Territoires palestiniens
Blog-notes de Ramallah (1)
Jeudi 31 août
Y aura-t-il une rentrée en septembre ?
Pas d’école en septembre. C’est la menace que font peser les profs palestiniens qui ne reçoivent plus de salaires depuis maintenant sept mois. Ils ont lancé un appel à la grève à partir du 2 septembre, jour de la rentrée des classes. Pour des Palestiniens qui ont érigé l’éducation de leurs enfants en valeur suprême (les Territoires palestiniens ont l’un des taux d’alphabétisation les plus élevés du monde arabe), l’affaire fait grand bruit.
D’autant que les enseignants ne sont pas seuls. Quelque 160 000 fonctionnaires palestiniens ont vu leurs salaires coupés depuis la victoire du Hamas aux élections de janvier dernier et la suspension en retour de l’aide internationale qui permettait à l’Autorité palestinienne de fonctionner.
Sept mois sans salaire ! Hussein, fonctionnaire au ministère des finances, m’expliquait que pour continuer à faire bouillir la marmite, il avait, comme tous les autres, cessé de payer loyer, factures et remboursements de crédits, que son ardoise chez l’épicier s’allongeait et qu’il empruntait de l’argent à droite et à gauche. Mais ça ne peut sans doute pas durer.
Ces dernières semaines, les manifestations de fonctionnaires se multiplient, accentuant la pression sur un gouvernement Hamas dans l’incapacité de gouverner. Une agitation à laquelle le Fatah, qui n’a toujours pas digéré sa défaite et qui compte de nombreux soutiens parmi les fonctionnaires, n’est sans doute pas étranger.
L’Autorité palestinienne a besoin de 900 millions de dollars par an pour fonctionner. Ce qui fait dire à un Ilan Halévy, ancien conseiller de Yasser Arafat : « La Palestine, c’est pas cher: 900 millions ? Le fils Hariri pourrait se la payer !»
Lundi 28 août
Paquet suspect
(Photo: Karim Lebhour/RFI)
15h30, à la gare centrale de Jérusalem, près du marché de Mehane Yehuda, cible de nombreux attentats. Des voitures de police arrivent en trombe et dégagent la rue sans ménagement. Un sac «suspect» vient d’être repéré sous un abribus. Décidemment, je n’arriverai jamais à être à l’heure à un rendez-vous. En quelques minutes, les équipes de déminage sont sur place. Un vieux monsieur avec un fort accent américain m’assure que c’est sans aucun doute une fausse alerte, mais qu’en Israël «on ne sait jamais». En effet, la police israélienne a récemment dit avoir arrêté six porteurs de bombes ces trois dernières semaines. Ce sac-là, lui, a plutôt l’air d’un vulgaire sac plastique. L’artificier doit s’en apercevoir et il prend visiblement moins de précautions. Mais bon, c’est la procédure et il accroche quand même un câble pour pouvoir soulever le sac à distance. La rue est finalement rouverte. L’affaire n’a pas duré plus de dix minutes. Personne ne prend la peine de ramasser le sac qui reste là. Jusqu’à la prochaine alerte ?
Les emmurés
Vendredi 25 août
(Photo : Karim Lebhour/RFI)
A Ram, personne ne sait exactement ce qui va se passer pour ceux qui sont désormais coupés de Jérusalem. Cette section du mur sépare littéralement cette banlieue de Jérusalem 100% arabe en deux. Ceux qui habitent d’un côté de la rue font partie de Jérusalem-Est. Les autres sont maintenant en Cisjordanie et risquent de perdre leur statut de «résident de Jérusalem», pour celui bien moins enviable de «Palestiniens des Territoires». Déjà, pour aller travailler, aller à l’école ou voir des amis de l’autre côté du mur, c'est-à-dire de l’autre côté de la rue, les habitants de Ram doivent faire un détour de plusieurs kilomètres par le point de passage de Qalandia, qui va très vite devenir l’un des seuls points d’entrée vers les Territoires palestiniens.
Le Mur, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, n’est plus vraiment dans l’actualité aujourd’hui. Pourtant, ces quelques mètres de béton posés hier ont infiniment plus de conséquences sur la vie quotidienne des Palestiniens que les atermoiements pour former un gouvernement d’union nationale entre le Fatah et le Hamas, et les ballets diplomatiques à Jérusalem.Dimanche 20 août
«El tariq saab al yom !»
