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Turquie

La rébellion kurde, entre «Faucons» et appels à la paix

Portrait d'Abdullah Öcalan et drapeau de la rébellion kurde lors des célébrations du Newroz à Istanbul. Le chef du PKK, emprisonné à vie, reste une icône pour une population qui se sent toujours marginalisée. 

		(Photo : Jérôme Bastion/RFI)
Portrait d'Abdullah Öcalan et drapeau de la rébellion kurde lors des célébrations du Newroz à Istanbul. Le chef du PKK, emprisonné à vie, reste une icône pour une population qui se sent toujours marginalisée.
(Photo : Jérôme Bastion/RFI)
Quelques jours après les attentats de Marmaris et Antalya (3 morts, une centaine de blessés dont 25 touristes étrangers), revendiqués par les Faucons de la Liberté du Kurdistan, la rébellion kurde propose un cessez-le-feu «conditionnel» à Ankara. Un double langage qui illustre les divisions et la fragilisation, voire le désarroi, du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK).

De notre correspondant à Istanbul

«Au moment où est lancé un appel à la fin des opérations (militaires) à l’occasion du 1er septembre, journée mondiale de la Paix, une opération de vaste envergure a été lancée à Dersim (nom kurde de Tunceli, est de la Turquie). Dans le cadre de cette opération, un (combattant) des HPG [«Forces de défense populaire», en kurde] a été tué». La dépêche de l’agence Firat, proche de la rébellion kurde, a de quoi surprendre, au moment où une série d’attentats vient d’ensanglanter le sud de la Turquie. Ce qui surprend moins, en revanche, c’est que les autorités turques aient totalement ignoré, comme par le passé, l’offre de cessez-le-feu faite par le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) une semaine plus tôt.

Cessez-le-feu «réciproque»

Une offre de cessez-le-feu «réciproque» réitérée vendredi par Murat Karayilan, président du KKK, instance politique suprême du parti, depuis le Mont Kandil (nord de l’Irak), où est retranchée la direction de la rébellion. «Si les conditions sont réunies, nous sommes prêts à entamer un processus de démilitarisation de la question kurde. Pour cela, il faut que l’autre partie donne un message positif et apaise un peu l’atmosphère», cite l’agence Firat. Mais lors de sa prise de fonction lundi, le nouveau chef d’état-major Yasar Büyükanit prévenait que «ceux qui croient que la République turque ne parviendra pas à en finir avec le terrorisme (…), qu’ils soient armés ou pas, n’atteindront jamais leur but» ; des déclarations «visant à saborder le processus», selon un communiqué du KKK daté de mardi - même s’il ne fait aucun doute qu’il était condamné par avance.

Enfonçant un peu plus le clou, le patron de l’Armée turque n’a pas manqué de vilipender les «hors-la-loi» qui avaient commis les attentats «ignobles et insensés» du week-end, souhaitant qu’ils «se noient dans leur répugnant bourbier». Presque au même moment, tombait la revendication des Faucons de la Liberté du Kurdistan (TAK) pour les bombes de Marmaris, simultanément à l’explosion criminelle d’Antalya, elle-même revendiquée plus tard par la même organisation. Pour ajouter à la confusion, le Kongra-Gel (Congrès du Peuple du Kurdistan) publiait à son tour dans l’après-midi une condamnation de ces attentats commis, selon lui, par des «groupes marginaux», et présentait ses condoléances aux familles des victimes et ses vœux de prompt rétablissement aux blessés. Difficile de comprendre qui parle, qui agit au nom de qui, et qui contrôle qui.

Décapité, divisé et désorganisé

Pour Ankara, toutes ces appellations sont le paravent d’un seul et même ennemi, l’organisation «séparatiste» et «terroriste» du PKK –même si depuis longtemps la revendication sécessionniste a disparu des revendications de la rébellion. C’est certainement moins simple que cela, notamment en ce qui concerne les Faucons de la Liberté du Kurdistan apparus en 2004 ; mais il est aussi certain que, derrière la cause commune à ces différentes structures, la multiplication des appellations révèle un éclatement du PKK «historique», qui ne parle plus d’une seule voix. Sinon, comment comprendre que le Kongra-Gel condamne l’attentat d’une fraction de la rébellion kurde (les TAK), normalement chapeautée et même sévèrement encadrée – selon les méthodes staliniennes – par le PKK, sans que jamais le PKK ne fasse mention des TAK et réciproquement ?

Seule référence commune (hormis la lutte contre «l’oppression du peuple kurde») : le leader historique Abdullah Öcalan, «Apo», dont la punition à 20 jours dans une cellule de confinement, sur l’île-prison d’Imrali (mer de Marmara) où il purge une peine d’emprisonnement à perpétuité, a été dénoncée par la direction du PKK et utilisée comme prétexte aux attentats contre les sites touristiques. Arrêté spectaculairement au Kenya le 15 février 1999, condamné à la peine de mort (commuée par la suite) le 30 juin de la même année, c’est sa «neutralisation» –il continue de donner des directives à ses lieutenants– qui a entraîné la désorganisation du mouvement rebelle.

Proclamant le dépôt des armes et le retrait du territoire turc de ses troupes le 1er septembre 1999, le PKK se rebaptise Kadek (Parti pour la Liberté et la Démocratie au Kurdistan) en avril 2002, puis Kongra-Gel en novembre 2003. Il reprend son nom de PKK en 2004 pour relancer la lutte armée, en même temps qu’apparaît le nom des Faucons de la Liberté du Kurdistan, spécialisés dans les attentats contre des cibles civiles et touristiques. Mais jamais le nom des TAK n’apparaît dans les décisions de l’organe supérieur de la rébellion, au point que l’on se demande si ce groupe, dont les services de renseignement turcs ne connaissent ni la structure, ni les responsables opérationnels, est vraiment instrumentalisé par ce qui reste du PKK. A l’image du frère d’ «Apo» et son ancien bras droit, Osman Öcalan, entré en dissidence et condamné à mort par le KKK après qu’il ait fondé le YDK (Union Démocratique du Peuple Kurde), l’apparition des TAK trahit l’éclatement d’un mouvement rebelle décapité et à cours de stratégie, déchiré entre un canal «traditionnel» qui joue sa survie en cherchant (une dernière fois ?) à prendre langue avec Ankara pour des négociations politiques, et une branche terroriste «ultra», difficile à cerner et sans doute incontrôlable.

par Jérôme  Bastion

Article publié le 02/09/2006 Dernière mise à jour le 02/09/2006 à 11:59 TU