Union africaine
Conflits et crimes de guerre
Photo: Laurent Correau/RFI
Convoqué les 1er et 2 juillet dans la capitale gambienne, Banjul, le septième sommet ordinaire de l’Union africaine (UA) s’est choisi pour thème directeur la «rationalisation des communautés économiques régionales et l’intégration régionale», un double objectif hypothéqué par des conflits saute-frontières en voie d’expansion ou dont le résolution reste incertaine. Sous pression internationale, l’UA devrait aussi trancher le sort judiciaire du président tchadien déchu, Hissène Habré, poursuivi pour crimes de guerre et contre l’humanité. Pour le reste, c’est toujours de Côte d’Ivoire, de Soudan et encore de Tchad, mais aussi, pour la première fois depuis longtemps, de Somalie que les chefs d’Etats vont débattre.
Le centre de conférence flambant neuf dévolu au sommet a été érigé par une entreprise libyenne au cœur d’un complexe hôtelier cinq étoiles encore inachevé. Il est situé à proximité des cinquante-deux luxueuses villas présidentielles bâties en six mois par une société privée gambienne, à Brufut, à une vingtaine de kilomètres de la capitale gambienne. Après le sommet, le village présidentiel sera revendu à la découpe. L’entreprise privée qui a construit les maisons pour 5,5 millions de dollars escompte un retour sur investissement convenable. Pour sa part, le président gambien Yahya Jammeh a mis à contribution la population et les corps d’Etat pour le grand nettoyage. La petite Gambie s’est mise en frais pour se donner un peu de lustre panafricain avant la rencontre des ministres des Affaires étrangères de l’UA, mercredi et jeudi.
Mardi, à l’issue d’une réunion du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l'UA, la ministre des Affaires étrangères sud-africaine, Ncosazana Dhlamini Zuma, a donné le ton qui présidera au traitement des conflits en cours. A défaut de pouvoir trancher la querelle qui oppose deux de ses membres, le Tchad et le Soudan, l’institution panafricaine «encouragera les deux parties à travailler ensemble, à coopérer et à se rencontrer au plus haut niveau pour faire baisser la tension». Le chef de la Jamahiriya libyenne, Muammar Kadhafi sera d’ailleurs à Banjul pour s’offrir une fois de plus comme médiateur avant que son pair tchadien, Idriss Deby, saisisse le Conseil de sécurité des Nations unies comme il ne cesse d’en menacer Khartoum. En effet, loin de s’être refermé avec la défaite de l’offensive rebelle sur N’Djamena en avril dernier, le conflit gangrène déjà gravement la Centrafrique frontalière. Il trace aussi une ligne de front au sein de l’UA, entre les Etats qui sont également membres de la Ligue arabe et les autres.
Le Darfour, un goufre financier
L’UA reste partagée sur la question du Darfour où, le 19 juin dernier, le président soudanais Omar al-Béchir a, une fois de plus, solennellement juré de faire la guerre aux casques bleus au cas où une force onusienne viendrait à remplacer les quelque 7 000 soldats nigérians et rwandais de la force africaine sur place depuis deux ans. Président en exercice de la Ligue arabe, Omar al-Béchir a en effet obtenu qu’elle rejette avec lui toute idée de déploiement onusien au Darfour. Cette décision engage aussi les autres Etats africains membres de la Ligue arabe (Algérie, Comores, Djibouti, Egypte, Libye, Mauritanie, Somalie). Mais en même temps, il s’agit pour tous de ne pas se risquer à une opposition frontale entre UA et ONU.
«Quoi qu'il arrive, le mandat de l’UA s'achève le 31 septembre, à moins qu'il n'y ait d'autres développements (...) dans le cadre des discussions entre le Soudan et les Nations unies», explique la diplomate sud-africaine en rappelant que l’organisation panafricaine manque «des fonds nécessaires pour continuer au-delà de cette date à moins d'un nouvel évènement qui signifierait un soutien de l'Onu». Pour tirer du jeu diplomatique l’épingle d’une UA fort embarrassée, Ncosazana Zuma table visiblement sur l’obstination du Soudan et sur la répugnance des bailleurs de fonds à délier leur bourse. A charge pour l’ONU de trouver une solution puisque c’est elle qui avait prévu que l’UA lui passerait la patate chaude soudanaise début 2007. A charge aussi pour Khartoum de répéter que les forces soudanaises n’ont besoin de personne pour assurer la sécurité du Darfour. A moins qu’Omar al-Béchir tienne absolument à la présidence tournante de l’UA. Son tour a déjà été reporté à deux reprises. Mais il l’a emporté à la Ligue arabe et ses arguments pétroliers lui laissent de la marge dans les marchandages diplomatiques.