Ce n’est pas une excuse, mais ce matin j’avais quelques raisons d’être en retard à mon rendez-vous à Bethléem. La route réservée aux Palestiniens qui va de Ramallah à Bethléem est une route étroite et dangereuse qui passe à travers les paysages superbes de la vallée du Wadi Nar. En temps normal, le trajet prend un peu plus d’une heure. Dans le taxi collectif (sept personnes), je croise Hicham, un journaliste de l’AFP à Ramallah. Comme je m’étonne qu’il n’a pas pris sa propre voiture, il me lance un regard incrédule : «Mais je ne peux pas !». Les Palestiniens n’ont pas le droit de circuler en voiture dans les Territoires en dehors de leur «zone» (Bethléem, Ramallah, Naplouse…), délimitée par des checks-points qui coupent la Cisjordanie en plusieurs tronçons. Ils doivent prendre un taxi ou un bus. Je savais évidemment que les Palestiniens des Territoires ne peuvent pas aller à Jérusalem ou en Israël, mais j’ignorais qu’il fallait une autorisation israélienne pour se rendre en voiture d’une ville palestinienne à l’autre.
En passant dans un village, la route est coupée par une jeep israélienne. Un soldat, arme au poing, se tient en faction. On croit à un check-point volant et on attend un signe. Le soldat ne bouge pas. Après de longues minutes, les autres passagers me désignent pour aller parlementer. Je sors en brandissant mon passeport et mon meilleur anglais. Le soldat me laisse approcher et me conseille de faire demi-tour. La route est bloquée, c’est tout. Il n’y a rien à dire de plus. J’ai le temps d’apercevoir trois hommes qui sortent d’une maison en caleçon, les mains sur la tête, encadrés par des soldats. Nous faisons demi-tour pour contourner le village. Je repense à cette arrestation et je me dis que ceux-là iront peut-être rejoindre les quelques milliers de Palestiniens emprisonnés en Israël, parfois depuis plusieurs années, au titre de la «détention administrative», c’est-à-dire sans charge précise retenue contre eux. Quelques kilomètres plus loin, c’est une procession de plusieurs centaines d’hommes, drapeau noir du Djihad islamique en tête, qui nous arrête. Renseignements pris, un missile israélien a tué ce matin deux militants recherchés du Djihad islamique qui vivaient dans une grotte, à deux pas d’ici, et les hommes du coin affluent sur les lieux provoquant une cohue de véhicules. Encore un autre check-point, fixe celui-ci, et j’arrive finalement à Bethléem avec une bonne heure de retard. Les gens qui m’attendent s’en étonnent. Je me contente de répéter une formule tant de fois entendue, censée résumer toutes les difficultés pour se déplacer dans les Territoires palestiniens: «El tariq saab al yom !» (la route est difficile aujourd’hui).Vendredi 18 août
Nasrallah, super-héros
Photo : Karim Lebhour/RFI
Oubliez Batman et Superman. Dans le monde arabe, le super-héros s’appelle Hassan Nasrallah. Grâce à ses superpouvoirs, il a tenu tête pendant plus d’un mois à l’armée israélienne, il porte une cape et un turban noirs et on ne serait pas étonné d’apprendre qu’il lance des éclairs avec ses doigts. A Ramallah en tous cas, le chef du Hezbollah libanais a rejoint le panthéon des héros de la «rue arabe». Dans son échoppe de portraits, Walid, dessinateur, a ajouté celui de Hassan Nasrallah à côté de Yasser Arafat, Nasser et Che Guevara. Il assure en avoir vendu plus de 1 000 en une seule journée, lors de la dernière manifestation en soutien au Liban. Pour 15 shekels (environ 3 €) on peut aussi se procurer le drapeau jaune du Hezbollah et pourquoi pas, la chanson L’aigle du Liban, le tube de l’été, en hommage à Nasrallah, que l’on entend un peu partout.
«C’est une mode. Les Palestiniens sont prêts à soutenir n’importe qui résiste à Israël» assure un journaliste peu convaincu que les Palestiniens partagent réellement les objectifs et les valeurs de la milice chiite. Il n’empêche, Hassan Nasrallah apparaît comme un symbole de résistance et comme l’antithèse des dirigeants arabes. «Le Hezbollah fait ce qu’il dit» est une phrase souvent entendue. La promesse de Nasrallah de payer pendant un an le loyer des Libanais dont l’habitation a été détruite est aussi largement commentée par des Palestiniens qui imaginent en riant que l’Autorité fasse de même pour eux.
