé qu’il « était là pour changer [leur] histoire », proclamant la liberté « des peuples indigènes, aymaras, quechuas, guaranis, majoritaires à 62% en Bolivie, humiliés, méprisés et condamnés à l’extinction ». Regrettant que Fidel Castro, « ce sage grand-père » ne soit pas venu à son investiture, et rendant hommage à Simon Bolivar, à Che Guevara et au résistant anti-espagnol Tupak Katari, le nouveau président socialiste a rappelé qu'il y a 50 ans, « les indigènes ne pouvaient accéder aux principales places » de la cité coloniale de La Paz. Sans cravate ni costume, mais en tenue traditionnelle et au son des pututu (corne des Indiens Aymaras), c’est en présence de onze présidents d’Amérique Latine et d’Europe, et de plus de 500 invités venus d’une cinquantaine de pays, que Evo Moralès, a  prêté serment en larmes devant le Congrès à LaPaz puis remercié ses parents et la déesse Terre, la pachamama.

Oui à la coca, non à la cocaïne

A peine investi, le syndicaliste cocalero a proposé dimanche aux Etats-Unis une « alliance » entre les deux pays pour lutter contre le trafic de drogue, tout en prévenant Washington qu’il n’accepterait pas l’éradication de la production de la coca dont la culture fait partie d’une tradition andine :  « C’est une culture légale et millénaire, une plante aux vertus médicinales. Sa transformation en cocaïne est l’apanage des gringos » (Américains). A peine investi, il a également réitéré son projet de nationaliser « les ressources naturelles [qui] doivent appartenir au peuple ». La communauté indienne, qui s’estime spoliée des richesses de ses terres et qui reconnaît en son président un de ses frères de misère et d’oppression (« C’est un pauvre comme nous », déclaraient les Indiens dans la rue) place désormais de très forts espoirs dans cet engagement. Evo Morales va donc devoir maintenant redéfinir les contrats des sociétés multinationales qui exploitent le gaz en Bolivie, et lutter contre les politiques « néo-libérales du passé et le pillage des ressources naturelles ».

Restent les moyens qui seront mis en place pour mener à bien les projets. Porté au pouvoir par les Indiens majoritaires dans ce pays de quelque neuf millions d’habitants, le leader du Mouvement vers le socialisme (MAS) va devoir faire face à la mobilisation de l’élite économique du pays qui n’a pas voté, et des nantis qui craignent de perdre à leur tour des libertés avec un gouvernement susceptible de s’inspirer des modèles du Venezuela et de Cuba. Concernant la nationalisation des hydrocarbures, Evo Morales rassure : « Cela ne signifie pas exproprier, confisquer ou expulser les compagnies pétrolières. Nous serons associés, pas propriétaires. La récupération des investissements et le droit au profit, mais à un profit basé sur l'équilibre, sont garantis », a-t-il affirmé.

Evo Morales et Alvaro Garcia Linera, un tandem qui va être décisif

Mais il est trop tôt pour pouvoir mesurer comment Evo Morales va parvenir à tout concilier. « Aujourd’hui tous les Aymaras, Quechuas et Guaranis nous sommes présidents », a déclaré le président qui tient désormais les rênes du pays. Une partie de la population est cependant inquiète du manque de pratique politique du nouveau président face aux défis qui l’attendent dans un pays qui ne comptent pas moins d’une quarantaine de groupes ethniques : « Il y a de l’espoir mais aussi de l’incertitude, surtout dans un pays où il y a tant de différences », note un médecin .

L’investiture d’Evo Morales a été précédée de celle de son vice-président, Alvaro Garcia Linera, 43 ans, un brillant intellectuel, mathématicien, sociologue et ex-guérillero, qui passe pour être son éminence grise, et l’artisan de la future politique gouvernementale. C’est à lui que Evo Morales doit les voix de la gauche radicale et celles de la bourgeoisie de Santa Cruz (métropole économique) qui l’ont conduit au pouvoir. De l’entente des deux hommes va dépendre la bonne conduite des projets pendant toute la durée du mandat (5 ans). En attendant, message fort à l’intention de la population, les deux hommes ont promis de travailler ensemble, et les indemnités présidentielles ont été réduites de moitié à quelque 1 700 dollars par mois, une mesure populaire qui a fait grimper la cote du gouvernement à 70% d’opinions favorables.


par Dominique  Raizon

Article publié le 23/01/2006 Dernière mise à jour le 24/01/2006 à 11:16 TU

Audio

«Pour plus de 60% des Boliviens, d'origine indienne, Evo est simplement un des leurs.»

[23/01/2006]

«On va nous enlever toutes sortes de libertés»

[23/01/2006]

Cravate ou tradition?

«Porter un costume et une cravate cela revient à humilier ceux qui n'en portent pas.»

[23/01/2006]

Articles