Iran
Akbar Ganji : le prix de la liberté
(Photo : Darya Kianpour/RFI)
RFI : Depuis plusieurs années vous ne cessez de critiquer le régime iranien. Que lui reprochez-vous ?
Akbar Ganji : La République islamique d’Iran n’est pas un Etat démocratique. D’ailleurs les autorités ne le cachent pas car, pour elles, ce que nous appelons la démocratie n’est qu’un phénomène occidental. Le régime ne respecte pas les droits de l’homme bien que l’Iran soit signataire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le régime porte atteinte à la liberté d’opinion et d’expression. Alors c’est simple : ce régime n’est pas démocratique et ne respecte pas les libertés. C’est la principale raison de ma lutte contre ce régime.
RFI : Le système politique actuel peut-il évoluer ou faut-il changer de régime ?
A. G. : Je pense que le changement doit se faire dans la non-violence. Mais je pense aussi que la constitution de la République islamique n’offre pas la possibilité d’évoluer vers une vraie république démocratique. Alors on doit changer ce régime et le remplacer par un régime démocratique respectueux des libertés et les droits de l’homme. Et ce passage doit se faire sans brutalité. J’ai toujours défendu la thèse « pardonne mais n’oublie pas » et je pense que c’est la base de la démocratie. Si ce régime est capable d’établir une démocratie dans laquelle le peuple s’exprime librement et son opinion compte, personnellement je n’aurai plus de problème avec lui.
RFI : Pensez-vous que la société iranienne dispose du potentiel d’un tel changement ?
A. G. : Je pense que notre société a les conditions requises pour accéder à la démocratie. Aujourd’hui, environ 85% de la population sont lettrés, la classe moyenne est majoritaire et urbanisée, l’élite intellectuelle est très évoluée, les femmes sont de plus en plus émancipées et instruites. Mais, le problème en Iran -et dans d’autres pays islamiques de la région- est que le pouvoir politique dispose d’une rente pétrolière qui le dispense du soutien populaire. Le pétrole dans notre pays est un produit anti-démocratique. Cette ressource naturelle qui doit être la source du développement de notre société, n’est que la cause de son malheur. Dans les sociétés développées, les gens travaillent, paient des impôts et demandent des comptes aux gouvernements. C’est ce que l’on appelle un gouvernement démocratique et responsable devant le peuple. Ce n’est le cas de notre société où 85% du marché est dominé par le secteur public nourri par l’argent du pétrole. Dans une société où le secteur privé est libre, une bourgeoisie indépendante de l’Etat se développe et constitue un contre-pouvoir efficace. Pour résumer, je pense que la société iranienne dispose de la plupart des conditions préalables pour accéder à la démocratie. Restent deux problèmes majeurs : l’opposition démocratique n’est pas organisée. Elle est multiple et dispersée et aucune force n’est prête à se rallier à une autre, ce qui entraîne le deuxième problème qui est le manque de leadership politique.
RFI : Quels sont selon vous les courants et forces politiques susceptibles de former ce mouvement démocratique ?
A. G. : Ce que je souhaite c’est la formation d’un mouvement pacifiste, partisan de la paix, de l’écologie, de la démilitarisation internationale, militant de la non-violence. Toute personne attachée à la démocratie, à la liberté et aux droits de l’homme peut se rallier à ce mouvement, quelle que soit son idéologie ou son appartenance politique. Je suis républicain et donc partisan de l’égalité des droits et contre les privilèges et prérogatives accordés par héritage. Mais je reconnais que la décision finale quant à la forme du régime revient au peuple iranien. C’est lui seul qui doit décider de son sort.
RFI : Quelle est la situation actuelle des intellectuels en Iran ?
A. G. : Le mouvement intellectuel est unanime pour dire que la démocratie est la seule solution. Mais malheureusement il n’est pas prêt à en payer le prix. Dans les Etats non démocratiques le prix à payer pour exprimer ses opinions est très élevé. Le régime vous accuse d’espionnage, de corruption, de relations extraconjugales. On vous emprisonne, torture et calomnie. On vous licencie, vous humilie, vous injurie et vous rabaisse. On interdit à votre enfant faire des études. Il faut beaucoup de courage, d’endurance, de fermeté. Pourtant je pense que si les intellectuels ont au plus profond d’eux-mêmes le désir de voir régner la démocratie chez eux, ils doivent être prêts à supporter toutes ces épreuves.
RFI : Le programme nucléaire iranien est actuellement à l’origine d’une crise entre l’Iran et la communauté internationale. Quel est le regard de la société sur ce sujet ?
A. G. : D’abord, contrairement à ce que le régime prétend, il n’y a aucun consensus sur ce sujet, ni au sein du pouvoir politique ni dans la société. Au sein du pouvoir les réformateurs sont absolument contre la politique du gouvernement. Ils ont même écrit une lettre au guide [Ali Khamenei] pour lui dire que la politique nucléaire actuelle est très dangereuse pour le pays et qu’il sera tenu comme personnellement responsable de toutes ses conséquences néfastes. Hachémi Rafsanjani, dans une réunion en présence du guide, a demandé l’arrêt de l’enrichissement de l’uranium par l’Iran en estimant que la poursuite de cette politique constituait un danger pour le régime. Parmi les conservateurs aussi il y a beaucoup de différends sur le sujet. Ce que vous entendez actuellement comme la ligne officielle n’est que le point de vue du guide exprimé par le président [Mahmoud Ahmadinejad]. En ce qui concerne la société : l’élite est en désaccord avec la position officielle, et parmi la population le nucléaire est devenu un sujet de farce et de plaisanterie. 90% des SMS échangés entre les gens sont des blagues sur le nucléaire.
RFI : Et qu’en pensez-vous ?
A. G. : A mon avis, il faut distinguer le droit et le realpolitik. En tant qu’Iranien je dis si Israël, la Chine, l’Inde, le Pakistan, les Etats-Unis et d’autres ont le droit d’avoir le nucléaire militaire, l’Iran aussi doit avoir ce droit. Si l’Iran n’a pas ce droit les autres non plus ne doivent pas l’avoir. Ceci dit, comme le régime iranien n’est pas un régime démocratique et ne procède pas dans la transparence, la possession du nucléaire peut être dangereuse et donc ce régime ne doit pas avoir le droit au nucléaire. La communauté internationale est unanime contre l’enrichissement d’uranium par l’Iran. Si l’Iran était un Etat démocratique il n’y aurait aucun problème à accéder à la technologie nucléaire. Je suis contre le régime mais je ne veux pas voir mon pays souffrir. Alors notre slogan doit être: « démilitarisation de tous les pays ». En tout cas, je pense que sur la question nucléaire l’Iran doit négocier directement avec les Etats-Unis en toute transparence.
RFI : Des négociations directes avec les Etats-Unis ne renforceraient-elles pas le régime ?
A. G. : Il faut que les Occidentaux soient fermes et que dans chaque négociation ils mettent sur la table le problème des droits de l’homme. La communauté internationale ne doit pas sacrifier les droits de l’homme en Iran pour ses intérêts économiques. Si les Occidentaux agissent dans ce sens cela peut être très bénéfique pour notre cause.
RFI : Avez-vous peur de retourner en Iran ?
A. G. : Je ne sais pas si « peur » est le mot juste. Il est fort possible qu’à mon retour je sois de nouveau emprisonné. Je pense que c’est injuste, anti-démocratique, et constitue un acte totalitaire mais c’est le prix à payer pour notre liberté et je suis déterminé à le payer.Propos recueillis par Darya Kianpour
Article publié le 27/06/2006Dernière mise à jour le 27/06/2006 à TU