Un sondage réalisé ces derniers jours, par un institut égyptien, place Hassan Nasrallah personnalité la plus populaire du Moyen-Orient, devant Khaled Meeshal, le chef politique du Hamas en exil et le président iranien Ahmadinejad. Mais où sont passés Zidane et l’Abbé Pierre ?
Mardi 15 août
Angelo
(Photo : Karim Lebhour/RFI)
Lundi 7 août
Boire la mer à Gaza
L’hôpital Shifa de Gaza est saturé. Des malades dorment sur des matelas rajoutés à même le sol. Un chirurgien nous parle de blessures inhabituelles : brûlures très profondes, membres affreusement mutilés, qui, pense t-il, sont le fait d’armes d’un type nouveau tel que des bombes au phosphore ou à fragmentation. Ils nous montrent trois jeunes hommes qui ont perdu un jambe, un bras, voire les deux. Des combattants ? Le chirurgien assure que non. Impossible de vérifier.
Comme souvent dans les zones de conflit, on passe d’un extrême à l’autre à Gaza. Le Light House est un nouveau restaurant ouvert depuis dix jours : jardins, jeux d’enfants, chute d’eau et même un phare d’une vingtaine de mètres ! Le propriétaire nous fait visiter avec enthousiasme. Est-ce vraiment le bon moment pour ouvrir un tel établissement ? Il hausse les épaules : « Ce sera toujours la guerre ici, il faut bien continuer à vivre ! ».
(Photo : K. Lebouhr / RFI)
J’y retrouve Rajaa, mon « fixeur ». Dans le jargon des journalistes, le terme désigne l’intermédiaire local, souvent lui-même journaliste, qui arrange contacts, transports et traduction pour les reporters étrangers. La plupart des envoyés spéciaux ont recours à eux. Les « fixeurs » connaissent tout un tas d’anecdotes sur les petits travers des journalistes étrangers : untel qui n’est presque jamais sorti de sa chambre d’hôtel, tel autre qui tentait d’arracher à ses interlocuteurs l’histoire qu’il avait décidé d’écrire avant de venir.
Je ne crois pas qu’aucun des journalistes qui atravaillé avec Rajaa ait déjà raconté son histoire. Rajaa a commis l’immense erreur d’avoir cru au processus d’Oslo. Il a quitté une Algérie en guerre en 1999 pour vivre dans la Palestine de ses parents. Un an plus tard, l’Intifada éclatait et Rajaa entamait sa deuxième guerre. Parce qu’il est rentré hors des « quotas » autorisés par les accords, Israël et l’Autorité palestinienne ne lui reconnaissent aucune existence légale. La reprise des hostilités a bloqué toute négociation sur ce point. Clandestin dans son propre pays, il vit depuis huit ans, sans statut, ni papiers d’identité, avec pour seul horizon cette bande de terre surpeuplée de
Les risques d’enlèvement sont beaucoup moins élevés qu’à mon dernier séjour. J’en profite pour rentrer à l’hôtel à pied. Des groupes de jeunes hommes patrouillent, kalachnikov en bandoulière, dans les rues sans lumière. Hamas ? Fatah ? Ils ne sont pas menaçants, mais j’essaie quand même d’avoir l’air le plus « local » possible et je presse le pas.
A mon retour au passage d’Erez, côté israélien, les taxis ont déserté l’endroit faute de clients. Je regagne Jérusalem en stop, avec pas moins de cinq voitures différentes : un Israélien russe, un soldat en permission qui doit rejoindre le sud du Liban dans quatre jours, un jeune fauché très rock’n’roll qui me demande quelques shekels pour l’essence… Un véritable échantillon d’Israël. La première à s’arrêter est une jeune fille, Sybal. L’idée que j’arrive de Gaza lui fait dresser les cheveux sur la tête. Elle n’en demandera pas plus. Elle me parle de son travail avec les enfants, de son divorce, de l’homme « gentil » qu’elle voudrait rencontrer parce que « le prince charmant n’existe pas ». Gaza n’est qu’à quelques kilomètres derrière nous. Déjà un autre monde.
