Pétrole
BP broie du noir
(Photo : AFP)
Huit cents litres de pétrole se sont déversés dans le milieu naturel de l’Alaska en raison d’une fuite sur un oléoduc provoquée par un problème de corrosion. Comparé au contenu d’un camion citerne, ce volume de pétrole est dérisoire car un camion de livraison transporte de 20 à 30 000 litres de gazole. La pollution a donc été minime. Pourtant Bob Malone, le PDG de British Petroleum aux Etats-Unis, a aussitôt décidé de fermer le champ pétrolier de Prudhoe Bay dans sa totalité. Le patron de l’antenne américaine du groupe britannique s’est également excusé de l’impact sur l’environnement et des conséquences que cet arrêt de la production aura sur l’économie de l’Alaska et sur le reste des Etats-Unis. Dans le même temps Steve Marshall, le responsable de l’exploration dans le grand Nord américain pour BP, a précisé que «près de la moitié [de la pollution] a été nettoyée et nous avons pris la décision de tout fermer».
Pour des raisons de sécurité et pour vérifier tous les conduits de transport, la direction de la multinationale n’y est donc pas allé par quatre chemins et a décidé la «fermeture complète» des installations de Prudhoe Bay. Leur inspection devrait prendre «une période allant de trois à cinq jours pour s’assurer que ce soit fait [inspection et réparation] en toute sécurité». « Nous ne voulons pas nous engager sur une date », a encore indiqué Bob Malone.
La fermeture du champ provoque une envolée des prix
La décision prise par l’antenne américaine de BP de fermer l’exploitation de son champ pétrolier en Alaska prive le marché mondial de 400 000 barils de pétrole par jour. Cette production est essentiellement destinée aux Américains, notamment à l’économie et aux villes de la côte Ouest, géographiquement la plus proche. Pour éviter toute interruption dans l’approvisionnement, le ministère américain de l’Energie a pris les devants et a annoncé qu’il «examinerait sérieusement toute demande» des raffineries qui souhaiteraient puiser dans les réserves stratégiques qui s’élèvent actuellement à 688 millions de barils. Ces propos rassurants n’ont pas apaisé le marché. Lundi, les cours du baril se sont envolés, aussi bien à New York qu’à Londres. Dans la capitale britannique, le prix a atteint le record historique de 78,64 dollars, niveau jamais atteint depuis le début de la cotation à cette bourse en 1988.
Le marché pétrolier a cependant bien réagi à la décision de BP de remplacer les trois-quarts du tuyau rouillé plutôt que de le réparer comme les techniciens l’avaient envisagé au départ. «BP a choisi l’option raisonnable», a estimé Robert Laughlin, opérateur dans une maison de courtage londonienne. «C’est pourquoi nous sommes d’avis que, même si cela va quand même prendre des mois, il [l’oléoduc] pourra, en fait, être remis en état de marche», en a déduit le courtier.
L’arrêt des activités sur le champ de Prudhoe Bay, qui représente à lui seul 8% de la production américaine, intervient dans un contexte mondial tendu. La production du Nigeria est amputée des deux tiers en raison d’une situation politique instable dans la zone pétrolière. Et le marché est inquiet de la situation au Liban et des conséquences possibles de ce conflit sur l’Iran. A lui seul, ce pays du Moyen-Orient produit 2,5 millions de barils par jour, à comparer avec les 400 000 de Prudhoe Bay.
Un incident qui n’est pas le premier
Si BP a décidé d’employer les grands moyens et d’interrompre sa production en Alaska, c’est parce que cette nouvelle fuite, certes bénigne, intervient quelques mois après de précédents incidents du même genre. En mars, une pollution plus importante avait déjà été provoquée par des problèmes de corrosion. BP est convoquée par la justice pour s’expliquer sur cet accident. Au moins 760 000 litres de pétrole s’étaient déversés dans la toundra. Des conditions météo difficiles avaient compliqué le colmatage de la fuite et le nettoyage du milieu naturel. A l’époque, les responsables de l’exploration avaient reconnu avoir sous-estimé ce problème de corrosion. Depuis, l’Agence américaine de surveillance des installations pétrolières a imposé à BP de vérifier l’état de ses oléoducs. L’incident de mars avait été suivi d’un autre, en juillet. La multinationale avait alors annoncé la fermeture de 12 de ses 35 puits de forage en Alaska.
C’est une série noire pour la filiale américaine de BP. En mars 2005, une explosion dans l’une de ses raffineries, au Texas, avait provoqué la mort de 15 employés. L’antenne américaine de la compagnie britannique est également soupçonnée de malversations sur le marché du gaz propane. De plus, au moment où toutes les compagnies pétrolières font des bénéfices record grâce à l’envolée des cours, ces négligences concernant la sécurité des installations de Prudhoe Bay passent mal : lundi, le titre BP a perdu 2,88% de sa valeur.
L’exploitation des hydrocarbures en Alaska est depuis longtemps très discutée par la classe politique américaine. Certains politiciens voudraient que cette région, située de part et d’autre du cercle polaire, soit protégée et qu’il n’y ait plus de nouveaux forages. L’administration Bush a un projet à l’intérieur de la réserve nationale de l’Arctique. Il est régulièrement bloqué par une partie des sénateurs.
Il faut dire que l’exploitation des hydrocarbures dans cette zone froide a posé des problèmes techniques que les ingénieurs n’avaient jamais eu à résoudre auparavant. Gel du sol à grande profondeur pendant une bonne partie de l’année, boue au printemps, les pétroliers ont appris à travailler dans des conditions extrêmes. La catastrophe de l’Exxon Valdès, en 1989, dans la région d’Anchorage, avait considérablement durci la législation anti-marée noire. Et cet accident, le premier du genre aux Etats-Unis, semble avoir durablement sensibilisé l’opinion publique américaine à la fragilité de l’Alaska.
par Colette Thomas
Article publié le 08/08/2006Dernière mise à jour le 08/08/2006 à TU