En attendant, l’UA va devoir s’organiser pour tenir au Darfour. Un appel de fonds international est prévu en juillet pour financer les six mois restant. Banjul se doit aussi d’accommoder le litige tchado-soudanais à la sauce panafricaine, sans oublier ses métastases en Centrafrique. Mais depuis début juin, les chefs d’Etats africains ne peuvent plus non plus faire l’impasse sur la guerre civile en Somalie. Elle se rappelle à eux et au monde avec la victoire inattendue des tribunaux islamiques à Mogadiscio et sur une partie grandissante du pays. Et cela alors que les institutions de transition forgées à grande peine par la communauté internationale ne sont jamais parvenues à imposer leur autorité depuis leur avènement en 2004.
La Somalie, un bourbier
«Nous avons renforcé notre dispositif défensif tout au long de la frontière pour éviter tout problème pour notre sécurité qui pourrait émaner du jihadisme résurgent de Mogadiscio», annonçait mardi le Premier ministre éthiopien, Meles Zenawi. Il craint la contagion islamiste dans la misérable province somali de l’Ogaden, dans le sud-est éthiopien. C’était déjà un casus belli en 1978 sous Siad Barre qui la revendiquait somalienne. Au passage, Meles Zenawi saisit l’occasion pour relancer ses foudres à l’encontre de l’Erythrée. Il l’accuse d’avoir fourni des armes aux «tribunaux islamiques dominés par Al-Ittihad al-Islamiya qui a participé à des attentats terroristes ici dans la capitale», Addis-Abeba. Au total, c’est un conflit majeur d’ampleur régionale que l’UA doit s’efforcer de désamorcer dans la Corne africaine. Elle n’en a pas vraiment l’autorité diplomatique et encore moins l’envergure militaire.
Face à la résurgence explosive du conflit somalien sur la scène africaine, l’UA a tout d’abord imaginé l’envoi d’une mission exploratoire pour examiner la faisabilité d’une opération de «soutien à la paix». Celle-ci aurait été montée au profit des institutions de transition mises en place par l’Autorité intergouvernementale pour le développement (Igad), qui réunit Djibouti, l’Erythrée, l’Ethiopie, le Kenya, le Soudan, l’Ouganda et le gouvernement de transition somalien. Mais ce projet est resté dans les cartons tant le bourbier somalien effraie les Africains, comme les Occidentaux. Du reste, l’UA est déjà en flux militaire tendu au Soudan.
Le commissaire pour la Paix et la Sécurité de l'UA, Saïd Djinnit persiste à défendre l’idée d’une intervention militaire est-africaine. Mais en préalable à l’envoi de troupes, il s’agit désormais d’obtenir de l’Onu, sinon la levée, du moins l’assouplissement de l'embargo sur les armes qui frappe la Somalie depuis 1992. Cet embargo a été constamment violé par les trafiquants de tous poils. Mais en se plaçant sur une ligne légaliste, l’UA gagne du temps. Elle espère surtout que les tribunaux islamiques et le gouvernement de transition somalien se verront le 25 juillet prochain comme ils ont promis de le faire à Khartoum, le 22 juin dernier.
L'affaire Habré, une question épineuse
En janvier, à Khartoum, le sommet panafricain avait renvoyé au sommet de Banjul toute décision sur le sort de l’ex-président tchadien, Hissène Habré, dont la Belgique réclame avec insistance l'extradition du Sénégal, pour crimes contre l'humanité. Un comité composé de juristes africains dont les noms sont tenus secrets avait été chargé d’examiner «les options disponibles» pour juger l'ancien président, en Afrique ou ailleurs. En mai dernier, le Comité de l'Onu contre la torture a sommé Dakar d’extrader Hissène Habré puisque la justice sénégalaise s’est déclarée incompétente. Précédent historique, l’extradition au Pays-Bas de l’ex-président du Liberia, Charles Taylor, ne fait pas consensus en Afrique. L’affaire Habré non plus. Au delà de la question de la localisation du tribunal ad hoc et de celle de l’impunité, c’est la remise en cause de l’immunité présidentielle qui fait débat.
En matière de droits de l’homme, Banjul n’est pas un parangon de justice. L’UA non plus n’est pas un cercle vertueux. Avec l’affaire Habré comme cas d’école, l’UA ne manque pas de raisons de temporiser. Au chapitre des congratulations, l’organisation panafricaine ne manquera pas en revanche de se féliciter de la marche des Congolais et des Ivoiriens vers des élections cruciales pour leurs sous-régions respectives. L’UA devra quand même mettre un bémol, ne serait-ce que pour déplorer la mauvaise ambiance pré-électorale du Congo-Kinshasa et les «retards techniques» en Côte d’Ivoire.
Le président de la Commission de l’UA, Alpha Oumar Konaré, demande à ses pairs d’adopter une position commune sur «la situation des nombreux jeunes africains qui prennent d'assaut les côtes européennes», via l’archipel espagnol des Canaries notamment. En effet, Rabat (Maroc) doit accueillir les 10 et 11 juin prochain une rencontre Afrique-Union européenne chargée de concocter un «Plan d'action pour endiguer l'immigration clandestine». Le ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, est déjà dans les coulisses de Banjul.
par Monique Mas
Article publié le 29/06/2006Dernière mise à jour le 29/06/2006 à TU