(Photo : K. Lebouhr / RFI)
1er août 2006
Contrôles israéliens plus sévères
Les déclarations du Premier ministre israélien Ehud Olmert hier soir ont largement refroidi les espoirs de cessez-le-feu et le conflit au Liban pourrait durer encore quelques semaines. Je ne sais pas si c’est lié, mais depuis quelques jours les contrôles israéliens se font plus sévères et les check-points volants plus fréquents. Ce matin, j’ai mis plus d’une heure et demie pour aller à Jérusalem, contre 45 minutes en temps normal.
Pour ceux qui veulent revenir aux racines de cette crise, je conseille vivement la lecture du rapport de l’International Crisis Group : « Israel/Palestine/Lebanon: Climbing Out of the Abyss ». L’International Crisis Group est généralement très bien informé et de nombreux éditorialistes reprennent à leur compte leurs analyses. Autant aller à la source.
Dimanche 30 juillet
Cana : images en boucles à la télé
(Photo : Karim Lebhour/RFI)
Depuis ce matin, les images du bombardement de Cana, au Liban sud, passent en boucle sur les chaînes de télévisions arabes. J’ai compté sur Al-Jazeera les mêmes images de corps d’enfants désarticulés et de mères hurlant de douleur pas moins de six fois en trente minutes… Pour un Occidental, il y a quelque chose de profondément dérangeant dans cette façon d’exposer la douleur et les morts, comme le geste de ce père qui agite avec colère le corps de sa fille devant la caméra, ou ces corps que l’on charge sans ménagement sur des camions. La différence de culture n’explique pas tout. Que ce soit à propos du Liban, de Gaza ou de l’Irak, l’environnement médiatique arabe est particulièrement mortifère. Les médias palestiniens parlent très peu d’économie, de social, d’environnement, de sport, etc. Je constate chaque jour dans les formations en journalisme que j’assure, à quel point il est difficile de se détacher de l’actualité politique et militaire. Soldats israéliens et soldats américains, victimes de bombardements et victimes d’attentats, finissent par se confondre et nourrissent le sentiment exacerbé de victimisation qui habite le monde arabe.
Dans le Jerusalem Post, quotidien israélien conservateur, ce sont les photos des soldats tombés au combat qui s’affichent. Ils ont 19, 20 ou 23 ans, tout au plus. En Israël, on fait l’armée avant ses études. Ce n’est sans doute pas sans conséquence sur le comportement des soldats. Il y a quelques jours, je rencontrais Itaï et Nathan dans un bar de Jérusalem fréquenté par la gauche israélienne. Le premier, encore étudiant, faisait part de sa crainte de recevoir le fameux «ordre 8», enjoignant de rejoindre immédiatement son unité de réserve. Itaï, lui, est désormais domicilié à New York et ne veut «plus rien avoir à faire avec l’armée israélienne». Il a servi plus d’un an au Liban Sud pendant l’opération «Raisins de la Colère» en 1996. Ce qui a changé dit-il, ce sont les règles d’engagement concernant les civils. «L’armée faisait beaucoup plus attention. J’ai vu des soldats mis en jugement pour avoir tiré selon un angle qui pouvait toucher des civils. Il fallait une permission spéciale pour tirer sur des zones civiles. (…) La règle (avec le Hezbollah, ndr) était : on ne touche pas leurs civils et ils ne touchent pas les nôtres.». Eve, l’amie qui m’accompagne ce soir là, a justement vécu les bombardements dans la ville de Nabatiyé quand Itaï y était lui aussi. Leur dialogue est surréaliste :
- Tu te souviens de la maison bombardée où il y a eu 16 morts !
- Oui, c’était une erreur. La visée a bougé au dernier moment et on a raté l’objectif.
- En face, c’était la maison de mon oncle !
Vendredi 28 juillet
Ramallah mon amour…
C’est le problème quand on est journaliste. Plutôt que de se satisfaire d’être loin des bombardements, on a envie d’être «là où le siècle saigne», comme l’a si bien écrit Aragon. Même si je me le reproche, je dois avouer que c’est assez frustrant de voir mes collègues journalistes faire la danse de la pluie au Liban et jouer de la grosse caisse, alors que je suis retenu à Ramallah par un programme de formation de journalistes palestiniens et que je m’envoie les rapports de mes prédécesseurs à m’en faire pleurer les yeux. De fait Ramallah est très calme. C’est même sans aucun doute la ville palestinienne la plus agréable à vivre. Nombre d’ONG et d’expatriés y ont élu domicile. Bien sûr, passé 22heures, les rues sont désertes, mais il y a de nombreux cafés et restaurants et les incursions israéliennes sont exceptionnelles. Ramallah compte aussi une importante minorité chrétienne et c’est l’un des rares endroits où l’on trouve de l’alcool dans les Territoires palestiniens. Sans compter que la ville est située à près de 1 000 mètres d’altitude et pendant que l’Europe sue à grosses gouttes, la température ici n’excède pas les 25-28°C. Non vraiment, s’il n’y avait la guerre, Ramallah serait sans doute déjà adoptée par la jet-set arabe…
Mardi 25 juillet
Ramallah accueille Condoleezza Rice par une grève
(Photo : Karim Lebhour/RFI)
Difficile de trouver un magasin ouvert ce matin à Ramallah. Les Brigades des martyrs d’al-Aqsa (la branche militaire du Fatah) ont appelé (forcé ?) les commerçants à baisser leur rideau en signe de protestation à la visite de Condoleezza Rice, qui doit rencontrer le président Mahmoud Abbas. Seuls quelques réfractaires entrouvrent leurs portes pour laisser entrer les habitués. Hier, déjà, le porte-parole du Hamas à Gaza avait déclaré la secrétaire d’Etat américaine «persona non grata» dans les Territoires palestiniens.
La détestation de la politique américaine dans la région est depuis longtemps un point commun entre les factions palestiniennes et le monde arabe dans son ensemble. Mais, cette fois, il semble que même des alliés fidèles, comme l’Egypte, sont embarrassés par le soutien inconditionnel des Etats-Unis à l’offensive israélienne en cours au Liban. C’est peu de dire que cette tournée diplomatique américaine est vue ici, au mieux comme inutile, au pire comme néfaste.
Les grèves sont fréquentes à Ramallah. Quand un «shebab» (un jeune militant) est tué, ses compagnons d’armes obligent cafés et restaurants à fermer leurs portes en signe de deuil. Il y a quelques mois, un membre des Brigades s’est tué dans un accident de voiture, sans rapport avec l’Intifada. Les combattants avaient tout de même fait le tour des restaurants puisqu’un «shahid» (martyr) venait de mourir ! Furieux, Mahmoud Abbas avait envoyé les forces de police pour forcer les patrons d’établissement à rouvrir…
Autre signe de «solidarité». Tous les soirs, après la fin des programmes, la télévision palestinienne diffuse les images d’une caméra fixe sur la ville de Gaza. Je ne sais pas si les médias français en parlent encore, mais depuis trois semaines, l’électricité ne fonctionne que quelques heures par jour. Hormis quelques taches lumineuses, la quasi-totalité de la ville est plongée dans le noir. On voit les phares des rares voitures qui se déplacent. La séquence est sobrement intitulée «Gaza en ce moment». On a plutôt envie de lire : «Pendant ce temps-là à Gaza».
Mercredi 19 juillet
Vertige
Au moins 64 morts. Ce mercredi est annoncé comme la journée la plus sanglante depuis le début des combats entre Israël et le Hezbollah. Que les amis qui m’envoient des messages inquiets se rassurent : cette guerre se déroule loin de Ramallah. La ville est hors de portée des roquettes «Katioucha» du Hezbollah (voudrait-il d’ailleurs la viser ?) et absente de l’agenda israélien du moment. On ne peut pas en dire autant de la bande de Gaza et de Naplouse où l’on a relevé 9 morts aujourd’hui. A vrai dire, le seul écho direct de la guerre qui parvient jusqu’ici est le vrombissement des jets israéliens en route vers le Liban, qui passent au-dessus de nos têtes. Une manifestation de solidarité avec le Liban a aussi réuni quelques centaines de personnes dans le centre de Ramallah. Le soutien au Hezbollah est sans doute plus massif. Les Palestiniens observent avec une certaine fascination les roquettes qui s’abattent sur les villes israéliennes et la soudaine vulnérabilité de la première puissance de la région. Côté israélien, le soutien à l’armée est tout aussi massif. Les dirigeants israéliens se succèdent sur les chaînes d’information pour marteler qu’Israël est en première ligne face à un «axe de la terreur» qui menace toutes les sociétés démocratiques et qui inclut sans distinction le Hamas, le Hezbollah et al-Qaïda. L’évolution des événements dans la région n’en reste pas moins effrayante. En trois semaines, nous sommes passés d’une possible guerre civile palestinienne entre le Fatah et le Hamas, à une offensive militaire sans précédent à Gaza, puis à une guerre régionale. Vertigineux.
Samedi 15 juillet
« J'espère que ça va exploser »
(Photo : Karim Lebhour/RFI)
Mercredi 12 juillet
Une messe pour la République
(Photo : Karim Lebhour/RFI)
Vendredi 7 juillet
Yehuda Shaul
(Photo : Karim Lebhour/RFI)
Des rues chaotiques de Ramallah à celles beaucoup plus pimpantes du centre de Jérusalem (Ouest), il n’y a qu’une quinzaine de kilomètres. C’est là, dans l’un des nombreux cafés de la rue Jaffa, qu’une amie m’a proposé de rencontrer Yehuda Shaul, un ancien soldat passablement perturbé par ce qu’il a vécu pendant son service militaire : trois ans comme chef de patrouille, pendant l’Intifada, dont 14 mois à Hébron, l’une des villes les plus dures, où 500 colons vivent dans la vieille ville, protégés par 2 500 soldats et policiers, au milieu de 150 000 Palestiniens. Verbatim : « Un jour, on me demande de tirer avec un lance-grenades sur un quartier d’Hébron. Ces grenades tuent dans un rayon de huit mètres. Et on doit les tirer dans le noir sur un objectif situé à plusieurs centaines de mètres, au milieu des habitations. Même le meilleur tireur du monde ne pas être précis à cette distance. On tire une première salve en espérant n’avoir touché personne. Puis on recommence. On sent monter l’adrénaline et on commence à aimer ça. A la fin, ça devient comme un jeu vidéo.» « A la fin de mon service, j’ai eu comme un flash. J’ai réalisé que j’avais vécu trois ans de mensonges et de mal. J’ai commencé à en parler avec mes soldats. Tout le monde ressentait la même chose, mais personne n’en avait jamais parlé. (…) En juin 2004, nous avons monté une exposition à Tel Aviv à partir de nos photos personnelles : Breaking The Silence (Les soldats racontent Hébron). L’idée c’était d’amener Hébron à Tel Aviv. (…) La ‘pureté des armes’ est le plus gros mythe en Israël. On nous répète que l’armée israélienne est la plus morale du monde, parce que nous avons un code d’éthique. Mais ce n’est pas compatible avec l’occupation. Il y a des choses qu’on ne veut pas voir. On nous répond : ‘ les Juifs ne font pas ces choses-là’, mais quand on vous donne un fusil d’assaut avec le pouvoir de dominer et de contrôler la vie des gens, il n’y a pas de ‘pureté des armes’ ».
Breaking The Silence organise aussi des visites guidées de la ville d’Hébron, «surtout (fréquentées par) des gens de gauche qui veulent voir ce qui se passe». On a promis d’aller y faire un tour.Jeudi 6 juillet
A Hard Rain’s Gonna Fall
Je ne sais pas si les militaires israéliens écoutent Bob Dylan, mais sa chanson A Hard Rain’s Gonna Fall aurait été plus appropriée que « Pluie d’été » pour désigner l’opération en cours à Gaza. Il faut bien constater que la pluie tourne à l’orage. La famille de Fatima, l’une de mes collègues de bureau, vit justement a Gaza. Elle raconte que l’électricité ne fonctionne plus qu’une ou deux heures par jour. Il y a bien des générateurs, mais le carburant manque pour les faire fonctionner. Une bonne partie des 1,4 millions de Palestiniens qui vivent dans la Bande de Gaza sont donc privés de frigo, de lumière, d’ordinateur, etc. Benjamin Barthe, le correspondant de RFI et envoyé spécial du Monde à Gaza, a quand même réussi à voir France-Portugal hier soir, mais visiblement le passage des drones israéliens (avions sans pilotes) perturbait les ondes. Et puis il y a aussi les bangs supersoniques. La nuit, vers 3 ou 4 h du matin, l’aviation israélienne franchit le mur du son au-dessus de la bande de Gaza, brisant les vitres et les nerfs des habitants. Une forme de pression psychologique dont j’avais déjà été témoin pendant un reportage à Gaza, l’année dernière, après le départ des colons.
Pour ne rien arranger, les militants des Brigades Ezzedine al-Qassam, la branche armée du Hamas, ont réussi pour la première fois à atteindre la ville israélienne d’Ashkelon avec leurs roquettes Qassam. Les roquettes Qassam sont des tubes métalliques artisanaux bourrés de poudre, envoyés complètement au hasard et leur capacité de destruction est proche de zéro. Il n’empêche : Israël ne peut tolérer que l’une de ses grandes villes soit à portée de tir des Palestiniens et s’apprête à frapper fort. En attendant, le Hamas et le Fatah semblent avoir oublié leurs dissensions et plus personne ne parle d’une possible guerre civile palestinienne.
Lundi 3 juillet
«On est en demi !!!»
(Photo : Karim Lebhour/RFI)
Franchement, il fallait les chercher les supporteurs des Bleus à Ramallah. Hormis mon épicier, qui a beaucoup aimé son voyage en France, les Palestiniens soutiennent massivement le Brésil. Pendant la première phase de la Coupe du monde beaucoup ici penchaient pour la Tunisie, solidarité arabe oblige. Mais maintenant, confie un supporteur du Brésil « On veut soutenir une équipe qui gagne ». Il faut bien avouer que de ce côté-là l’équipe de France ne constituait pas un choix évident. Et puis Ronaldo s’est taillé une popularité à toute épreuve auprès des Palestiniens en venant taper dans la balle, l’année dernière, avec des gamins de Ramallah, en tant qu’ambassadeur de bonne volonté du Programme de développement des Nations unies (PNUD). Le Ghana a bien eu ses aficionados au début du tournoi, mais après le match contre la République tchèque, deux joueurs ghanéens qui jouent en Israël ont brandi le drapeau israélien, provoquant un tollé dans le monde arabe. Le porte-parole de l’équipe du Ghana a dû présenter des excuses.
Au moins, contrairement à d’autres pays de la région, les Palestiniens peuvent-ils voir les matchs de la Coupe du monde gratuitement. Le groupe saoudien ART, détenteur des droits de retransmission pour le Maghreb et le Moyen-Orient, a généreusement cédé ses droits à la télévision palestinienne. Les Israéliens eux, doivent débourser 300 shekels (55 €) pour avoir accès aux matchs. A Ramallah, les cafés qui ont installé des écrans géants font le plein. Au « Sangria », les maillots auriverde dominent largement. Le match touche à sa fin et le commentateur lance : « Encore quelques minutes et les Brésiliens vont reprendre l’avion pour Sao Paulo ». Un homme visiblement éméché se met à insulter le camp français. Le propriétaire du café s’excuse. On le rassure : « Il y a des cons partout ». « Oui, il répond. Mais lui vient du camp d’Al Amari (camp de réfugiés près de Ramallah, ndlr). Si je le mets dehors, il va revenir avec ses amis pour tout casser. » Et de conclure : «Il n’y a pas de loi ici. Nos ministres sont en prison. Même le gouverneur a été arrêté !» (Post du 28 juin). Pour France-Portugal, mercredi, c’est sûr, on ira à Jérusalem.Dimanche 2 juillet
Incursion à Naplouse
Cette fois, ce ne sont pas des feux d’artifices, mais des coups de feu qui claquent et des bombes sonores qui explosent en faisant un bruit assourdissant. Ca ne fait pas une heure que nous sommes à Naplouse et nous tombons en pleine Intifada. L’armée israélienne vient d’investir l’hôpital de la ville, à la recherche d’un activiste palestinien. Les soldats bloquent les rues et tentent de disperser les gamins qui se regroupent pour les « caillasser ». Gaz lacrymogènes, balles caoutchoutées… En quelques minutes la rue est un champ de bataille. La scène se passe à quelques dizaines de mètres d’une station de radio locale où je suis censé intervenir dans le cadre d’un programme de soutien européen aux medias. En studio, la journaliste tient deux heures de direct non stop. Les auditeurs appellent pour donner leur témoignage à l’antenne. Bon réflexe, elle demande à une interlocutrice a l’intérieur de l’hôpital de ne pas raccrocher son téléphone. On entend distinctement les cris des soldats et du personnel de l’hôpital qui s’ajoutent au bruit des coups de feu qui parviennent de l’extérieur du studio. Au moins, d’un point de vue radiophonique c’est très réussi. Au bout de trois heures, les soldats se retirent sans avoir trouvé le Palestinien recherché. Dehors, le sol est jonché de pierres et notre voiture miraculeusement épargnée. Dans le journal du soir de la BBC, on parle de Gaza, mais pas un mot sur l’opération de Naplouse. On a relevé trois blessés. Sans doute pas de quoi couvrir le bruit de fond quotidien dans les Territoires palestiniens.
Mercredi 28 juin
Alerte !
Les yeux du monde sont tournés sur Gaza, mais c’est bien à Ramallah que l’armée israélienne s’apprête à rentrer. Le bureau de liaison militaire a averti les diplomates et humanitaires de l’imminence d’une incursion dans la ville. A Ramallah, ce n’est pas si courant. Le consulat de France à Jérusalem recommande à ses ressortissants de quitter la ville ou de rester chez eux avec suffisamment d’eau et de nourriture pour quelques jours, si l’opération se prolonge. C’est tout juste s’il ne faut pas remplir des sacs de sable ! Mes collègues palestiniens n’ont pas l’air d’y accorder vraiment d’importance. En rentrant chez moi, j’achète quand même quelques bouteilles d’eau. Je me prends même à penser qu’il faudrait peut-être changer de chambre pour dormir dans la moins exposée. En fait, les soldats israéliens font le siège d’un hôtel pour chercher des responsables du Hamas qui y logent. Quelques heures plus tard, la chaîne Al Jazeera annonce que 64 personnes, dont huit ministres, ont été arrêtées dans différentes villes de Cisjordanie, en réponse à la capture du jeune tankiste israélien Gilad Shalit par un commando palestinien dans la bande de Gaza et que les opérations sont terminées. Dehors, j’entends pourtant encore distinctement plusieurs explosions et des sifflements aigus que j’imagine être ceux de roquettes ou d’obus de mortier. Je me précipite à la fenêtre. Ce sont les feux d’artifice d’un mariage tout proche.
Samedi 24 juin
Aéroport Ben Gourion
Surtout ne pas se fier au panneau « Welcome in Israel ». Passer par l’aéroport Ben Gourion de Tel Aviv peut s’avérer une expérience très pénible. C’est même un sujet de conversation inépuisable pour les étrangers qui résident ici. Tout le monde à son histoire à raconter, d’avion manqué, d’interrogatoires interminables, d’ordinateur portable confisqué... Légitime souci sécuritaire dans un pays traumatisé par les attentats réguliers dont il est la cible. Mais porter un nom arabe et exercer en plus une activité « suspecte » (journaliste !), comme c’est mon cas, n’arrange sans doute pas les choses. Mon dernier reportage en Israël m’avait déjà valu un long interrogatoire et une fouille complète de mes bagages. Cette fois, j’ai vite compris en voyant la moue de la préposée au passeport, que j’aurai une nouvelle fois droit à un traitement spécial. On me fait asseoir dans un coin, à l’écart des autres passagers. A côté de moi, deux Américains d’origine palestinienne attendent depuis plusieurs heures. Je demande à l’officier qui me questionne ce qu’on me reproche : « votre nom est dans l’ordinateur ». Il se détend un peu quand je lui demande le résultat du match de Coupe du monde France-Togo (j’ai passé la nuit dans l’avion). « You won ! 2-0. Henry and Vieira ». On me fait rasseoir. Un autre vol arrive. Deux filles voilées viennent rejoindre le groupe des « suspects ». Un autre officier se saisit de mon cas. Encore quelques questions. Toujours les mêmes. Encore un peu d’attente, puis je suis autorisé à rejoindre mes bagages qui tournent sans fin sur le tapis roulant. Plus de deux heures viennent de s‘écouler depuis ma sortie de l’avion. Finalement, j’ai eu de la chance. A Jérusalem, je croise un collègue allemand qui a été retenu pendant cinq heures.
par Karim Lebhour
Article publié le 06/09/2006 Dernière mise à jour le 06/09/2006 à 14:34 TU